Psychologie

Quand fiston s'accroche au nid

Quand fiston s'accroche au nid

Auteur : Coup de Pouce

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Quand fiston s'accroche au nid

De son propre aveu, Annie a été «gâtée pourrie» par ses parents, chez qui elle a vécu jusqu'à ses 27 ans. «Tout ce qu'ils me demandaient, c'était de faire mon lavage. Et je n'avais rien à payer.» La jeune professionnelle pouvait ainsi s'offrir tout ce qu'elle souhaitait. «J'ai acheté une auto, j'allais souvent au resto, j'avais plein de vêtements...» La belle vie, quoi. Francine et son époux, quant à eux, ont partagé leur bungalow avec leur aîné jusqu'à ce qu'il ait 32 ans. «Il avait sa chambre et sa salle de bains au sous-sol. Ainsi, on ne se marchait pas sur les pieds.»

Des exceptions? Pas du tout! Selon Statistique Canada, en 2006, 43,5 % des adultes de 20 à 29 ans demeuraient chez leurs parents ou y étaient retournés, contre 32,1 % en 1986. Bien sûr, les 20-24 ans sont plus enclins à se trouver dans cette situation (60,3 %), mais il reste que le quart des 25-29 ans squattent toujours chez leurs parents. Fait étonnant, près de 10 % des jeunes adultes qui s'ancrent au domicile parental y demeurent avec un conjoint.

Les jeunes sont moins pressés de quitter le nid qu'il y a 20 ou 30 ans, constate Marc Molgat, membre de l'Observatoire Jeunes et société et professeur en travail social à l'Université d'Ottawa. «Ils s'entendent mieux qu'avant avec leurs parents et partagent les mêmes valeurs. Le fossé est moins grand qu'entre les générations précédentes.» Katherine, 27 ans, est d'accord. Quand sa colocataire s'est fait un amoureux il y a quatre ans, elle est retournée vivre avec sa mère. «Nous avons une belle relation. Je préférais habiter avec elle qu'avec une personne que je connaissais à peine.»

Les parents qui vivent avec leurs grands enfants sont pour la plupart des baby-boomers qui ont vécu la libération sexuelle et la société d'abondance. Ils ont élevé leur progéniture dans le confort matériel, avec une certaine permissivité, sur la base d'une relation quasi égalitaire. Les jeunes adultes d'aujourd'hui n'ont plus à partir pour gagner leur indépendance et leur liberté.

Par ailleurs, les garçons sont plus portés que les filles à vivre longtemps chez papa-maman. C'est probablement parce qu'ils forment une union plus tard, en général. De plus, «les parents se font plus de souci au sujet du parcours scolaire et professionnel de leurs filles, ce qui inciterait celles-ci à devenir autonomes plus tôt», analyse Marc Molgat. Et il est possible qu'elles héritent de plus de corvées domestiques que les garçons; si ces derniers étaient moins choyés, peut-être partiraient-ils plus vite...

Enfin, il y a tous ces enfants «boomerang», comme Katherine, qui reviennent au foyer après un revers financier, un retour aux études ou une rupture amoureuse. Ce phénomène n'est pas rare, et il augmente à chaque génération.

Pourquoi se cramponnent-ils à la maison? Parce que...

C'est économique. C'est la principale raison. Cette solution est effectivement fort pratique quand on ne travaille pas ou qu'on occupe un emploi précaire et peu rémunérateur. Mais plusieurs jeunes adultes sont aussi habitués à un niveau de vie élevé. «Ils ne veulent pas renoncer à leur confort pour s'entasser à plusieurs dans un petit appartement», observe Claire Leduc, travailleuse sociale et thérapeute conjugale et familiale. C'est également ce qu'a constaté Maxime Bélanger, de l'UQAM, qui a interrogé de jeunes adultes vivant chez leurs parents pour son mémoire de maîtrise en sociologie, en 2006. Ainsi, plusieurs considéraient le foyer parental comme un endroit confortable leur permettant de consommer sans faire de sacrifices. Certains en profitent toutefois pour épargner en vue de s'acheter une propriété, comme Katherine, qui prévoit emménager bientôt avec son petit ami.

Ils sont libres. Les parents d'aujourd'hui sont ouverts et imposent peu d'interdits. La plupart, comme Francine, acceptent que leur enfant adulte emmène son amoureux dormir à la maison. «Auparavant, les jeunes partaient pour avoir une vie sexuelle, observe Claire Leduc. Maintenant, leur grande liberté retarde leur départ.»

