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Faut-il jeter la pilule?

Faut-il jeter la pilule?

istockphoto.com Photographe : istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

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Faut-il jeter la pilule?

Les dernières nouvelles font peur: les pilules contraceptives de nouvelles générations peuvent causer des caillots sanguins ou des embolies pulmonaires. Certaines sont même soupçonnées d'avoir entraîné la mort d'utilisatrice. Faut-il jeter la pilule?

Il y a cinq ans, Sarah Labarre a eu une mauvaise expérience avec la pilule Yasmin, un contraceptif hormonal récent dit de 4e génération. «J'éprouvais de gros maux de ventre et j'avais des saignements importants et continus, dit-elle. Ma gynécologue me conseillait de continuer à prendre la pilule malgré mes malaises, disant que mon corps allait s'ajuster avec le temps.» Au bout de quatre mois, épuisée et affaiblie, Sarah a cessé de prendre sa pilule. «En un mois, mes malaises ont disparu.» Plus récemment, la jeune femme est retournée consulter pour avoir recours à une autre méthode de contraception. En moins de deux, on lui a prescrit l'anneau vaginal NuvaRing. «Après six semaines, des douleurs abdominales et des saignements abondants m'ont convaincue de cesser de l'utiliser.»

Au printemps dernier, Sarah a raconté ses mésaventures sur le blogue qu'elle tient pour le magazine Urbania. Elle y dénonce la rapidité avec laquelle on lui a prescrit ces contraceptifs et le manque d'information sur les risques qui leur sont associés. Elle en a profité pour lancer un appel sur les réseaux sociaux afin de savoir si d'autres femmes avaient rencontré des problèmes avec ce genre de contraceptifs. «La réponse m'a jetée à terre, confie la blogueuse. J'ai reçu près de 170 témoignages de femmes qui ont eu des ennuis de santé vraiment plus importants que les miens.» Par exemple: des utilisatrices de pilules de 3e et 4e générations ayant souffert de phlébite à la jambe, de thrombose et d'embolie pulmonaire.

Ces cas ne sont pas isolés: au Canada, des centaines de femmes ont éprouvé des ennuis de santé suite à l'utilisation des pilules Yaz et Yasmin. D'ailleurs, deux recours collectifs s'organisent au pays en leur nom contre Bayer, le fabricant. De plus, des données sur les effets secondaires rapportés à Santé Canada au sujet de ces deux pilules indiquent qu'elles pourraient être liées à la mort de 23 Canadiennes.

Aux États-Unis et en France, des décès potentiellement liés à l'utilisation de pilules de 3e et 4e générations sont aussi rapportés. La France a même cessé de rembourser cette catégorie de médicaments en mars 2013, en raison des risques de thromboembolie veineuse (TEV) accrus par rapport aux pilules des autres générations.

Pilule contraceptive: le point sur les risques

Ce qui a fait les manchettes ces derniers temps et qui inquiète, ce sont les risques de TEV associés aux contraceptifs hormonaux combinés. La thromboembolie veineuse survient lorsqu'un caillot sanguin se forme dans les veines profondes des jambes et du bassin. Le caillot peut migrer et bloquer l'afflux du sang aux poumons, provoquant ainsi une embolie pulmonaire.

Le risque de TEV est un effet grave, bien que rare, associé aux contraceptifs hormonaux. Pour les pilules, il est connu depuis les années 60, note la Dre Édith Guilbert, porte-parole pour la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC) et médecin conseil à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Mais est-il plus élevé avec les pilules de 3e et 4e générations qu'avec celles de 2e génération? Les études publiées entre 2007 et 2012 se contredisent à cet effet. Certaines ont rapporté un risque légèrement plus élevé de TEV chez des utilisatrices de contraceptifs oraux contenant des progestatifs de 3e et 4e générations, comparativement à des utilisatrices de pilules de 2e génération. D'autres n'ont montré aucune différence appréciable du risque entre les différentes pilules. La SOGC, qui a analysé ces études, en conclut que le risque de TEV chez les utilisatrices de contraceptifs oraux combinés est très faible. L'organisme estime que, pour la majorité des femmes, les bienfaits dépassent les risques qui leur sont associés.

