Facebook nous rend-il méchants?

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Danielle: «C'est moi, ou Facebook nous rend plus méchants?»
Valérie: «C'est quoi, cette question-là? Lâche ton écran, Danielle. Get a life

Si cette conversation s'était déroulée autour d'une table, on aurait peut-être compris que Valérie est une amie de longue date et qu'elle aime bien me taquiner sur mes grands questionnements existentiels. Peut-être aussi qu'elle trouvait ma question insignifiante. Mais aurait-elle osé le dire en personne? «Probablement pas, répond Caroline Caouette, une psychologue qui a longtemps travaillé en milieu scolaire. Parce que, même si Facebook n'est pas anonyme, il est plus facile d'y émettre un commentaire désobligeant. On ne voit pas les réactions de notre interlocuteur ni celles des autres lecteurs, dont on n'est d'ailleurs pas toujours conscient du nombre.»

En général, les choses se passent bien dans les réseaux sociaux. Selon les derniers chiffres disponibles, 1,317 milliard (!) d'humains sont inscrits à ce média social et échangent habituellement dans un climat agréable. C'est la perception d'Isabelle Bouthillier, une enseignante de 37 ans. «Mes amis se font des compliments et semblent s'apprécier. On aime recevoir une rétroaction positive après avoir publié un statut, des photos ou des liens, et je sens qu'un effort est fait en ce sens», fait-elle remarquer. Même écho du côté de la blogueuse Tatouée maman, 28 ans, qui constate toutefois une augmentation des maladresses et des insultes avec l'élargissement de sa communauté, qui compte maintenant plus de 10 000 personnes. «Une fois, cinq minutes avant d'aller travailler, je me suis souvenue qu'il fallait costumer fiston en Chinois pour son camp de jour, raconte-t-elle. Je l'ai déguisé avec les moyens du bord et j'ai publié la photo pour montrer ce qu'une mère était capable de faire en peu de temps. Eh bien, un homme m'a traitée de raciste parce qu'il trouvait mon costume trop caricatural!»

Et encore! Parfois, c'est beaucoup plus intense. Comme cet échange survenu récemment entre deux amateurs de hockey, partisans l'un de Montréal et l'autre de Toronto, au cours duquel les railleries se sont vite transformées en insultes, avant de virer aux menaces: «Je sais où tu habites, je vais te casser la figure...» Malaise.

Méchanceté derrière l'écran

Comme dans n'importe quelle situation sociale, tout peut basculer rapidement quand on oublie à qui et à combien de gens on parle. Ainsi, si en chair et en os, une phrase cinglante peut être entendue par une poignée de personnes, sur Facebook, elle peut être lue et partagée par plus de 500 personnes, si on tient compte de nos amis, de leurs amis et des amis de leurs amis. Sans compter qu'elle laissera des traces indélébiles qui pourraient avoir des répercussions désolantes sur nos amitiés, au travail ou lors d'un entretien d'embauche.

Même si elle a conscience d'être devenue une vedette des réseaux sociaux, Tatouée maman croit que Facebook encourage les gens à dire effrontément ce qu'ils pensent. «C'est dans l'air du temps de monter au front et de juger l'autre sur quelque chose comme l'allaitement, l'environnement ou la santé, explique-t-elle. Mais j'imagine mal quelqu'un m'arrêter dans la rue pour m'accuser de racisme à cause de mon fils costumé ou pointer mon mauvais choix santé en voyant la boîte de biscuits aux brisures de chocolat dans mon panier d'épicerie.»

Ces malvenus, bien qu'ils ne soient pas très nombreux, ont une présence très remarquée dans les réseaux sociaux. Nadia Seraiocco, blogueuse et conseillère en communications numériques, les qualifie de cowboys. «Ils voient passer un sujet dans leur fil de nouvelles et arrivent dans la conversation sans se soucier du ton ou de l'atmosphère qui règne dans le petit groupe. Un peu comme si quelqu'un débarquait dans notre salon pour nous insulter avec ses grosses bottes sales.»

Souvent, le cowboy a été ajouté à notre liste d'amis parce qu'il ou elle était dans notre classe à l'école secondaire, parce qu'il s'agit d'un lointain cousin ou parce qu'il habitait dans notre rue il y a 15 ans! «Il arrive aussi qu'on ne connaisse que certains aspects d'une personne. Par exemple, notre beau-père peut être un excellent grand-père, mais manquer totalement de tact ou être raciste dans ses propos », précise Mme Seraiocco.

Que fait-on, justement, quand le cowboy en question est notre beau-père ou notre soeur? «On clarifie la situation de vive voix, en parlant au "je" et on modifie nos paramètres de confidentialité avant de l'éliminer de notre liste d'amis et de créer un malaise dans la famille», soutient Sylvie Boucher, psychologue et coach en développement personnel.

Personnes sensibles (et goujats) s'abstenir

On active et désactive constamment notre compte? On annonce régulièrement devoir faire le grand ménage dans nos amitiés? Toute l'agitation de Facebook n'est peut-être pas faite pour nous. «Dans ma pratique, j'entends souvent des gens dire qu'ils sont blessés d'avoir été enlevés d'une liste d'amis, qu'ils se sentent oubliés parce que personne ne clique "J'aime" sous leurs statuts ou que leur vie est bien terne à côté de celle des autres, raconte la psychologue. Ma recommandation si on est le moindrement fragile au niveau de notre valeur personnelle ou très sensible à l'opinion d'autrui: s'abstenir d'aller sur Facebook ou travailler à bien cerner ce que ce réseau nous apporte réellement.»

On pourrait faire la même suggestion à ceux et celles à qui l'effet «bulle» de se retrouver seuls devant leur écran fait oublier toute censure et perdre toute notion de savoir-vivre. Peut-être, au fond, est-ce les mêmes qui se déchaînent dans les forums, deviennent fous d'impatience dès qu'ils tiennent un volant entre leurs mains et perdent toute retenue lorsqu'ils s'assoient dans les estrades d'un aréna pour une partie de hockey mineur. Évidemment, ils n'en tiendraient pas compte et pourraient même «pogner les nerfs», mais ça mériterait d'être dit...

Commentateurs improvisés

Martin Lessard, blogueur et spécialiste en stratégies Web et médias sociaux, a une thèse intéressante sur le sujet. Selon lui, pour une première fois dans l'histoire, les lecteurs se retrouvent au même niveau que les rédacteurs et les vedettes. «Ils découvrent leur pouvoir et peuvent se reprendre pour leurs années de silence, note-t-il. Très peu de gens ont la chance de pouvoir parler dans les espaces médiatiques traditionnels, et cette rareté crée une envie, qui se transforme parfois en méchanceté.»

Bref, nous vivons les premiers balbutiements de la spontanéité écrite et de l'écriture publique. «Avant Facebook, explique Martin Lessard, plusieurs personnes n'avaient pas écrit depuis leurs études secondaires ou collégiales. Elles découvrent donc l'écriture et le plaisir de donner leur opinion, mais elles ne réalisent pas à quel point elles peuvent être lues ou mal interprétées ni que leurs écrits restent. Avec les années, il se développera certainement une éthique de l'écrit et chacun sera plus responsable des traces qu'il laisse sur la Toile», conclut-il.

La clé, au final, c'est peut-être d'accorder à Facebook la juste place qui lui revient dans notre vie: un outil de communication et de socialisation, et pas un exutoire pour notre ego, nos désirs et nos frustrations.

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