Psychologie

Doit-on écouter nos peurs?

Doit-on écouter nos peurs?

  Photographe : Getty Images

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Doit-on écouter nos peurs?

Les chiens, le jugement des autres, les dentistes, les microbes, le rejet... La liste des peurs s’allonge à l’infini. Jadis nécessaire à notre survie, la peur nous est-elle encore utile aujourd’hui? Et comment gérer cette émotion pénible, qui nous paralyse parfois et nous empêche de nous épanouir? 

C'est elle qui se cachait derrière la frénésie d’achat de papier hygiénique en réponse à la pandémie de coronavirus. La peur d’en manquer. Bien qu’elle puisse nous faire adopter de curieux comportements, il ne faut pas oublier que la peur a assuré la survie de l’être humain pendant des millénaires.

Certaines peurs sont devenues des instincts, d’autres nous ont été transmises durant l’enfance ou à l’occasion d’une mauvaise expérience.

«À la base de toutes les peurs, il y a un instinct de survie. La peur est une alarme qui sonne face à un danger ou à une menace et qui nous dit de faire attention. C’est une émotion qui veut nous protéger du mal», explique Camillo Zacchia, psychologue clinicien et vice-président de Phobies-Zéro.

C’est, entre autres, elle qui nous amène à ralentir lorsque les routes sont enneigées, qui nous encourage à arrêter de fumer, qui nous fait porter un casque pour rouler à vélo et qui nous rappelle de ne pas jouer avec le feu.

Le psychologue regroupe toutes les peurs possibles et imaginables en trois grandes catégories: la peur de la mort ou de la maladie (tout ce qui menace l’intégrité du corps), la peur de l’aliénation mentale (de perdre le contrôle, de devenir fou) et la peur d’être jugé (tout ce qui menace l’image, la réputation).

«En résumé, on a peur de mourir, de devenir fou ou d’avoir l’air fou», reformule Camillo Zacchia. Certains, comme la psychiatre spécialisée en soins palliatifs Elisabeth Kübler-Ross, vont plus loin en affirmant que toutes nos peurs tirent leur origine d’une seule source: la peur de la mort.

 

Anatomie de la peur

Lors d’une randonnée en forêt, si l’on croise un ours par hasard, le corps se figera, mais le cerveau déclenchera une cascade de réactions: le thalamus (qui relaie l’information sensorielle) enverra un signal de danger à l’amygdale (notre système d’alarme) qui, elle, stimulera le système nerveux sympathique.

Deux hormones seront alors libérées dans le sang, le cortisol et l’adrénaline, entraînant une série de changements physiques: augmentation de l’activité cardiaque et respiratoire, de la sudation et de l’irrigation sanguine vers les muscles, ralentissement de l’activité digestive, dilatation des pupilles.

D’autres signes physiques pourront également se manifester: palpitations, vertiges, tremblements, serrement dans la gorge, boule dans l’estomac, mains moites, chair de poule. «Le corps est en plein fight-or-flight response [«réponse combat-fuite», en français], c’est-à-dire que, devant la menace, deux choix sont possibles pour survivre: combattre ou fuir», souligne le psychologue. 

Selon Samuel Veissière, anthropologue et professeur adjoint au Département de psychiatrie de l’Université McGill, la peur est une émotion qui a eu beaucoup d’avantages du point de vue de notre évolution, puisqu’elle nous permet d’être alertes et proactifs dans les conditions où se trouvent de véritables risques.

«Le problème, c’est que, dans des sociétés riches et sécuritaires comme la nôtre, qui n’a pas connu de guerre ni de famine depuis trois générations et qui a un taux de criminalité très bas, cette émotion est inadaptée», soutient-il.

Ce qu’il faut savoir, c’est que le cerveau réagit à peu près de la même façon, que le danger soit réel (un ours) ou imaginé (peur de la maladie). «Une des hypothèses de beaucoup de scientifiques, c’est que les mécanismes de notre cerveau qui détectent la menace ne sont plus adaptés à nos conditions de vie actuelles, poursuit l’anthropologue.

On a conservé cette tendance à interpréter les menaces et les dangers qui nous a jadis bien servi, mais qui a évolué vers le catastrophisme. Résultat, de nos jours, la plupart des peurs sont souvent irrationnelles ou disproportionnées.»

 

Peur

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Se protéger sans se limiter

Emprunter les escaliers plutôt que prendre l’ascenseur, refuser une opération qui requiert une anesthésie, décliner une promotion qui implique de prendre la parole en public, voilà toutes des stratégies d’évitement qui amplifient la peur au lieu de la calmer. «Ce n’est pas facile, mais il faut apprendre à affronter les peurs qui ne sont pas dangereuses.

En les affrontant, la plupart des gens réussissent à les surmonter», note Camillo Zacchia. Mais attention: surmonter une peur n’est pas un exploit qui se réussit en une seule fois. Pour les peurs «physiques» ou «externes», celles des ponts, des souris ou du sang, c’est en s’y exposant de façon progressive et répétée que l’on accumulera les expériences positives et que l’on parviendra à se débarrasser des schèmes de pensée qui nous font trembler.

Pour les peurs «mentales» ou «internes», il est recommandé de s’interroger sur la cause profonde ou la raison précise qui les provoque. La peur de perdre ses cheveux, par exemple, peut en dissimuler une autre, plus profonde, qui peut être celle du rejet ou de la solitude.

Il en va de même pour les peurs générales, qui en cachent de plus spécifiques: la peur de parler en public pourrait en fait être la peur de l’échec ou du jugement. «Il faut se défaire de l’idée que si on a peur, c’est parce qu’il y a un réel danger. L’objectif est d’apprendre que l’on n’a pas échappé au danger; il n’y en avait tout simplement pas», précise le psychologue.

Pour apprendre à gérer la peur, plusieurs avenues sont possibles. Les thérapies cognitivo-comportementales s’avèrent efficaces pour restructurer la pensée afin d’interpréter la peur de façon plus rationnelle et moins angoissante. Les techniques de respiration contribuent quant à elles à diminuer le stress et l’anxiété.

La méditation de pleine conscience peut également être très aidante, parce qu’elle instaure un état de calme en amenant la personne à se recentrer sur le moment présent et à accueillir ses pensées et émotions de façon bienveillante, sans jugement.

«Même si les émotions qu’elle nous fait vivre ou les pensées qui en découlent ne sont pas toujours agréables, la peur nous donne toujours de l’information sur nous-mêmes. C’est une amie qui est là pour nous protéger. Elle devient une ennemie seulement quand elle est trop accaparante. Pour toutes les peurs, l’objectif est donc de trouver une dose fonctionnelle, qui nous protège sans trop nous limiter», conclut le psychologue. 

 

 

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