N'empêche qu'ils ont parfois l'impression de ne pas avoir le plein contrôle sur leur vie privée. «Quand je ne rentre pas coucher, ma mère exige que je l'avertisse, dit Katherine. Lorsque je suis retournée vivre chez elle, ça me frustrait un peu. Mais une mère reste une mère! Si je ne donne pas de nouvelles, elle croit que je suis prise dans un fossé.» Pour sa part, c'est parce qu'elle en avait assez de rendre des comptes qu'Annie s'est acheté un condo il y a trois ans. «J'étais tannée d'être traitée comme une petite fille. De toute façon, il était temps que je vole de mes propres ailes.»

Ils font de longues études. Beaucoup se réorientent en cours de route, ce qui retarde leur entrée sur le marché du travail. Annie, par exemple, a fait deux baccalauréats. «Je n'aurais pas pu me le permettre si j'avais eu un loyer à payer.»

• Ils attendent l'amour. Pourquoi vivre seul quand on peut être hébergé par ses parents? «Une vie de couple durable devient une condition du départ», écrit Maxime Bélanger dans son mémoire.

C'est dans leur culture. Dans certaines cultures, il est naturel de vivre sous le toit familial jusqu'à ce qu'on fonde une famille.

De bons côtés... et de moins bons

Il ne faut pas croire que la situation déplaise à tous les parents. La plupart apprécient la compagnie et le soutien affectif de leur progéniture. «Leur relation en est une d'adulte à adulte», remarque Marc Molgat. «Nous avions de bons échanges avec notre fils, confirme Francine. C'était très agréable.» Une étude de Statistique Canada réalisée en 2001 montre d'ailleurs que 64 % des parents cohabitant avec un jeune adulte étaient très satisfaits du temps passé avec lui.

L'aide qu'ils reçoivent est aussi un plus. «Mon fils faisait l'entretien de ma voiture, de petites réparations, tondait le gazon, énumère Francine. Comme mon mari s'absentait souvent pour son travail, c'était pratique. Et sa présence me procurait un sentiment de sécurité.»

En outre, les parents sont heureux d'aider leurs enfants à mieux partir dans la vie. «En restant chez moi, ils peuvent économiser pour s'offrir un logement décent», dit Élise, la mère de Katherine, qui héberge aussi son fils de 26 ans. «C'est une forme d'héritage qu'on leur transmet avant notre mort», renchérit Francine, dont le fils a acheté une propriété après son départ.

Évidemment, tout n'est pas rose, et certains parents ne voient pas les choses d'un oeil aussi enthousiaste, surtout lorsque le squatteur abuse. Jocelyn, 60 ans, retraité, est au bout du rouleau. Son fils de 28 ans, qui a toujours vécu avec lui, se laisse entretenir comme un pacha, sans sortir un sou de sa poche. «Je fais tout dans la maison: les repas, le lavage, les corvées. Il ne lève pas le petit doigt. Et sa chambre est dans un désordre indescriptible!» Jocelyn ne sait pas comment il en est arrivé là, mais admet que c'est un peu sa faute. «C'est mon seul enfant. Je l'ai exagérément gâté. Quand il est devenu adulte, j'ai continué à tout faire pour lui. Je considérais que c'était ma responsabilité de m'en occuper. Et comme il a mauvais caractère, je voulais éviter des crises...»

L'étude de Statistique Canada citée plus haut révèle aussi que la cohabitation entraîne certaines frustrations: manque de temps pour soi, augmentation des disputes entre conjoints sur des sujets comme l'argent ou le partage des tâches, etc. Forcément, les parents perdent une certaine liberté: ils ont plus de travaux ménagers à accomplir et se sentent parfois envahis dans leur vie de couple. Certains se voient obligés de conserver leur résidence plus longtemps que prévu. Sans compter les impacts financiers! «Nourrir un adulte peut coûter facilement 75 $ par semaine, souligne François Louis-Seize, planificateur financier et directeur régional du bureau Montréal Champlain du Groupe Investors. Et souvent, il faut aussi nourrir le petit ami! Ces dépenses limitent la capacité d'épargne des parents et les empêchent de bonifier leur capital de retraite.» L'expérience serait encore plus difficile lorsqu'il s'agit d'enfants boomerang, car les parents doivent se réadapter à un autre style de vie. Et que dire de ceux qui se retrouvent à s'occuper de jeunes enfants parce que leur fille s'est installée chez eux avec sa marmaille?

