Psychologie
Ma soeur et moi
«Je suis si proche de mes deux soeurs que je peux presque lire dans leurs pensées», dit Sylvia, 29 ans. Tout le contraire de Francine, 60 ans. «Mais bien qu'on ne soit pas sur la même longueur d'onde, j'estime que je dois garder des liens avec elles puisque ce sont mes soeurs.»
Pour son livre Ma soeur et moi, la thérapeute familiale Vikki Stark a recueilli les témoignages de 400 femmes. Elle confirme que les liens entre soeurs sont forts. «Ils sont plus intenses que ceux entre deux frères ou entre une soeur et un frère. Notre société met beaucoup de pression sur les femmes pour qu'elles entretiennent de bonnes relations avec leurs soeurs, alors qu'un homme peut ne pas s'entendre avec son frère sans s'en inquiéter outre mesure.
Quand une femme ne réussit pas à développer des rapports harmonieux avec la personne qui partage non seulement son code génétique, mais également son sexe, elle pense que quelque chose cloche chez elle.» Quand la relation est bonne, le lien entre soeurs peut être plus fort que tout, affirme la psychologue Florence Marcil Denault. «Cela se traduit par un soutien inconditionnel qui existe rarement chez les amies.» C'est ce que vivent Annie et Renée. «Si Annie n'était pas ma soeur, je ne pense pas qu'on serait amies, dit Renée. On est bien trop différentes! Mais le lien qui nous unit est plus puissant que l'amitié. On se dit tout, le bon comme le mauvais, alors qu'avec une amie on mettrait des gants blancs. Je sais que je peux compter sur elle quoi qu'il arrive.»
Dans ses recherches, Vikki Stark a constaté que 10 % des soeurs sont très proches, assez pour s'appeler plusieurs fois par jour. La même proportion vit une relation conflictuelle, alors que 80 % ont une entente correcte. «Elles se rencontrent quelques fois par année et ne se racontent pas tout», note-t-elle. Sylvie (nom fictif), 50 ans, fait partie de ce groupe: elle s'entend bien avec ses deux soeurs, mais ne les considère pas comme ses confidentes. «J'y vais selon nos affinités. J'ai tendance à m'inquiéter facilement, alors que ma soeur aînée est toujours en contrôle. Je préfère confier mes angoisses à une amie qui me ressemble davantage. D'un autre côté, personne ne comprend mieux mon manque de confiance en moi que mes soeurs: elles le ressentent aussi, ça vient de notre éducation.»Un des obstacles fréquents qui guettent les relations entre soeurs est la jalousie. «Durant l'enfance, explique Vikki Stark, nos soeurs nous servent de miroir: est-elle plus belle, plus populaire que nous? Cette tendance crée naturellement de la jalousie.»
Les rivalités naissent bien souvent de la relation avec les parents, poursuit Marie Portelance, thérapeute et directrice générale du Centre de relation d'aide de Montréal. «Par exemple, une fille qui voit sa soeur comme une menace à la satisfaction de ses besoins affectifs peut adopter un comportement défensif, lui faire mal ou la dénigrer. Si les parents ne sont pas attentifs au besoin de reconnaissance de leurs enfants, s'ils les comparent et ne les guident pas dans la résolution des conflits, la relation dégénère.» Et s'ils condamnent la jalousie de leur fille, cette dernière souffrira de leur rejet, ce qui ne fera qu'amplifier la rivalité, ajoute Vikki Stark.
La jalousie peut aussi se manifester à l'adolescence, si le corps des deux soeurs ne se développe pas en même temps, par exemple, ou encore à l'âge adulte, parce que l'une des deux jouit d'une meilleure situation professionnelle. «Mais elle se manifeste plus subtilement: on balance des platitudes à l'autre ou on adopte une attitude très froide», illustre Marie Portelance.