«Les études qui ont montré un risque plus grand de thromboembolie veineuse avec les pilules de 3e et 4e générations comportent certains biais et ne sont pas d'aussi bonne qualité que celles qui ne trouvent pas de risque différentiel entre les générations, indique la Dre Guilbert. Il semble, entre autres, qu'elles aient étudié des groupes de femmes qui avaient déjà potentiellement des risques plus élevés de TEV, ce qui nous amène à être plus circonspects par rapport à leurs conclusions.» La gynécologue mentionne que, si l'excès de risque existe pour les pilules de 3e et 4e générations, il demeure faible. «On parle d'un ou deux cas de plus sur 10 000 femmes par année. D'autre part, le risque est davantage présent dans les six à douze premiers mois d'utilisation des contraceptifs.»

Le dernier examen par Santé Canada (2011) de l'innocuité des pilules Yaz et Yasmin (4e génération) prévient de son côté que les risques de caillots sanguins pour les utilisatrices sont de 1,5 à 3 fois plus élevés que pour celles qui prennent d'autres contraceptifs oraux.

Édith Guilbert insiste par ailleurs pour mettre en perspective les risques de formation de caillots sanguins. Les contraceptifs hormonaux combinés, toutes générations confondues, augmentent légèrement les risques de thrombose, mais ce n'est rien comparativement à ceux encourus par les femmes enceintes ou qui viennent d'accoucher, selon elle. «Chez une femme en âge de procréer qui ne prend aucun contraceptif hormonal, le risque de TEV est aussi présent. Il est de 4 à 5 cas pour 10 000 femmes par année. Si elle utilise un contraceptif hormonal, le risque est de 9 à 10 cas pour 10 000 femmes, indique-t-elle. Mais si elle est enceinte, il grimpe à 29 cas sur 10 000. Et dans les trois semaines qui suivent l'accouchement, ce risque peut augmenter à 400 cas par 10 000 femmes par année!»

Autrement dit, le risque de thrombose est beaucoup plus grand quand on tombe enceinte que lorsqu'on s'empêche de le devenir avec un anovulant. La SOGC fait aussi valoir que le taux de décès résultant d'une thrombose veineuse provoquée par l'utilisation d'un contraceptif hormonal combiné est de moins de 1 cas par 100 000 femmes.

Pilule contraceptive: prendre le risque ou non?

Sophie de Cordes est coordonnatrice générale de la Fédération du Québec pour le planning des naissances, un organisme qui s'emploie depuis 40 ans à encourager la réflexion critique en matière de santé sexuelle et reproductive. Elle estime que les femmes doivent faire leur choix en toute connaissance de cause. «C'est important d'être informée des risques, de demeurer prudente et critique, et de prendre le temps de choisir le moyen de contraception qui nous convient le mieux. C'est une décision bien personnelle, mais on doit poser nos questions aux médecins, se renseigner sur les différentes méthodes pour évaluer le rapport entre les risques et les bénéfices, dit-elle. Et les femmes qui ne veulent pas de contraception hormonale doivent pouvoir se tourner vers d'autres options.» Si les contraceptifs hormonaux sont toujours mis de l'avant, il ne faut pas oublier qu'il y a aussi d'autres options, comme le stérilet de cuivre ou le condom.

Sarah Labarre a pour sa part mis une croix sur les contraceptifs hormonaux. «Mon expérience m'a convaincue que ces médicaments n'étaient pas faits pour moi, dit-elle. Mon corps n'y réagit pas bien. Je me tourne maintenant vers d'autres contraceptifs.»

«Bien sûr, les femmes qui ne sont pas l'aise avec la contraception hormonale peuvent choisir une autre méthode, dit le Dr Marc Steben, directeur médical de la Clinique A, spécialisée en santé sexuelle, et médecin conseil à l'INSPQ. Mais il demeure important qu'elles se protègent. La crainte, lorsque des informations alarmantes sortent sur les pilules dans les médias, c'est que plusieurs femmes cessent leurs pilules sans alternative et que les grossesses non désirées augmentent.»