Des conseils pour faire bon ménage

  • Fixer ses limites. Ce n'est pas parce qu'on a affaire à un adulte qu'on doit tout permettre. On y va selon nos valeurs et nos besoins. Si on n'a pas envie de prendre notre déjeuner avec le chum de notre fille, on le dit. «L'important est d'écouter notre petite voix intérieure, affirme Ann Bourget, psychologue. Après tout, notre jeune vit sous notre toit.»

  • Le faire participer aux corvées. «Faire sa part le responsabilise et favorise son autonomie», poursuit Ann Bourget. Dans la maison d'Élise, l'entraide règne. «Mon fils est responsable de la pelle, de la poubelle et du lave-vaisselle, dit la femme de 50 ans. Ma fille fait le lavage de tout le monde. Et moi, je m'occupe de l'épicerie et des repas.»

  • Exiger une contribution financière. «Mon fils ne faisait pas un gros salaire, mais je ne voulais pas l'infantiliser», dit Francine, qui lui réclamait une pension quand il vivait chez elle. Pourtant, seulement le tiers des adultes hébergés par leurs parents verseraient une contribution financière. François Louis-Seize croit toutefois que c'est indispensable. «Cela les prépare à la vraie vie.» Ou alors, on peut exiger qu'ils prennent en charge certaines dépenses. Ainsi, le fils d'Élise paie le téléphone, le câble et Internet, tandis que sa fille acquitte la taxe d'eau et la facture d'électricité. Nathalie Lacharité, conseillère en sécurité financière est du même avis. Selon elle, on n'aide pas notre enfant si on le laisse habiter sous notre toit, sans exiger une contribution financière minimum. «On devrait exiger un loyer à notre enfant dès que ses moyens le lui permettent et lui demander d'apporter sa contribution aux coûts d'électricité, de chauffage, etc.» Si on n'a pas besoin de cet argent pour vivre, on le met de côté et, lorsque notre enfant quitte le nid, on le lui donne pour l'aider à s'établir.

  • Donner une date butoir. On ne se voit pas cohabiter avec notre rejeton jusqu'à ce qu'il souffle ses 40 bougies? On ouvre la discussion: on lui demande s'il a des plans, comment il entrevoit l'avenir, etc. On peut aussi lui indiquer qu'on s'attend à ce qu'il parte d'ici un an ou deux. «Cela lui permet de se faire à l'idée, dit Ann Bourget. On ne le met pas dehors, mais on lui signifie qu'il devra bientôt voler de ses propres ailes.»

Chose certaine, la cohabitation doit profiter à chacun. «Si ça se passe dans un esprit d'entraide, il n'y a pas de problème, dit Claire Leduc. Mais si on est aux prises avec un jeune qui s'incruste et tire profit de notre générosité sans rien donner en retour, on se fait exploiter.» Jocelyn, qui vient de se remarier et ne voulait pas mettre son couple en péril, a finalement pris les grands moyens pour couper le cordon: il a déménagé. «Ma nouvelle épouse m'a donné le courage de m'affirmer devant mon fils. Je lui ai dit que nous déménagions, mais qu'il n'y avait pas de place pour lui. Il a tenté de me faire changer d'idée, mais j'ai tenu mon bout. Ç'a été très dur. Aujourd'hui, je me sens libre! J'aurais dû le faire bien avant...»

Si, pour notre part, on manque d'idées pour forcer notre enfant à prendre son envol, on visionne le film Tanguy: Sabine Azéma et André Dussollier ne reculent devant rien pour pousser fiston hors du nid... 

 

Pour aller plus loin

Sur le site de Statistique Canada :

Fiston revient à la maison: tendances et indicateurs du retour au domicile parental et Quand fiston quittera-t-il la maison? Transition du domicile parental à l'indépendance, par Pascale Beaupré, Pierre Turcotte et Anne Milan, Tendances sociales canadiennes, hiver 2006, n° 82.

Les parents ayant des enfants adultes à la maison, par Martin Turcotte, Tendances sociales canadiennes, printemps 2006, n° 80.

Les Jeunes Adultes et leurs parents. Autonomie, liens familiaux et modes de vie, par Emmanuelle Maunaye et Marc Molgat, Presses de l'Université Laval, 2003, 244 p., 25 $.

 

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