Pour atténuer cette rivalité, il faut travailler sur soi, soutient Vikki Stark, car la jalousie reflète un manque d'estime personnelle. «Cela prend de la discipline, mais il faut cesser de se comparer, accepter nos différences et être fière de nos réalisations.» Si on n'y arrive pas seule, on peut aller chercher de l'aide auprès d'un psychologue.
Marie Portelance explique par ailleurs que les soeurs qui ont de bonnes relations sont souvent celles qui n'ont pas été mises en opposition par leurs parents, qui ont été appréciées pour leurs qualités distinctes. «En plus d'avoir une bonne communication et de respecter le territoire de l'autre - en ne se mêlant pas de sa vie familiale, par exemple -, elles savent reconnaître et admirer l'autre sans se dénigrer.»Certains événements familiaux peuvent souder les liens entre soeurs. «Dans un milieu dysfonctionnel, par exemple, elles peuvent devenir très solidaires et faire front commun pour s'autoéduquer», souligne Florence Marcil Denault. L'écart d'âge et le rang dans la famille influencent également la nature de nos relations. Carole, 44 ans, la dernière d'une famille de neuf enfants dont sept filles, trouve que son statut de benjamine nuit à ses relations avec ses soeurs.
«Elles sont incapables de me voir autrement que comme le bébé de la famille, voire comme une étudiante. C'est réducteur et décevant.» De son côté, l'aînée peut avoir du mal à cesser de materner ses jeunes soeurs. Quant à celle du milieu, dont le rôle est moins bien défini, elle doit être inventive pour attirer l'attention. «C'est souvent le clown de la famille», illustre Vikki Stark.
Même si on aura toujours le même rang, on ne doit pas conclure pour autant que les rôles sont immuables. «Les positions peuvent changer. La famille n'est que le point de départ vers la socialisation. Dans notre travail, dans nos amours, on peut prendre d'autres rôles», explique Maryse Vaillant, psychologue clinicienne et coauteure du livre Entre soeurs, une question de féminité. Si, à Noël, la plus jeune joue avec les enfants pendant que la grande prépare le souper, les rôles ne changeront pas. Il faut agir en conséquence. La cadette pourrait donc organiser la fête familiale au lieu de laisser l'aînée s'en charger. On peut aussi aborder le sujet ouvertement, expliquer comment on aimerait être considérée. «Mais il faut se donner du temps, met en garde Vikki Stark. Cela peut prendre plusieurs années avant que les attitudes changent.»
Carole a décidé de laisser le temps arranger les choses. «Je ne prends plus le rôle de petite que mes soeurs veulent me donner. Mais je constate que ce n'est pas facile pour elles: me chouchouter, c'est ancré dans leurs gènes!»Pour Marie Portelance, les mauvaises relations entre soeurs sont le signe qu'une blessure s'est installée. Pour régler le conflit, il faut se parler. «Mais blâmer l'autre ne donnera rien, avertit la thérapeute. Il faut lui dire ce qu'on a ressenti, ce qui nous a éloignées et ce dont on a besoin.»
«Parfois, il n'y a pas d'événement précis lié à la dégradation de la relation, poursuit Maryse Vaillant. On s'est éloignées graduellement. Ce n'est pas la peine d'aller gratter: on peut juste reprendre contact pour démarrer une autre histoire. Notre soeur, c'est un peu une partie de nous-même. Lui pardonner permet de vieillir dans la sérénité.»
Mais si la relation avec notre soeur n'apporte vraiment rien de bon, il peut être nécessaire de couper les liens, soutient Vikki Stark. «Pour préserver notre santé mentale, le geste le plus sain est parfois de se retirer et de poursuivre notre vie.» À la fin de l'été dernier, Carole a rompu les liens avec une de ses soeurs avec qui elle a toujours eu une relation conflictuelle. «Elle est venue en voyage avec mon conjoint, ma fille et moi. L'expérience a été difficile. Elle passait des commentaires désobligeants sur mon couple, portait des jugements sur ma vie. J'ai compris qu'on n'était pas proches du tout. Cela m'a déçue, mais j'ai décidé que ça ne valait pas la peine d'investir dans cette relation. On a beau être soeurs, j'estime qu'elle ne me doit rien, et je n'attends rien d'elle non plus.»
