Psychologie
Quelques pistes pour cesser de ruminer et d'angoisser
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Psychologie
Quelques pistes pour cesser de ruminer et d'angoisser
Le hamster intérieur, c’est notre cerveau qui ne veut jamais arrêter et qui, jour et nuit, rumine, angoisse, calcule, planifie et s’affole sans nous laisser de répit. Quelques pistes pour l’arrêter de courir un peu.
Caroline est pressée. En route vers le bureau depuis cinq minutes à peine, sa voiture s'immobilise dans un bouchon de circulation. Sa petite voix intérieure s'emballe: «Ils font exprès? C'est quoi, l'idée de bloquer la route à l'heure de pointe? Je vais être en retard pour la réunion! Je vais encore mal paraître aux yeux du client!... Et puis, c'était pas mon idée d'habiter en banlieue! Si Mathieu avait voulu rester en ville, aussi, je ne vivrais pas ça si souvent! Il faut toujours qu'il pense juste à lui! Si je perds ce client, je n'aurai plus emploi. Déjà qu'on a du mal à arriver avec nos deux salaires...»
Qui est ce hamster?
Appeler cette petite voix qui se fâche, s'inquiète, s'affole et rumine un hamster, c'est l'idée de Serge Marquis, médecin spécialiste en santé communautaire et consultant dans le domaine de la santé mentale. «Nous avons tous un hamster dans notre tête. Un petit rongeur invisible qui monopolise toute notre attention et qui, en une fraction de seconde, se met à courir dans sa roue, jusqu'à nous faire perdre la tête! Ce petit hamster "pensouille" beaucoup, mais il pense très peu. Il blâme, critique et s'inquiète, mais il est incapable d'émettre des pensées claires et utiles qui l'aideraient à passer à l'action.»
Le hamster dont parle Serge Marquis est une métaphore de notre ego, qui se sent menacé quand il croit qu'on lui manque de respect, qu'on ne l'aime pas ou qu'il est ridiculisé. «Elle m'énerve, la nouvelle! Elle se prend pour qui?» «Mes amies Facebook ont des vies plus intéressantes que moi. Elles sont belles et minces, voyagent et ont de magnifiques maisons! Je ne suis qu'une bonne à rien!» «Pourquoi est-ce toujours moi qui paie toujours tout?»
«Il est faux de croire qu'en obtenant tout ce qu'on veut dans la vie, la roue s'arrêtera de tourner dans notre tête», ajoute Serge Marquis. C'est ce qu'a réalisé Catherine, mère de deux filles. «Je chialais toujours pour des peccadilles et l'organisation de mon quotidien me causait beaucoup de stress! Pourtant, j'avais tout pour être heureuse: des enfants formidables, un mari aimant, une belle maison et la santé. Mais mon hamster roulait 24 heures sur 24! Je me réveillais même la nuit pour me rejouer mentalement ce qu'une collègue avait dit pendant la journée. "Et si elle avait voulu dire ceci ou cela?" J'étais en train de me rendre malade!»
Hamster = danger
Quand on laisse notre hamster tourner dans notre tête, on sécrète toutes les hormones de stress nécessaires pour faire face au danger, même si celui-ci n'est pas toujours réel. Car les réactions physiologiques engendrées par des situations stressantes, même s'il s'agit de ruminations, sont les mêmes que celles provoquées chez nos ancêtres lorsqu'ils rencontraient un mammouth.
Malheureusement, notre système de survie ne fait pas de distinction entre la menace d'un mammouth et celle que représente une présentation devant un client important, explique Pierrich Plusquellec, codirecteur du Centre d'études sur le stress humain (CESH). «Face à une menace, notre système nerveux sympathique sécrète une hormone, l'adrénaline, qui nous met instantanément en état d'alerte. Il ne sait pas qu'on a fabriqué un mammouth en pensée. L'adrénaline accélère le coeur, augmente la pression sanguine et active la respiration pour apporter plus d'oxygène aux muscles, afin qu'ils puissent travailler plus fort et plus longtemps.»
