Psychologie

La prosopagnosie: quand on n'arrive pas à reconnaître les gens

La prosopagnosie: quand on n'arrive pas à reconnaître les gens

  Photographe : Anne Villeneuve

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La prosopagnosie: quand on n'arrive pas à reconnaître les gens

Moi, snob? Embarrassée, plutôt. Pour moi, reconnaître un visage relève de la haute voltige, à moins de l’avoir vu très souvent ou d’avoir été marquée par certains détails. 

J’ai appris que mon problème est fort probablement de source neurologique et a un nom: la prosopagnosie.

 

Alors que certains semblent être nés avec un logiciel de reconnaissance faciale intégré, moi, j’ai souvent besoin de longues secondes pour associer les traits d’une personne croisée à l’improviste au bon dossier mental. J’oscille constamment entre une trop grande familiarité, souriant à pleines dents à de purs inconnus, et une envie de disparaître dans les fentes du plancher en un lieu que je sais rempli de gens croisés auparavant, mais que je n’arrive pas à identifier. Sans le nom et quelques indices, j’arrive rarement à savoir à qui appartient un visage.

Regarder des séries comme Succession, où les nombreux protagonistes semblent tous sortir du même moule et portent tous des complets sombres est un cauchemar. Je parviens difficilement à distinguer les personnages (heureusement, on trouve une femme rousse dans le lot!).

Le pire? Quand un visage est sorti du contexte où j’ai l’habitude de le voir. Je dis souvent à la blague, pour rassurer mes interlocuteurs – personne n’aime être «oubliable» – que je ne reconnaîtrais sans doute pas ma propre mère si je la rencontrais par hasard à des kilomètres de chez elle. J’argue que je suis «dans ma bulle», ce qui n’est pas faux. Mais suis-je constamment perdue dans mes pensées parce qu’elles sont plus rassurantes que les regards que je risque de croiser? Ou en suis-je venue à me réfugier dans ma tête parce qu’une éternelle distraite me semble mieux passer qu’une personne qui regarde les gens qui la saluent avec des points d’interrogation dans les yeux? Oui, je me pose aussi beaucoup (trop) de questions.

Heureusement, je ne suis pas la seule. «On ne sait pas si la prosopagnosie cause de l’anxiété sociale ou si c’est l’anxiété sociale qui cause de la prosopagnosie», m’explique le Dr Daniel Fiset, chercheur en neuroscience cognitive des visages à l’Université du Québec en Outaouais, qui me confie avoir lui-même beaucoup de mal à reconnaître les visages. Discuter avec lui a l’effet d’un baume. Il est l’un des rares scientifiques à avoir fait de la prosopagnosie, dont on parle depuis à peine une vingtaine d’années, l’un de ses champs d’expertise.

Selon lui, la plupart des neuropsychologues ne sauraient pas comment évaluer ce trouble tant il est méconnu. «Environ deux pour cent de la population souffre de prosopagnosie, selon les études les plus récentes», me dit-il. Je suis cependant loin des cas extrêmes: certaines personnes n’arrivent même pas à se reconnaître elles-mêmes dans le miroir! «Il faut faire la distinction entre la prosopagnosie occasionnée par des lésions cérébrales et la prosopagnosie développementale ou congénitale. Il y a une nuance très fine entre les deux. Dans le cas de la congénitale, on est né avec.»

Je comprends que ce trouble neurologique est un peu comme une sorte de «dyslexie des visages». Comme la prosopagnosie est généralement beaucoup moins handicapante que de ne pas pouvoir reconnaître les mots, personne ne nous guide, enfant, pour trouver des stratégies pour mieux fonctionner. J’ai beau me concentrer pour mémoriser les traits d’une personne, c’est peine perdue. Je vais me souvenir plus facilement d’une personne grâce à certains éléments distinctifs, comme des lunettes funky ou une abondante chevelure (relevée en chignon, je suis cuite!).

À la lumière de ma discussion avec le Dr Fiset, je réalise cependant que je ne coche pas toutes les cases du profil type. J’ai du mal à mémoriser les visages, mais je décode très bien les émotions de mes interlocuteurs. Les prosopagnosiques ne sont habituellement pas de grands lecteurs, alors que les livres font partie de ma vie depuis mon plus jeune âge.

Il n’existe aucun traitement miracle pour arrêter de confondre Elijah Wood et Daniel Radcliffe. Au fil du temps, j’ai trouvé mes propres trucs. Dans mon quartier, je reconnais mes voisins grâce à leurs chiens, leur démarche ou leur style. Je pose des questions ouvertes aux gens qui viennent me parler comme: «Que deviens-tu?» Je vais à la pêche aux indices pendant que mon carrousel mental scanne tous les albums de photos stockés dans ma mémoire, pas toujours aussi vive que je le souhaiterais. Mes autres sens ayant fréquemment dû compenser, je reconnais souvent les gens à leur voix. Le truc de Daniel Fiset? «J’attends que les gens me saluent avant de les saluer.» Alors, n’hésitez pas à m’envoyer la main si vous me croisez, je vous jure que je ne suis pas snob!

 

Pour plus d’info:

 

Marie-Julie est journaliste, autrice, chroniqueuse et ne se laisse pas freiner par la prosopagnosie.

 

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