Vikki Stark conseille toutefois de ne pas prendre nos distances de façon trop dramatique. «Pour ne pas empoisonner la vie de toute la famille, on peut participer aux rencontres même si notre soeur est présente, la saluer sans pousser la conversation. Autrement, on crée un malaise chez tous les membres de la famille, et c'est injuste pour eux.» Carole partage ce point de vue. «Je vais continuer à voir ma soeur dans les réunions familiales et agir avec politesse. Pour moi, couper les liens, cela signifie d'arrêter de m'investir dans une relation qui ne fonctionne pas.»
La thérapeute soutient en outre que réduire nos attentes peut souvent améliorer la relation. Il est possible que deux soeurs ne soient jamais proches simplement parce qu'elles sont trop différentes et n'ont pas d'intérêts communs. «On attend beaucoup de notre famille. Mais on ne la choisit pas comme des amis, et elle non plus. On doit faire de notre mieux pour avoir des relations correctes, sans exiger des liens intimes. À mon avis, côtoyer une personne très différente nous fait grandir. On apprend ainsi à s'adapter et à accepter nos différences.»
Des hauts et des bas
Renée et Annie Comtois, 30 et 28 ans
«Quand j'étais petite, ma soeur me dérangeait parce qu'elle prenait beaucoup de place, avoue Renée. Sa personnalité extravertie contraste avec mon caractère discret. Je l'ignorais dans la cour d'école, je ne voulais pas qu'on sache que c'était ma soeur.»
Annie reconnaît que la relation n'a pas toujours été facile. «Petite, je me voyais comme le mouton noir de la famille, dit-elle. Renée était proche de mes parents, et je les sentais tournés contre moi. À l'adolescence, on a connu des hauts et des bas, surtout parce que j'avais l'air plus vieille qu'elle.» «Elle a été la première à avoir des chums, confirme Renée. Je trouvais difficile de la voir vivre certaines expériences avant moi. En même temps, Annie me faisait connaître des gens et elle m'a aidée à sortir de ma timidité.»
À l'âge adulte, elles ont continué de vivre certaines frictions. «Surtout par rapport à nos orientations professionnelles, précise Annie. Renée n'approuvait pas mon choix de devenir chanteuse. Maintenant, elle réalise que je suis sérieuse et elle m'encourage, ça me fait plaisir. Malgré nos différences, on se parle tous les jours. Je la considère comme une de mes meilleures amies.» De son côté, Renée a nommé sa soeur marraine de sa fille. «Annie est l'une des personnes les plus importantes pour moi. Je sais qu'elle sera toujours là. On est heureuses dans nos vies, moi avec ma famille, elle dans le monde des arts. Cela rend nos relations plus harmonieuses.»Une sœur en cadeau
Marie-Hélène et Annie-Claude Fortin, 38 et 25 ans
«J'avais 13 ans quand Annie-Claude est née. Son arrivée a été un événement merveilleux pour mes parents, mon frère et moi. C'était notre bébé chéri», raconte Marie-Hélène, qui a énormément cajolé sa petite soeur.
Pour Annie-Claude, Marie-Hélène n'était pas une soeur ordinaire. «Je la voyais comme une tante spéciale. C'était mon modèle. Elle est partie étudier au cégep à 16 ans: je n'ai pas le souvenir d'avoir vécu avec elle dans la même maison. À l'adolescence, ma soeur calmait les petits conflits que je vivais avec mes parents. Elle agissait comme médiatrice.»