Lorsque le stress augmente ou qu'il est répétitif, l'adrénaline ne suffit plus. Une autre hormone, le cortisol, est sécrétée en renfort. Elle transforme les gras en sucres pour créer une source d'énergie supplémentaire. Pour une plus grande efficacité, certains organes, comme l'estomac, cessent de fonctionner et le système immunitaire est temporairement mis en arrêt pour assurer notre survie.
Bref, ruminer souvent et trop longtemps peut déséquilibrer la sécrétion de nos hormones de stress. S'il est trop souvent sollicité, notre système de survie risque de s'épuiser. On est alors de plus en plus fatiguée, anxieuse, voire dépressive. De sérieux problèmes de santé peuvent aussi nous guetter. «Non seulement le cortisol accélère la fréquence cardiaque et fait monter la pression, mais il réduit aussi le diamètre des vaisseaux et rend le sang plus épais. Il augmente donc les risques d'AVC», dit David O'Hare, auteur, conférencier et spécialiste de la cohérence cardiaque à l'Institut de médecine intégrée de Paris. Autre effet néfaste: le cortisol agit directement sur l'insuline, qui gère le stockage des sucres. «Si le stress devient chronique, qu'on angoisse et qu'on rumine, on risque de développer une résistance à l'insuline. Et qui dit résistance à l'insuline dit risque de diabète et obésité », ajoute David O'Hare.
Le pire, c'est que toutes ces réactions physiques ne nous aident en rien à réagir au stress de la vie moderne. Au contraire, elles nous nuisent! Au temps des mammouths, face au danger, nos ancêtres ne devaient pas réfléchir, mais agir. La sécrétion du cortisol provoque donc ce qu'on appelle l'inhibition corticale, c'est-à-dire qu'on devient moins intelligent et plus physique. «Le hic, c'est qu'une menace intellectuelle devrait se résoudre par une solution intellectuelle, explique David O'Hare. Mais plus on rumine, plus on sécrète du cortisol et moins on pense clairement. Nous réagissons encore avec notre vieux système de survie, qui appelle à des actions physiques. Il faut briser ce cercle vicieux pour retrouver progressivement notre calme.»
Chasser le hamster, ça s'apprend! Certaines personnes ne ruminent pas ou presque. Est-ce à dire qu'elles n'ont pas de rongeur intérieur? «Tout le monde a un petit hamster dans la tête, répond Serge Marquis. Si elles ruminent moins, c'est qu'elles ont développé une vigilance pour que leur hamster ne roule pas trop dans sa roulette. En observant attentivement leur discours intérieur, elles réussissent à lui bloquer la roue. Elles ruminent moins longtemps et se concentrent sur des pensées plus fonctionnelles.»
Bloquer la roue du hamster est un travail à temps plein, selon Catherine. Pour maîtriser son hamster, elle pratique la méditation quelques minutes par jour, observe ses pensées et fait de la marche rapide. «Je le contrôle mieux, mais il est toujours là. Et il recommence sa course dès qu'il en a l'occasion! Mais je m'en rends compte beaucoup plus vite et je sais comment l'arrêter. Il fait moins de dommage qu'avant, disons.»
L'idéal est d'intégrer à notre quotidien différentes pratiques pour renforcer l'adaptabilité de notre système nerveux face au stress, croit David O'Hare. Il propose de faire baisser notre niveau de cortisol avec des activités de relaxation comme le massage, le yoga ou le tai chi, ou encore de stimuler notre système avec la méditation ou la cohérence cardiaque.
Pour Serge Marquis, il n'y a pas de doute: observer les mouvements de notre ego (notre hamster) nous permet de ralentir et de retrouver la paix. «Maîtriser notre hamster, c'est protéger notre santé et profiter pleinement de la vie», conclut-il.
Stopper son hamster en 3 étapes
1. Reconnaître sa voix
Cette étape est peut-être la plus difficile. On doit développer une conscience vigilante de nos propres pensées, en tout temps. L'objectif? Savoir reconnaître la voix de notre hamster, c'est-à-dire prendre conscience que notre attention est accaparée par nos ruminations.
