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La pensée positive peut-elle aider à guérir ?
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La pensée positive peut-elle aider à guérir ?
La force de notre pensée peut-elle nous aider à guérir? Très en vogue, ce courant de pensée est fort séduisant. Mais est-il fondé?
Nicole Thauvette est une optimiste de nature. Le genre de femme pour qui le verre est toujours à moitié plein, même quand le malheur frappe et que le médecin lui apprend, en juin 2013, qu'elle a le cancer de l'utérus. Même si son positivisme l'aide à surmonter cette dure épreuve, cette secrétaire médicale de 62 ans ne se fait pas d'illusions: il lui faudra plus que des pensées positives pour guérir. «Je sais fort bien qu'il y a des choses sur lesquelles on n'a pas de pouvoir dans la vie, et la maladie en est une, lance-t-elle d'un ton serein à quelques jours de son dernier traitement. Pourtant, j'en ai lu, à une certaine époque, des livres sur la pensée positive. J'ai toutefois compris qu'il fallait en prendre et en laisser, et qu'il était préférable de garder les deux pieds sur terre.»
S'il n'existe pas encore de remède contre la sclérose en plaques, avec laquelle elle doit conjuguer depuis trois ans, Pascale Lavallée, une étudiante en communication de 22 ans, se dit toutefois convaincue de pouvoir ralentir l'évolution de sa maladie grâce au positivisme qui l'habite. «Je ne suis pas de celles qui croient que les attitudes négatives peuvent nous rendre malades, explique-t-elle. Ce que je sais, par contre, c'est que, même si on ne choisit pas nécessairement la situation dans laquelle on se retrouve, on peut toujours choisir la façon d'y faire face. Moi, j'ai choisi d'être positive et de me dire que ça allait bien aller.»
Une croyance répandue
Dites non au cancer, Libérez-vous grâce à la pensée positive, La pensée guérit... Les étagères des librairies débordent de livres de psychologie qui vantent les effets bénéfiques de la pensée positive sur notre corps et sa guérison. «L'intérêt pour cette idée qui veut que la pensée positive ait une influence sur la maladie, le cancer notamment, s'accentue d'année en année, en particulier depuis 10 ans», constate Josée Savard, professeure à l'École de psychologie de l'Université Laval et chercheuse au Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec et au Centre de recherche sur le cancer de l'Université Laval. Si plusieurs éléments peuvent expliquer la naissance d'un tel courant de pensée, la publication aux États-Unis, en 1989, de l'étude du psychiatre David Spiegel n'y est pas étrangère, croit-elle. «Cette étude avait reçu une attention incroyable parce qu'elle montrait que la psychothérapie doublait la survie au cancer du sein métastatique. La nouvelle avait été suivie d'un raz-de-marée médiatique.»
Au Québec, ce sont surtout les livres du neuropsychiatre français David Servan-Schreiber (Anticancer, 2010) et du psychanalyste Guy Corneau (Revivre, 2010) qui ont contribué à alimenter cette croyance, remarque Josée Savard. Loin d'être en accord avec ce que véhiculent ces livres, la chercheuse comprend toutefois l'intérêt qu'ils suscitent chez les gens, en particulier chez ceux atteints du cancer. «Comme ses causes sont inconnues, le cancer est un terreau fertile pour que les gens adhèrent à ce courant de pensée, explique-t-elle. En plus de donner de l'espoir, ces livres donnent aux gens l'illusion qu'ils sont en mesure de freiner l'évolution de la maladie. À l'opposé, ils peuvent également avoir un effet décourageant sur les gens qui n'y parviennent pas.»
Mythe ou réalité?
Lorsqu'elle a appris, à 45 ans, qu'elle souffrait d'un cancer du sein, Johanne Babin s'est mise en mode positif. «C'était une question de survie pour moi, mon conjoint et mes fils, qui étaient alors âgés de 13 et 15 ans. Il était hors de question que je gaspille mon énergie en passant mes journées à me dire: "Ce n'est pas juste!", "Pourquoi moi?"», raconte la femme, aujourd'hui âgée de 50 ans. Plus qu'un outil pour surmonter ce difficile obstacle de la vie, le positivisme est, à ses yeux, essentiel à la guérison. «Je crois sincèrement que, si tu veux combattre ton cancer, tu vas y arriver», dit-elle, convaincue.