Aujourd'hui, les deux soeurs habitent tout près et se voient régulièrement. Même adulte, chacune garde son rôle. «J'ai souvent le réflexe de la materner, dit Marie-Hélène, et ça me choque!» De son côté, Annie-Claude avoue ne pas confier à sa soeur tout ce qu'elle raconte à une amie de son âge. «On n'a pas toujours le même langage.»
Alors qu'Annie-Claude attend son premier enfant, Marie-Hélène, qui a déjà un garçon de 4 ans, croit que cette naissance modifiera leur relation et qu'elles deviendront des confidentes à titre de mamans. «Je le souhaite, mais je ne veux rien forcer!»
Soeurs solidaires
Danielle et Denise Laniel, 50 et 46 ans
«Avec ma soeur, je suis vraie à 100 %», confie Danielle. Des liens forts se sont tissés entre elles au fil du temps. Parce que leur mère souffrait de problèmes de santé mentale, Danielle a quitté l'école à 13 ans pour prendre soin de ses quatre frères et de sa soeur. «Mais je n'étais pas très proche de Denise, dit-elle. Et quand j'avais la chance de sortir de la maison, je ne voulais surtout pas la traîner avec moi.» À l'époque, Denise n'était pas pleinement consciente des responsabilités qui incombaient à sa grande soeur. «On ne se connaissait pas vraiment.»
Les deux femmes se sont rapprochées au début de la vingtaine, lorsqu'elles ont quitté la maison familiale. Elles se sont mariées et ont eu leurs enfants presque en même temps. «Comme nous n'avions pas vraiment eu de modèle de mère, nous nous sommes naturellement tournées l'une vers l'autre, explique Denise. On échangeait sur les façons d'éduquer nos enfants. Quand ils étaient bébés, on s'appelait tous les jours!»
«Pour moi, on est sur un pied d'égalité, dit Danielle. J'aime que Denise connaisse tous mes travers et m'accepte comme je suis.» «Les événements de notre enfance ont soudé notre relation, constate Denise. Vivre avec une mère dépressive à une époque où la maladie mentale était taboue, personne ne le comprend mieux que ma soeur.»
Quand Danielle s'est séparée, il y a huit ans, c'est auprès de sa soeur qu'elle a trouvé du réconfort. «J'avais perdu mes repères. Être avec Denise, c'était comme rentrer à la maison.»
Une soeur, c'est bien, mais deux, c'est mieux!
Mylène, Sylvia et Michelle Khalil, 30, 29 et 28 ans
D'aussi loin qu'elles se souviennent, les soeurs Khalil ont toujours été unies. «Petites, on s'amusait beaucoup ensemble, se rappelle Mylène. On avait chacune nos amies, mais j'aimais bien emmener mes soeurs avec moi.» «Il arrivait que deux soeurs se liguent contre une autre, raconte Michelle, mais ça ne durait jamais longtemps. On s'échangeait les rôles: les deux plus vieilles contre la petite, les deux plus jeunes contre la grande, etc.» Leur parents ont toujours encouragé leur relation harmonieuse. «Pour eux, la famille est une valeur importante, dit Sylvia. Ils ont su nous l'inculquer.»
Leurs tempéraments compatibles contribuent sans doute à renforcer leur lien. «On chérit les mêmes valeurs», dit Mylène. «Et on a plusieurs goûts en commun, ajoute Michelle. Plus on vieillit, plus ça devient évident.»
Sylvia, l'enfant du milieu, est loin de se sentir coincée entre ses deux soeurs. «Je n'imagine pas ma vie sans elles. J'aime les relations que j'entretiens avec chacune. J'admire la détermination et le leadership de ma grande sœur, et j'apprécie le côté relax de ma petite soeur.»
«J'ai une confiance aveugle en elles, confie Michelle. Dans les moments difficiles, c'est plus réconfortant de me tourner vers mes soeurs que vers des amies, parce que je sais qu'elles prendront toujours ma défense!»
