Couple

Le couple face à la maladie

Le couple face à la maladie

Marie-�ve Tremblay / colagene.com Photographe : Marie-�ve Tremblay / colagene.com Auteur : Coup de Pouce

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Le couple face à la maladie

On s’engage en amour pour le meilleur et pour le pire, c’est vrai, mais en espérant toujours le meilleur. Car rien ne prépare un couple au tsunami de la maladie.

L'humain est ainsi fait... Quand on est heureux, on ne se dit jamais: «J'ai eu ma part, c'est bon, je vais en laisser aux autres.» On souhaite plutôt que ça continue, que ça augmente même.

Il en est ainsi en amour. À ce titre, je dis souvent que j'ai gagné le jackpot à la loterie amoureuse. Un homme drôle, sensible, fin comme tout, tellement qu'on lui pardonne presque les bas qu'il laisse encore traîner dans la salle de bains.

La vie nous a gâtés: amour, complicité, deux garçons. Et après, une fatigue anormalement grande. Des maux de ventre, d'abord discrets, puis de plus en plus insistants. Un spécialiste, un autre. Un test, un autre. Jusqu'au jour ironiquement splendide de mai où un médecin spécialiste m'a annoncé, les larmes aux yeux: «Je suis désolé, madame, mais votre mari a le cancer. Et c'est grave.»

Notre couple n'est pas le premier à se mesurer à l'immensité de cette épreuve qui inspire les pires cauchemars. Mais, peut-être parce que la vie était si douce et que mon amoureux mangeait ses légumes et allait travailler en vélo, sans compter qu'il avait à 36 ans une maladie qu'on trouve chez les gens de 72 ans en moyenne... on n'a rien compris. Je me sou- viens parfaitement du sentiment de ces premières semaines post-diagnostic, à vivre à côté de moi- même: comme si je me regardais donner le bain à mes enfants, accompagner mon amoureux à une première chirurgie majeure, à la première rencontre en oncologie, au premier cycle de chimio... Toujours le même sentiment d'être figurante dans le très mauvais téléroman qu'était devenue notre vie.

Rien ne prépare un couple, jeune ou vieux, à se mesurer au tsunami de la maladie. Les projets à court et à long termes qui foutent le camp, la mort, à laquelle on fait face tout à coup, les décisions à prendre, le doctorat en oncologie qu'on voudrait avoir, du jour au lendemain, pour comprendre. Sans compter toutes les tâches dont hérite le conjoint en santé, comme sortir les vidanges ou s'occuper des assurances ou, pire, donner des injections ou des soins primaires. Et c'est souvent là que ça se complique, car il n'y a rien de moins naturel qu'être l'aidant naturel de son conjoint, explique Christina Cabral, travailleuse sociale en oncologie à l'Hôpital général juif de Montréal. «Devenir soignant de son conjoint, c'est changer complètement la dynamique dans le couple: la relation devient trop symbiotique, quasiment maternelle, donc malsaine.» Parce que le conjoint en santé joue tous les rôles à la fois: ceux de cheerleader, de soignant, de gestionnaire de maison et, si on a des enfants, du père et de la mère.

Pas pour rien que c'est lourd à porter. Claude Cyr, conseiller au service Cancer J'écoute, de la Société canadienne du cancer, l'entend tous les jours lorsqu'il parle aux proches des personnes malades. «On me demande: est-ce que c'est OK, ce que je fais? Les personnes, les femmes surtout, se sentent incompétentes, insuffisantes et, surtout, coupables de ces lacunes.» Souvent, dans cette culpabilité, il y a celle, tordue, d'être en santé alors que leur conjoint souffre. Parce que nous, si on se l'accorde, on peut s'éclipser pendant une heure pour aller à un cours de yoga ou prendre un café avec une amie, quitte à se sentir coupable en maudit.

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Quand Réjean, 51 ans, m'a raconté l'accompagnement de sa conjointe, Diane, pendant les longues années où elle était atteinte de cancer du cerveau, la notion de se sentir cheap revenait souvent. Dur pour lui de constater qu'à force de se dévouer uniquement à sa conjointe et à son travail, son énergie s'était étiolée. Qu'à force de jauger l'avenir d'un œil inquiet, sachant que ce cancer terminal viendrait lui prendre sa Diane (mais quand?), il était rendu au bord du gouffre. «Ce n'est pas la faute des gens, mais ils ne savent tellement pas quoi dire! Ils me demandaient souvent, timidement: pourquoi tu n'arrêtes pas de travailler? Sans savoir que lorsqu'on a une conjointe malade à la maison, le travail est le seul endroit où on peut se ressourcer!» Et même lorsqu'il a eu le courage de prendre congé, quand il s'accordait - rarement - le privilège d'aller jouer au golf, il se sentait cheap... Pas correct de prendre une pause pour se ressourcer alors que Diane, elle, ne profitait d'aucun sursis face à sa maladie. Et alors qu'il ne l'avait quand même pas, lui, le foutu cancer. Et pourtant.

«C'est tellement important pour le conjoint en santé de prendre soin de lui, car son fardeau est encore plus lourd à porter que celui du malade, confirme Christina Cabral. Sa détresse aussi. Non, ce n'est pas sa propre vie qui est menacée, mais son couple et sa famille le sont, eux!» Ainsi, même si on se sent cheap de se plaindre d'avoir eu une dure journée ou juste d'avoir mal à la tête, c'est important de le faire. Parce que partager le quotidien, c'est le privilège du couple, et il ne faut pas le négliger; il faut conserver un espace juste pour nous deux, à l'écart de la maladie.

Ma psychologue décrit le cancer comme le vieux «mononcle» détestable qui s'invite dans notre vie, prend notre place sur le sofa, dans notre lit, dans nos conversations et qui décide de s'installer chez nous. Six mois, un an ou trois ans, comme dans notre cas. Quatre, dans le cas de Réjean et Diane. On n'est certainement jamais obligés de faire la paix avec ce «mononcle» fatigant, mais il faut assurément apprendre à vivre avec.

Quand je demande à Réjean, qui pleure encore sa Diane, ce qu'il voudrait dire aux personnes qui, comme moi, accompagnent un conjoint malade, il répond simplement: «Il faut vivre à l'intérieur du temps qu'on a. Faut se parler, toujours, tous les jours. Rire, aussi. Avoir du fun. Aller en Floride quand l'occasion se présente, sans attendre.»

Pardonnez-moi, je crois que j'ai des billets d'avion à réserver.

Andrée-Anne est rédactrice en chef, reportages, à Coup de pouce. Son amoureux s'est éteint quelques semaines après la rédaction de cet article.  

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