Mais a-t-on de réelles raisons de croire aux vertus de la pensée positive? La réponse à cette question délicate est loin de faire l'unanimité, en particulier dans le milieu de l'oncologie. «Celui qui pourrait répondre à cette question sans équivoque ni doutes serait prétentieux, croit le Dr Rami J. Younan, chirurgien-oncologue au Centre hospitalier de l'Université de Montréal. Beaucoup d'encre a coulé sur le sujet dans la communauté médicale, mais il n'existe pas de réponse définitive. De plus en plus, nous parlons du fait que notre conscience, et non nos émotions, affecterait le cancer et son évolution à divers degrés qui peuvent être débattus. Ce qui est de plus en plus connu, par contre, c'est qu'en présence d'états reliés à la solitude, au stress chronique, à la dépression et au manque d'entrain, le système immunitaire serait moins vif pour réparer ou freiner les erreurs au niveau cellulaire qui mènent à des cancers.»
Pour le Dr Christian Boukaram, radio-oncologue et chef du service de radio-chirurgie à l'hôpital Maisonneuve- Rosemont, les émotions ont bel et bien un impact sur l'évolution du cancer et sa guérison. «Depuis les dernières années, des centaines d'études affirment que la dépression et la détresse augmentent les effets secondaires des traitements et nuisent à la qualité de vie et à la longévité des patients, relate-t-il. La souffrance psychique dérégule notamment les hormones (adrénaline, neuropeptides), avec pour résultat une multiplication plus rapide des cellules cancéreuses et un abaissement des défenses naturelles du corps.»
Le Dr Boukaram considère toutefois qu'il serait simpliste d'affirmer qu'une attitude ou des pensées négatives peuvent engendrer la maladie. Il croit néanmoins que les émotions peuvent être reliées à l'apparition du cancer, mais de façon indirecte. «Les émotions sont des signaux qui nous indiquent nos besoins, explique-t-il. Le fait d'être inconscient de ses émotions peut mener à plusieurs habitudes cancérigènes (tabagisme, sédentarité, etc.) et peut aussi causer du stress chronique, qui est maintenant associé à une multitude de maladies chroniques: maladies cardiaques, diabète, obésité, etc.» Le radio-oncologue insiste toutefois sur le fait que le cancer est une maladie multifactorielle et que le stress n'en est pas la cause spécifique, mais un facteur parmi d'autres qu'il est important de considérer. «Il n'existe aucune garantie qu'on n'aura jamais le cancer, insiste-t-il. Cette maladie est encore mystérieuse et on ne peut donner une attestation de guérison non plus.»
Des preuves insuffisantes
Pour Josée Savard, il manque encore trop de preuves pour établir un lien de cause à effet entre pensées positives et maladie, en l'occurrence le cancer. «On peut toujours trouver des études qui démontrent que le stress et d'autres facteurs psychologiques causent le cancer ou inversement que, par notre attitude mentale, on peut augmenter nos chances de guérison. Mais si on regarde l'ensemble de la littérature scientifique, force est d'admettre que la grande majorité des études n'a pas trouvé de véritable relation. Je ne nie pas qu'il y ait un lien entre le psychologique et le physique. Des études ont notamment démontré que les universitaires avaient moins d'infections respiratoires en début de session qu'en période d'examens alors qu'ils sont plus stressés. Mais est-ce que l'effet du stress ou d'autres facteurs psychologiques est assez puissant pour influencer à lui seul une maladie aussi complexe que le cancer? C'est là où il manque des données.»
Professeure au département de psychologie de l'Université du Québec à Montréal et directrice de l'axe de recherche sur les maladies chroniques à l'Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, Kim Lavoie est également d'avis qu'il y a actuellement très peu de données probantes sur les liens entre la pensée positive et la survie chez les patients atteints d'un cancer. «Je crois honnêtement que le lien existe probablement, mais pour prouver cela, les études devront être réalisées sur une longue période avec un nombre élevé de sujets chez qui il faudra trouver un moyen de mesurer leur niveau de stress année après année pour ensuite vérifier qui développera une tumeur et qui n'en développera pas.»
