Sexualité

Comprendre la vie sexuelle des personnes âgées

Comprendre la vie sexuelle des personnes âgées

  Photographe : Getty Images

Sexualité

Comprendre la vie sexuelle des personnes âgées

On pense souvent que les personnes âgées ne font plus «la chose».

Pourtant, elles vivent une sexualité épanouie, dans des cadres relationnels qui leur conviennent, malgré les difficultés physiques ou psychologiques pouvant survenir avec l’âge.

 

La psychologue Jocelyne Robert et le professeur de psychologie Patrick Doucet – tous deux auteurs de nombreux livres portant sur la sexualité et la sensualité, de l’enfance à l’âge d’or – explorent avec nous les tabous, les «méconceptions» et les particularités de cette phase de la vie intime dont on parle trop peu.

 

La vie sexuelle des personnes âgées, que Patrick Doucet appelle «adultes vieillissants» et Jocelyne Robert, «grands adultes», n’est pas un sujet dont on discute ouvertement, et ce, tant dans la sphère publique que dans la sphère privée. Si nous entretenons un certain inconfort face à la sexualité en général, force est d’admettre que celle vécue par les personnes de 50, 60, 70 ou 80 ans est encore plus taboue. Pour plusieurs, elle suscite un malaise, voire du dégoût.

Mais pourquoi? Nos deux experts s’entendent pour dire que notre réticence à percevoir les adultes vieillissants comme des êtres sexués – et sexuels, car c’est bien ce qu’ils sont – découle d’une combinaison de constructions sociales, notamment l’idée du sexe pour le plaisir et les standards de beauté.

Notre vision collective de la sexualité, soutiennent-ils, est encore fortement influencée par la religion, qui veut que celle-ci ne serve qu’à faire des enfants. Bien que les mentalités évoluent au fil du temps et que les croyances religieuses ne soient plus la cause principale de notre inconfort, elles ont largement contribué à forger notre échelle de valeurs morales. «Cette idée d’une sexualité qui n’est considérée comme acceptable que lorsqu’elle est liée à la procréation, explique Patrick Doucet, exclut non seulement toute notion de plaisir, mais aussi, par définition, celle vécue par les enfants, les personnes non mariées, les personnes homosexuelles et les femmes ménopausées.»

Le plaisir en solo, de la masturbation à ce que Jocelyne Robert décrit comme l’autosensualité et l’autoérotisme, fait également partie de ces facettes de la sexualité souvent perçues comme immorales. «Nous avons si longtemps vécu sous le joug d’un modèle sexuel de procréation qu’encore aujourd’hui, dit-elle, consciemment ou non, la sexualité vécue strictement pour le plaisir, le partage ou le désir d’orgasmes est vue comme quelque chose de peu noble.»

 

Au-delà des diktats

Dans son livre Vieillir avec panache, Jocelyne Robert souligne notre étrange attitude devant la beauté des vieux humains: «[...] On s’émeut devant un arbre centenaire bien autant que devant une jeune pousse. On se laisse éblouir davantage par un soleil couchant que par celui qui pointe à l’aube. [...] Un sac à main en cuir bien patiné par le temps n’est-il pas attrayant? [...] Il n’y a qu’à l’égard de leur propre espèce que les êtres humains posent un regard sectaire sur la beauté et voient le vieillissement comme étant infamant.»

En effet, l’image corporelle et les standards de beauté contribuent à faire obstacle à une reconnaissance sociale absolue des personnes âgées en tant qu’êtres humains ayant une vie sexuelle. Qu’il s’agisse de représentations dans les médias ou dans la fiction, pornographie incluse, le message dominant demeure le même: pour être sexuellement attirant, il faut être mince, lisse, athlétique, performant... et jeune.

Ce message, omniprésent et renforcé de toutes parts, laisse en plan un grand nombre de personnes qui, parce qu’elles sont reléguées au rang d’indésirables, voient leur vie sexuelle invisibilisée et absente du discours public. De plus, le scénario sexuel le plus répandu et valorisé est celui d’une rencontre entre un homme et une femme presque entièrement centrée sur le plaisir de l’homme, la pénétration et l’éjaculation, dans laquelle une érection aussi gargantuesque qu’infatigable tient la vedette. Il va sans dire que plus on avance en âge, moins ce scénario est réaliste.

Avec le vieillissement surviennent aussi divers ennuis de santé qui peuvent affecter notre sexualité. «À tout âge, la prise de médicaments, des difficultés au sein du couple, le deuil d’un ou d’une partenaire ainsi qu’une multitude d’autres facteurs peuvent entraîner une diminution de la libido, des sensations ou de la performance, explique Patrick Doucet, mais plus on vieillit, plus les risques augmentent.»