Pour en savoir plusEntre soeurs, une question de féminité, par Sophie Carquain et Maryse Vaillant, Albin Michel, 2008, 288 p., 29,95 $. Ma soeur et moi, par Vikki Stark, Éditions du Roseau, 2007, 320 p., 24,95 $. Vol 25 No 12 Février 08 Nom du document : Soeurs fev09* Page 10 sur 10
Pour son livre Ma soeur et moi, la thérapeute familiale Vikki Stark a recueilli les témoignages de 400 femmes. Elle confirme que les liens entre soeurs sont forts. «Ils sont plus intenses que ceux entre deux frères ou entre une soeur et un frère. Notre société met beaucoup de pression sur les femmes pour qu'elles entretiennent de bonnes relations avec leurs soeurs, alors qu'un homme peut ne pas s'entendre avec son frère sans s'en inquiéter outre mesure.
Quand une femme ne réussit pas à développer des rapports harmonieux avec la personne qui partage non seulement son code génétique, mais également son sexe, elle pense que quelque chose cloche chez elle.» Quand la relation est bonne, le lien entre soeurs peut être plus fort que tout, affirme la psychologue Florence Marcil Denault. «Cela se traduit par un soutien inconditionnel qui existe rarement chez les amies.» C'est ce que vivent Annie et Renée. «Si Annie n'était pas ma soeur, je ne pense pas qu'on serait amies, dit Renée. On est bien trop différentes! Mais le lien qui nous unit est plus puissant que l'amitié. On se dit tout, le bon comme le mauvais, alors qu'avec une amie on mettrait des gants blancs. Je sais que je peux compter sur elle quoi qu'il arrive.»
Dans ses recherches, Vikki Stark a constaté que 10 % des soeurs sont très proches, assez pour s'appeler plusieurs fois par jour. La même proportion vit une relation conflictuelle, alors que 80 % ont une entente correcte. «Elles se rencontrent quelques fois par année et ne se racontent pas tout», note-t-elle. Sylvie (nom fictif), 50 ans, fait partie de ce groupe: elle s'entend bien avec ses deux soeurs, mais ne les considère pas comme ses confidentes. «J'y vais selon nos affinités. J'ai tendance à m'inquiéter facilement, alors que ma soeur aînée est toujours en contrôle. Je préfère confier mes angoisses à une amie qui me ressemble davantage. D'un autre côté, personne ne comprend mieux mon manque de confiance en moi que mes soeurs: elles le ressentent aussi, ça vient de notre éducation.»Un des obstacles fréquents qui guettent les relations entre soeurs est la jalousie. «Durant l'enfance, explique Vikki Stark, nos soeurs nous servent de miroir: est-elle plus belle, plus populaire que nous? Cette tendance crée naturellement de la jalousie.»
Les rivalités naissent bien souvent de la relation avec les parents, poursuit Marie Portelance, thérapeute et directrice générale du Centre de relation d'aide de Montréal. «Par exemple, une fille qui voit sa soeur comme une menace à la satisfaction de ses besoins affectifs peut adopter un comportement défensif, lui faire mal ou la dénigrer. Si les parents ne sont pas attentifs au besoin de reconnaissance de leurs enfants, s'ils les comparent et ne les guident pas dans la résolution des conflits, la relation dégénère.» Et s'ils condamnent la jalousie de leur fille, cette dernière souffrira de leur rejet, ce qui ne fera qu'amplifier la rivalité, ajoute Vikki Stark.
La jalousie peut aussi se manifester à l'adolescence, si le corps des deux soeurs ne se développe pas en même temps, par exemple, ou encore à l'âge adulte, parce que l'une des deux jouit d'une meilleure situation professionnelle. «Mais elle se manifeste plus subtilement: on balance des platitudes à l'autre ou on adopte une attitude très froide», illustre Marie Portelance.