La chercheuse rapporte, par ailleurs, qu'il existe d'importantes données concluantes quant au lien entre un état de déprime chronique et l'augmentation du risque de maladies chroniques. «En plus de stimuler le système cardiovasculaire (palpitations, tension artérielle, etc.), la dépression va déréguler le système immunitaire, explique-t-elle. Cet état va également compliquer ou augmenter la présence potentielle des autres facteurs de risques très connus pour les maladies cardiovasculaires. On sait que les patients déprimés boivent plus, qu'ils sont moins motivés à bouger et qu'ils ont tendance à mal manger et à fumer davantage.»
La tyrannie de la pensée positive
Là où le bât blesse, c'est que la promotion répandue de la théorie du pouvoir de la pensée peut engendrer des effets néfastes au niveau émotionnel, déplore Josée Savard. On peut se sentir coupable d'avoir développé un cancer en raison de notre attitude, par exemple. On peut être portée à vouloir contrôler nos pensées pour augmenter nos chances de guérison, ce qui risque de nous entraîner dans un cercle vicieux, prévient la chercheuse. «Plus la personne se forcera à adopter une attitude positive, moins elle y parviendra, puisqu'il est impossible d'être constamment positif, fait-elle valoir. Même les gens en santé ne le sont pas! Devant cette incapacité, la personne ressentira de l'anxiété face à une possible récidive de la maladie, mais aussi de la culpabilité et de la déprime qui nuiront à sa qualité de vie.»
Souvent taxé de faire l'apologie la pensée positive, voire magique, à la suite de la parution controversée de son livre, Le Pouvoir anticancer des émotions, le Dr Christian Boukaram affirme plutôt vouloir mettre les gens à garde quant à cette forme de pensée. «Je ne crois pas en la pensée positive, dit-il. Je crois au contraire que nier ses émotions et mettre un masque positif peut être nuisible pour la santé.»
Poussé à l'extrême, le positivisme peut même mener au déni de la maladie, prévient le Dr Rami J. Younan. «Lorsqu'on est trop positif, c'est-à-dire de façon non équilibrée, on ne croit tout simplement pas à la maladie, on n'accepte pas la mort, explique-t-il. On pense pouvoir s'en sortir sans rien d'autre que la pensée magique. Il s'agit d'un extrémisme dangereux qui peut entraîner le refus des traitements de façon irrationnelle.» Josée Savard se rappelle d'une patiente qu'elle suivait et qui, jusqu'à la veille de son décès, a cru qu'elle allait guérir de son cancer. «À ce stade-là, ce n'est pas elle qui souffrait, mais ses proches, qui n'ont pas eu la chance de discuter avec elle de ce qui venait.»
Optimiste, mais lucide
Si elle ne nie pas l'importance de l'espoir pour les personnes qui souffrent d'une maladie comme le cancer, Josée Savard ne croit toutefois pas que cela doive absolument passer par le positivisme. La chercheuse prône davantage l'optimisme réaliste, une approche qu'elle aborde dans son livre Faire face au cancer avec la pensée réaliste. «Cette façon de penser permet d'envisager tous les scénarios possibles et d'espérer que le meilleur survienne. On évite ainsi de vivre les montagnes russes émotionnelles qu'entraîne l'aller-retour entre la pensée positive et la pensée négative. Affronter nos pensées négatives, notre peur de la mort notamment, nous assure un meilleur équilibre psychologique. Ainsi, une personne atteinte du cancer ne dira pas "je vais mourir" ou "je vais guérir", mais plutôt: "Il est possible que je meure, mais, selon mon médecin, mes chances de survie sont bonnes."»
Positiviste dans l'âme, Pascale Lavallée se dit néanmoins réaliste quant au sort que lui réservera peut-être un jour la sclérose en plaques. «Comme je ne sais pas comment ma maladie évoluera, j'aime mieux ne pas dépenser d'énergie à m'en faire et en profiter pendant que je suis encore capable de marcher. Parce que dans les faits, comme tout le monde, je pourrais tout aussi bien perdre l'usage de mes jambes à la suite d'un accident de voiture. La seule différence est que moi, je sais que cela va peut-être m'arriver. C'est pourquoi je préfère me dire que je traverserai la rivière une fois rendue!»
Pour aller plus loin
- Faire face au cancer avec la pensée réaliste, par Josée Savard, Ph. D., Flammarion Québec, 2010, 272 p., 24,95$.
- Le Pouvoir anticancer des émotions, par Dr Christian Boukaram, Les Éditions de l'Homme, 2011, 176 p., 22,95$.
- Émotions et cancer, Société canadienne du cancer