Le professeur relève au passage que les médecins ne se soucient pas toujours de prévenir leurs patients plus âgés des effets de certaines médications sur la vie sexuelle, une conséquence possible de la désexualisation systématique des adultes vieillissants. «En raison de ces différents changements et de l’apparition de nouveaux défis, certains vont abandonner leur vie sexuelle, ajoute-t-il, tandis que d’autres vont opter pour la découverte de nouvelles pratiques et activités, afin de s’adapter à leur réalité actuelle.» 

 

sexe

© Shutterstock

 

Repenser le sexe

«Pour des raisons qui leur sont propres, affirme Jocelyne Robert, ce ne sont pas tous les “tabougénaires” (60 ans et plus) qui ont des activités sexuelles génitales, mais il importe de rappeler qu’ils demeurent des êtres sexués, sexuels et érotiques jusqu’au bout du voyage. L’expression sexuelle varie selon l’âge, les étapes de la vie, l’état de santé, la présence ou non d’un partenaire et les expériences vécues. La sexualité est une dimension de l’être humain qui peut être mise en sourdine, puis réactivée à tout moment.»

Mais comment réinvente-t-on sa sexualité quand le corps ralentit, que la procréation ne fait plus partie de l’équation et qu’on ne se reconnaît plus dans la narrative sexuelle populaire?

Pour Patrick Doucet, l’une des avenues réside dans l’ouverture d’esprit. «Ça fait très longtemps que je m’intéresse à tout ça, et je suis toujours surpris par l’ignorance des gens de tout âge et la ténacité de certaines idées très étroites qui perdurent. Je pense à mes étudiants (au cégep) qui me disent que, dans leurs cours d’éducation sexuelle au secondaire, on leur a parlé de la masturbation chez les garçons, mais pas chez les filles; de ces couples qui ne pratiquent que la position du missionnaire depuis 30 ans et pour qui la relation sexuelle doit se terminer par la pénétration vaginale; et de ces nombreuses personnes pour qui certaines pratiques orales sont encore mal vues.»

Rivaliser avec les modèles dominants et transcender les perceptions étroites et contraignantes est une chose, composer avec les limitations d’un corps vieillissant et une éventuelle baisse du désir en est une autre, qui pourrait se révéler une occasion magnifique de redécouvrir sa propre sexualité et d’en redéfinir les frontières. Au-delà des avenues les plus explorées, comme l’emploi de médicaments destinés à faciliter l’érection, on pourrait également considérer l’emploi de lubrifiant, de jouets sexuels conçus pour stimuler différentes zones érogènes (clitoris, pénis, anus, prostate, testicules, mamelons, etc.), l’adoption de nouvelles positions, la pratique de l’amour oral et, globalement, une approche plus sensuelle, moins axée sur la performance et la pénétration vaginale qui, de toute façon, ne mènera jamais à l’atteinte d’un orgasme pour la très grande majorité des femmes.

 

Prendre le temps

Si certains ajustements sont inévitables, ils ne signifient en rien que notre vie intime doive devenir moins intéressante, bien au contraire.

C’est qu’avec l’âge, selon Jocelyne Robert, on a non seulement une meilleure connaissance de soi, mais aussi une appréciation décuplée de la vie et de ses instants les plus précieux. Pour elle, cette nouvelle saison de la sexualité se caractérise par la détente. «Si l’on souhaite garder vivante cette composante de la vie et de la personne, il faut s’adapter aux changements liés au vieillissement. Il est vrai que tout me prend plus de temps. Et j’aime que le plaisir s’étire. Qu’il s’agisse de partager un repas, de savourer un verre de bulles, de flâner dans la baignoire, de retrouver une vieille amie ou de faire l’amour, tout est plus goûteux. Adieu performance, bonjour érotisme! On n’a plus rien à prouver. Un orgasme moins tonitruant n’est pas moins satisfaisant, et l’excitation qui grimpe plus discrètement offre la chance d’explorer son univers fantasmatique et de s’abandonner au plaisir de l’expérience tout entière.»

De plus, comme on peut le lire dans Le crépuscule du désir, de Patrick Doucet, les activités sexuelles et l’orgasme ont de nombreux bienfaits sur la santé: ils diminuent l’anxiété et l’humeur dépressive, améliorent le sommeil, renforcent la santé cardiovasculaire, le système immunitaire et le tonus musculaire, pour n’en nommer que quelques-uns.

La sexualité des aînés est aussi diverse, complexe, multiple et riche que les humains qui la vivent. «Il y a autant d’univers sexuels qu’il y a d’individus, affirme Jocelyne Robert. Avoir une forte libido à 80 ans, c’est parfaitement normal. Ne plus avoir d’appétit génital l’est tout autant. Plutôt que de se comparer ou de tenter de se conformer à un modèle précis, trouvons notre propre manière d’être dans le respect de soi et d’autrui. La sexualité, faut-il le rappeler, fait partie des prérogatives de l’être humain... à tout âge.»

 

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