Pour atténuer cette rivalité, il faut travailler sur soi, soutient Vikki Stark, car la jalousie reflète un manque d'estime personnelle. «Cela prend de la discipline, mais il faut cesser de se comparer, accepter nos différences et être fière de nos réalisations.» Si on n'y arrive pas seule, on peut aller chercher de l'aide auprès d'un psychologue.
Marie Portelance explique par ailleurs que les soeurs qui ont de bonnes relations sont souvent celles qui n'ont pas été mises en opposition par leurs parents, qui ont été appréciées pour leurs qualités distinctes. «En plus d'avoir une bonne communication et de respecter le territoire de l'autre - en ne se mêlant pas de sa vie familiale, par exemple -, elles savent reconnaître et admirer l'autre sans se dénigrer.»Certains événements familiaux peuvent souder les liens entre soeurs. «Dans un milieu dysfonctionnel, par exemple, elles peuvent devenir très solidaires et faire front commun pour s'autoéduquer», souligne Florence Marcil Denault. L'écart d'âge et le rang dans la famille influencent également la nature de nos relations. Carole, 44 ans, la dernière d'une famille de neuf enfants dont sept filles, trouve que son statut de benjamine nuit à ses relations avec ses soeurs.
«Elles sont incapables de me voir autrement que comme le bébé de la famille, voire comme une étudiante. C'est réducteur et décevant.» De son côté, l'aînée peut avoir du mal à cesser de materner ses jeunes soeurs. Quant à celle du milieu, dont le rôle est moins bien défini, elle doit être inventive pour attirer l'attention. «C'est souvent le clown de la famille», illustre Vikki Stark.
Même si on aura toujours le même rang, on ne doit pas conclure pour autant que les rôles sont immuables. «Les positions peuvent changer. La famille n'est que le point de départ vers la socialisation. Dans notre travail, dans nos amours, on peut prendre d'autres rôles», explique Maryse Vaillant, psychologue clinicienne et coauteure du livre Entre soeurs, une question de féminité. Si, à Noël, la plus jeune joue avec les enfants pendant que la grande prépare le souper, les rôles ne changeront pas. Il faut agir en conséquence. La cadette pourrait donc organiser la fête familiale au lieu de laisser l'aînée s'en charger. On peut aussi aborder le sujet ouvertement, expliquer comment on aimerait être considérée. «Mais il faut se donner du temps, met en garde Vikki Stark. Cela peut prendre plusieurs années avant que les attitudes changent.»
Carole a décidé de laisser le temps arranger les choses. «Je ne prends plus le rôle de petite que mes soeurs veulent me donner. Mais je constate que ce n'est pas facile pour elles: me chouchouter, c'est ancré dans leurs gènes!»Pour Marie Portelance, les mauvaises relations entre soeurs sont le signe qu'une blessure s'est installée. Pour régler le conflit, il faut se parler. «Mais blâmer l'autre ne donnera rien, avertit la thérapeute. Il faut lui dire ce qu'on a ressenti, ce qui nous a éloignées et ce dont on a besoin.»
«Parfois, il n'y a pas d'événement précis lié à la dégradation de la relation, poursuit Maryse Vaillant. On s'est éloignées graduellement. Ce n'est pas la peine d'aller gratter: on peut juste reprendre contact pour démarrer une autre histoire. Notre soeur, c'est un peu une partie de nous-même. Lui pardonner permet de vieillir dans la sérénité.»
Mais si la relation avec notre soeur n'apporte vraiment rien de bon, il peut être nécessaire de couper les liens, soutient Vikki Stark. «Pour préserver notre santé mentale, le geste le plus sain est parfois de se retirer et de poursuivre notre vie.» À la fin de l'été dernier, Carole a rompu les liens avec une de ses soeurs avec qui elle a toujours eu une relation conflictuelle. «Elle est venue en voyage avec mon conjoint, ma fille et moi. L'expérience a été difficile. Elle passait des commentaires désobligeants sur mon couple, portait des jugements sur ma vie. J'ai compris qu'on n'était pas proches du tout. Cela m'a déçue, mais j'ai décidé que ça ne valait pas la peine d'investir dans cette relation. On a beau être soeurs, j'estime qu'elle ne me doit rien, et je n'attends rien d'elle non plus.»
