Psychologie

Je suis hypersensible et alors?

Je suis hypersensible et alors?

  Photographe : Marie-Eve Tremblay / Colagene.com

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Je suis hypersensible et alors?

Pleurer ou exprimer ses émotions en public ne serait pas forcément bien vu. Comment s’en sortir dans un monde où la maîtrise de soi est très valorisée, quand on est hypersensible? Notre journaliste, une « pleureuse » assumée, s’est posé la question.

Je m’en confesse: je suis une hypersensible. Je pleure très souvent et un rien peut déclencher ma machine à larmes.

J’ai arrêté de compter les fois où j’ai braillé devant des collègues de travail (j’ai trop honte) ou que mes yeux se sont noyés dans l’eau saline devant des amis, parce que le sujet de discussion me titillait une corde sensible ou que le conflit a généré en moi des émotions que je n’ai pas su gérer autrement qu’en pleurant.

Même si c’est parfois difficile à croire, tout le monde pleure, mais pas n’importe où. Deux études européennes soutiennent qu’en moyenne, les femmes le font 47 fois par année, contre 15 petites fois pour les hommes. Sans surprise, les gens versent leurs larmes à la maison dans 77% des cas et, dans 40% des cas, ils le font seuls. Résultat, même dans les salons funéraires, les gens se retiennent de pleurer... Alors que, moi, je craque inévitablement, ce qui me place dans l’inconfortable situation de me faire consoler par la famille du défunt.

Si les oiseaux se cachent pour mourir, les humains, eux, se cachent donc pour pleurer. D’autant plus qu’à l’ère des réseaux sociaux, nos profils Facebook et Instagram entretiennent l’illusion que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Alors on ne voudrait pas être l’exception qui confirme la règle.

Est-ce donc devenu honteux de répandre ses larmes? Un signe de faiblesse? De manque de maîtrise de soi? Un peu tout ça, répond Amélie Seidah, psychologue clinicienne, qui confirme que des émotions plus désagréables, comme la tristesse, la peur et le doute, sont perçues comme des signes de vulnérabilité et de manque de maîtrise de soi. «Nous vivons dans une ère de performance, autant dans notre vie personnelle que professionnelle, et ça implique de performer dans la gestion de notre stress et de nos émotions, dit-elle. Comme s’il fallait ne plus rien ressentir, alors que c’est tout à fait humain et sain d’éprouver des émotions.»

Et s’il y a un milieu où il faut savoir gérer ses émotions, c’est bien au travail. C’est en tout cas ce que pense mon amie Mylène. «Je crois que la sensibilité ne nous sert pas, professionnellement parlant. Moi, c’est un côté de ma personnalité que je ne montre jamais au travail», me confie-t-elle. Et elle a raison. Kimberly Elsbach, professeure en management à l’Université de Californie à Davis, s’est intéressée aux gens qui pleurent au boulot. Ses conclusions? Les femmes se commettent davantage que les hommes... et c’est presque toujours mal perçu. On y voit, soit un signe de faiblesse, soit un manque de professionnalisme, voire une tentative de manipulation.

Bref, il faut être capable d’une certaine maîtrise de ses émotions pour ne pas nuire à sa carrière, surtout quand on est une femme. On a qu’à penser aux ministres Lise Thériault ou Rona Ambrose, qui ont toutes les deux été critiquées pour avoir «craqué», en s’effondrant devant les caméras. Parallèlement, un Barack Obama qui «verse une larme» en conférence de presse attire la sympathie des gens. «De manière générale, voir un homme devenir émotif sera perçu comme un signe d’humanité, alors que la femme sera davantage perçue comme fragile», déplore Amélie Seidah, soulignant que cette dichotomie est encore bien ancrée, même en 2017. Parce que c’est ça, le hic: si on craint de verser une larme en public, c’est parce qu’on a peur de se faire juger. Une crainte qui est malheureusement fondée. «Certains sont mal à l’aise de voir une personne pleurer, parce qu’ils se sentent impuissants face à la détresse de l’autre, mais aussi parce que ça les confronte à leurs propres émotions, explique la psychologue. Le réflexe de juger est parfois un mécanisme de protection. On se dit: ça ne m’arrivera pas à moi.»

S’il y a une chose qu’on ne peut pas contrôler, c’est bien le jugement des autres qui nous voient pleurer. Alors, peut-on au moins arrêter de nous juger nous-même de l’avoir fait? «Ce n’est pas tant le fait de pleurer qui nous fait souffrir, mais le jugement qu’on porte sur nous-même. Plus on accepte notre émotion, avec bienveillance et sans jugement, plus elle passera rapidement», précise la psychologue Amélie Seidah.

De plus, plusieurs experts avancent que pleurer serait bon pour la santé, puisque cela a généralement un effet libérateur en contribuant entre autres à diminuer l’intensité de l’émotion et à réduire le stress. Nous gagnerions donc comme société à laisser plus de place aux émotions, à nous montrer plus authentiques et compatissants, plus humains. Et si ça implique de verser une larme au passage, soit! Moi, je rêve d’une société plus sensible, d’un monde qui pleure plus souvent... et qui se permet de le faire en public.

Amélie Cournoyer est journaliste pigiste. La première chose qu’elle a faite à sa naissance, c’est pleurer... et elle n’a jamais arrêté depuis.

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