Exemple: Toute la famille est en congé, sauf nous. Quand on revient du boulot, la maison est dans un désordre terrible et le souper n'est pas prêt. «J'ai eu une grosse journée et c'est encore moi qui dois tout faire! Ils me prennent pour leur servante? Je ne compte pour personne dans cette maison! Si je partais sans rien dire, ça leur ferait une belle jambe!» STOP.
Un déclic se fait. «Ça y est, mon hamster est reparti! Il se lamente encore.» On observe alors nos pensées, sans jugement, en prenant le temps d'examiner les réactions que nos émotions provoquent dans notre corps. Et on se demande: «Est-ce que cette pensée est utile et constructive? S'agit-il d'une opinion? Suis-je en colère? Où est ma colère? Dans mes mâchoires, dans mon ventre?»
2. Bloquer sa roulette
Dès qu'on réalise que notre esprit est accaparé par notre hamster, on lui bloque la roue, en faisant autre chose. Exemple: Si notre colère, notre peine ou notre inquiétude est trop grande, on prend une feuille et on note tout ce qui nous passe par la tête, sans retenue. «On fait courir notre hamster jusqu'à l'épuisement, suggère Jean-François Vézina, auteur et psychologue. Épuiser notre hamster, c'est se permettre de vivre toutes nos émotions. On le laisse aller jusqu'au bout, jusqu'à la fin de son scénario, pour s'ouvrir au présent et à ses possibilités.»
Ensuite, pendant cinq minutes, on ramène notre attention dans l'instant présent, à des choses concrètes, comme notre respiration, les odeurs ou les couleurs du paysage. On peut aussi aller marcher, en portant notre attention sur nos mouvements et notre respiration. Croquer une pomme, en prenant le temps d'en savourer pleinement la saveur, ou encore porter toute notre attention sur le mouvement du couteau qui tranche les carottes, faire du tricot, de la peinture, du bricolage ou de la course à pied. «Ce qu'il y a de merveilleux, c'est que notre attention ne peut pas être à deux places en même temps. Si notre esprit est occupé à quelque chose, il ne peut plus ruminer», constate le Dr Marquis.
Après cette pause, on revient à notre feuille. On réalise alors qu'on a pris une certaine distance par rapport à notre hamster (ego). Comme il ne se sent plus menacé, il ne s'agite plus. Plutôt que de chialer parce que les autres ne nous aident pas, on peut alors élaborer un plan d'action pour obtenir de l'aide et mieux communiquer nos besoins et nos attentes aux membres de notre famille.
3. S'entraîner quotidiennement à chasser le hamster
Pour dompter plus efficacement notre petite bête intérieure, on intègre à notre quotidien une méthode éprouvée de gestion du stress. En voici deux.
La méditation. Pour débuter notre méditation, on s'assoit ou on se couche confortablement. On fait le silence dans notre tête et on attend notre prochaine pensée. Elle arrive généralement assez vite! «Ah! Les enfants ont sali la vitre! Je n'arrive plus à tout faire. La maison est si sale...» On constate la dérive: «Mon hamster recommence son manège» et on attend la prochaine pensée, en regardant la saleté, sans jugement. Le motif d'une petite main d'enfant apparaît alors plus précisément sur la vitre. On l'observe attentivement, sans repartir dans nos pensées... jusqu'à ce qu'on entende la tondeuse du voisin: «Encore! Il n'a aucun respect pour tondre son gazon à une heure pareille!» Et, on se ramène à l'ordre: «Il est en forme, mon hamster!» On attend encore la prochaine pensée et ainsi de suite.
«Plus on s'investit avec sérieux dans notre pratique de la méditation, plus les résultats se feront sentir rapidement. En quelques semaines, ou quelques mois, on devrait mieux dormir, mieux réfléchir et sentir une distanciation par rapport à nos problèmes», précise Serge Marquis.