Vikki Stark conseille toutefois de ne pas prendre nos distances de façon trop dramatique. «Pour ne pas empoisonner la vie de toute la famille, on peut participer aux rencontres même si notre soeur est présente, la saluer sans pousser la conversation. Autrement, on crée un malaise chez tous les membres de la famille, et c'est injuste pour eux.» Carole partage ce point de vue. «Je vais continuer à voir ma soeur dans les réunions familiales et agir avec politesse. Pour moi, couper les liens, cela signifie d'arrêter de m'investir dans une relation qui ne fonctionne pas.»
La thérapeute soutient en outre que réduire nos attentes peut souvent améliorer la relation. Il est possible que deux soeurs ne soient jamais proches simplement parce qu'elles sont trop différentes et n'ont pas d'intérêts communs. «On attend beaucoup de notre famille. Mais on ne la choisit pas comme des amis, et elle non plus. On doit faire de notre mieux pour avoir des relations correctes, sans exiger des liens intimes. À mon avis, côtoyer une personne très différente nous fait grandir. On apprend ainsi à s'adapter et à accepter nos différences.»
Des hauts et des bas
Renée et Annie Comtois, 30 et 28 ans
«Quand j'étais petite, ma soeur me dérangeait parce qu'elle prenait beaucoup de place, avoue Renée. Sa personnalité extravertie contraste avec mon caractère discret. Je l'ignorais dans la cour d'école, je ne voulais pas qu'on sache que c'était ma soeur.»
Annie reconnaît que la relation n'a pas toujours été facile. «Petite, je me voyais comme le mouton noir de la famille, dit-elle. Renée était proche de mes parents, et je les sentais tournés contre moi. À l'adolescence, on a connu des hauts et des bas, surtout parce que j'avais l'air plus vieille qu'elle.» «Elle a été la première à avoir des chums, confirme Renée. Je trouvais difficile de la voir vivre certaines expériences avant moi. En même temps, Annie me faisait connaître des gens et elle m'a aidée à sortir de ma timidité.»
À l'âge adulte, elles ont continué de vivre certaines frictions. «Surtout par rapport à nos orientations professionnelles, précise Annie. Renée n'approuvait pas mon choix de devenir chanteuse. Maintenant, elle réalise que je suis sérieuse et elle m'encourage, ça me fait plaisir. Malgré nos différences, on se parle tous les jours. Je la considère comme une de mes meilleures amies.» De son côté, Renée a nommé sa soeur marraine de sa fille. «Annie est l'une des personnes les plus importantes pour moi. Je sais qu'elle sera toujours là. On est heureuses dans nos vies, moi avec ma famille, elle dans le monde des arts. Cela rend nos relations plus harmonieuses.»Une sœur en cadeau
Marie-Hélène et Annie-Claude Fortin, 38 et 25 ans
«J'avais 13 ans quand Annie-Claude est née. Son arrivée a été un événement merveilleux pour mes parents, mon frère et moi. C'était notre bébé chéri», raconte Marie-Hélène, qui a énormément cajolé sa petite soeur.
Pour Annie-Claude, Marie-Hélène n'était pas une soeur ordinaire. «Je la voyais comme une tante spéciale. C'était mon modèle. Elle est partie étudier au cégep à 16 ans: je n'ai pas le souvenir d'avoir vécu avec elle dans la même maison. À l'adolescence, ma soeur calmait les petits conflits que je vivais avec mes parents. Elle agissait comme médiatrice.»