La cohérence cardiaque, pour sa part, permet de contrôler notre rythme cardiaque et d'améliorer notre capacité à passer d'un état de stress à un état de calme. Pendant une période de 15 jours, David O'Hare recommande de faire 3 séances quotidiennes (matin, midi et soir) de 6 respirations par minute, pendant 5 minutes (technique du 3-6-5). Notre coeur battra alors en cohérence et s'ensuivra une série d'événements hormonaux, neuronaux et biochimiques qui diminueront le stress et nous aideront à mieux gérer nos émotions.
«La méditation est une discipline de l'esprit, qui peut prendre des mois avant d'être maîtrisée et de faire sentir ses effets bénéfiques, tandis que la cohérence cardiaque est un exercice physiologique, dont les résultats, qui sont sensiblement les mêmes, se font sentir en seulement 14 jours», explique David O'Hare.
Dépendante de mon hamster?
Si notre hamster court quand notre ego est menacé, il roule aussi pour le satisfaire. «Délaisser notre rongeur peut être difficile, parce qu'il y a aussi un certain plaisir à rêvasser. Après une conférence, il arrive qu'on me dise: "Dr Marquis, vous avez changé ma vie!" Si je continue à tourner ça dans ma tête, je vais commencer à sécréter des hormones de plaisir, que sont les endorphines. Je peux même en devenir dépendant, dans une certaine mesure», explique-t-il, en précisant que, même si notre hamster se répète des affirmations positives, qu'il rêvasse ou qu'il se rappelle de bons moments du passé, il ne va nulle part: il court dans une roulette. Pendant ce temps, on est distraite et on risque de se ramasser une contravention pour excès de vitesse!
Manon, une jeune femme d'affaires mère de trois enfants, a décidé de reprendre le pouvoir sur sa pensée. Elle continue de rêvasser, mais le fait plus consciemment. «Comme j'ai besoin d'avoir un esprit plus clair, d'être moins influencée par l'opinion de mes clientes, j'essaie de vivre dans le moment présent. Par contre, je me donne la permission de ne pas le faire tout le temps. Je m'accorde un moment précis dans la journée pour rêvasser un peu. C'est important de rêver pour créer la vie que je veux!» Pour vous aider à faire taire votre hamster intérieur, on vous réserve une série d'exercices de yoga et d'automassages propices à la relaxation sur coupdepouce.com/relaxation.
Victimes de leur hamster
Ces personnages célèbres ont nourri leur hamster, qui a fini par les avaler tout rond.
- Madame Bovary. Célèbre personnage de Gustave Flaubert, du roman du même nom, paru en 1857. Déçue de sa vie monotone, Emma n'éprouve plus d'amour pour son mari, n'apprécie plus sa fille, rêve d'une autre vie et d'autres bras, leur cède finalement, pour les délaisser et mourir insatisfaite.
- Lester, dans American Beauty. Banlieusard en pleine crise de la quarantaine, Lester est nostalgique de sa jeunesse insouciante et vit le fantasme d'une idylle amoureuse avec l'amie de sa fille. Il s'invente mille et un scénarios érotiques, mais la réalité le rattrape: la jeune fille est toujours vierge.
- Claude, de La Galère. Claude est une femme de carrière colérique, qui en veut à son ex, à ses amants et à ses enfants pour mille et une choses. Elle s'enflamme pour des riens et est prête à tout pour garder le contrôle de ses émotions, de ses amies et des situations. Mais pendant qu'elle s'occupe des menaces de son ego, elle ne voit pas ses enfants grandir.
Pour aller plus loin
- Centre d'études sur le stress humain
- Cohérence cardiaque 365: guide de cohérence cardiaque jour après jour, par David O'Hare. Thierry Souccar Éditions, 2012, 102 p., 12,95$.
- Danser avec le chaos. Accueillez l'inattendu dans votre vie, par Jean-François Vézina, Les Éditions de l'Homme, 2012, 192 p., 22,95$.
- Pensouillard le hamster. Petit traité de décroissance personnelle, par Serge Marquis, Transcontinental, 2011, 184 p., 22,95$.
- Respirelax, guide respiratoire, cohérence cardiaque (application gratuite offerte sur Apple Store)