Aujourd'hui, les deux soeurs habitent tout près et se voient régulièrement. Même adulte, chacune garde son rôle. «J'ai souvent le réflexe de la materner, dit Marie-Hélène, et ça me choque!» De son côté, Annie-Claude avoue ne pas confier à sa soeur tout ce qu'elle raconte à une amie de son âge. «On n'a pas toujours le même langage.»
Alors qu'Annie-Claude attend son premier enfant, Marie-Hélène, qui a déjà un garçon de 4 ans, croit que cette naissance modifiera leur relation et qu'elles deviendront des confidentes à titre de mamans. «Je le souhaite, mais je ne veux rien forcer!»
Soeurs solidaires
Danielle et Denise Laniel, 50 et 46 ans
«Avec ma soeur, je suis vraie à 100 %», confie Danielle. Des liens forts se sont tissés entre elles au fil du temps. Parce que leur mère souffrait de problèmes de santé mentale, Danielle a quitté l'école à 13 ans pour prendre soin de ses quatre frères et de sa soeur. «Mais je n'étais pas très proche de Denise, dit-elle. Et quand j'avais la chance de sortir de la maison, je ne voulais surtout pas la traîner avec moi.» À l'époque, Denise n'était pas pleinement consciente des responsabilités qui incombaient à sa grande soeur. «On ne se connaissait pas vraiment.»
Les deux femmes se sont rapprochées au début de la vingtaine, lorsqu'elles ont quitté la maison familiale. Elles se sont mariées et ont eu leurs enfants presque en même temps. «Comme nous n'avions pas vraiment eu de modèle de mère, nous nous sommes naturellement tournées l'une vers l'autre, explique Denise. On échangeait sur les façons d'éduquer nos enfants. Quand ils étaient bébés, on s'appelait tous les jours!»
«Pour moi, on est sur un pied d'égalité, dit Danielle. J'aime que Denise connaisse tous mes travers et m'accepte comme je suis.» «Les événements de notre enfance ont soudé notre relation, constate Denise. Vivre avec une mère dépressive à une époque où la maladie mentale était taboue, personne ne le comprend mieux que ma soeur.»
Quand Danielle s'est séparée, il y a huit ans, c'est auprès de sa soeur qu'elle a trouvé du réconfort. «J'avais perdu mes repères. Être avec Denise, c'était comme rentrer à la maison.»
Une soeur, c'est bien, mais deux, c'est mieux!
Mylène, Sylvia et Michelle Khalil, 30, 29 et 28 ans
D'aussi loin qu'elles se souviennent, les soeurs Khalil ont toujours été unies. «Petites, on s'amusait beaucoup ensemble, se rappelle Mylène. On avait chacune nos amies, mais j'aimais bien emmener mes soeurs avec moi.» «Il arrivait que deux soeurs se liguent contre une autre, raconte Michelle, mais ça ne durait jamais longtemps. On s'échangeait les rôles: les deux plus vieilles contre la petite, les deux plus jeunes contre la grande, etc.» Leur parents ont toujours encouragé leur relation harmonieuse. «Pour eux, la famille est une valeur importante, dit Sylvia. Ils ont su nous l'inculquer.»
Leurs tempéraments compatibles contribuent sans doute à renforcer leur lien. «On chérit les mêmes valeurs», dit Mylène. «Et on a plusieurs goûts en commun, ajoute Michelle. Plus on vieillit, plus ça devient évident.»
Sylvia, l'enfant du milieu, est loin de se sentir coincée entre ses deux soeurs. «Je n'imagine pas ma vie sans elles. J'aime les relations que j'entretiens avec chacune. J'admire la détermination et le leadership de ma grande sœur, et j'apprécie le côté relax de ma petite soeur.»
«J'ai une confiance aveugle en elles, confie Michelle. Dans les moments difficiles, c'est plus réconfortant de me tourner vers mes soeurs que vers des amies, parce que je sais qu'elles prendront toujours ma défense!»
Pour en savoir plus