Il précise que l'offre de contraception est aujourd'hui si diversifiée qu'il est presque impossible de ne pas trouver une méthode à notre goût. Mais aucune n'est efficace à 100 % et aucune n'est sans risque. «J'ai des patientes qui ne se passeraient pas de leur pilule de 3e et 4e générations en raison des bienfaits sur l'acné et la pilosité, dit le médecin. D'autres femmes, qui ont des horaires atypiques, incompatibles avec la prise régulière d'une pilule, sont heureuses avec l'anneau vaginal. Dans ma pratique, je constate aussi un taux de satisfaction très élevé pour le stérilet. À chaque femme son profil. Il s'agit de trouver le contraceptif qui lui convient.»

Lyba Spring est éducatrice en santé sexuelle. Elle a travaillé 30 ans pour le service de santé publique de Toronto. Aujourd'hui à la retraite, elle est blogueuse pour le Réseau canadien de santé des femmes. À son avis, les risques associés aux contraceptifs hormonaux doivent être bien expliqués aux femmes afin qu'elles prennent leur propre décision. «Elles doivent trouver l'équilibre entre l'efficacité d'une méthode et les risques associés.» D'où l'importance de passer plus de deux minutes dans le cabinet du médecin avant de sortir avec une prescription. «Il y a une série de contre-indications à vérifier avant de prescrire un contraceptif hormonal combiné. Outre les effets secondaires possibles et les risques associés au contraceptif, les femmes doivent aussi être mises au courant des signes inquiétants.»

C'est aussi l'avis de Diane Lamarre. Elle insiste pour que les femmes se renseignent bien sur les facteurs qui prédisposent à la formation de caillots sanguins et qu'elles restent attentives aux différents signes et symptômes annonciateurs de pareils ennuis de santé.

Les contraceptifs avec hormones combinées, comme tout médicament, comportent aussi des effets secondaires comme des nausées, une sensibilité aux seins, de la rétention d'eau et des règles irrégulières. Les spécialistes interrogés mentionnent que ces effets s'estompent généralement au bout de trois mois. Si ce n'est pas le cas, on retourne voir notre médecin. Il pourra changer notre pilule ou nous proposer une autre méthode contraceptive.

«Même si notre médecin nous dit que les effets indésirables vont passer dans trois ou quatre mois, à nous de voir ce qu'on a envie de tolérer, rappelle Sophie de Cordes. L'expert de notre corps, c'est nous. Il faut se faire confiance et choisir la contraception avec laquelle on est bien.»

Quelle différence entre les générations de pilule?

Les pilules classiques sont formées par la combinaison de molécules synthétiques qui reproduisent deux hormones sexuelles: l'oestrogène et la progestérone. C'est pourquoi dans le jargon médical, on les appelle les contraceptifs oraux combinés (COC).

D'une génération à l'autre, on retrouve toujours la même molécule d'oestrogène, soit l'éthinylestradiol. C'est le progestatif utilisé qui change d'une génération à une autre. «La première génération de pilule contient un progestatif appelé noréthindrone, indique Diane Lamarre, présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec. Elle présente aussi une forte dose d'oestrogène.»

La deuxième génération de pilules a été créée pour contrer les effets secondaires importants des premières, comme des nausées et un gonflement des seins. «Avec les pilules de 2e génération, on a réussi à baisser la quantité d'oestrogène tout en permettant une bonne efficacité contraceptive en introduisant d'autres progestatifs, dit la pharmacienne. Les progestatifs de 2e génération utilisés au Canada sont le lévonorgestrel et le norgestrel, qu'on retrouve dans des pilules comme Alesse, Min-Ovral, Aviane, Seasonale et Triquilar.»

La troisième génération de pilules est apparue dans les années 1990 pour contrer d'autres effets indésirables des contraceptifs oraux de 2e génération, soit l'acné, la pilosité et la prise de poids. «Les progestatifs de 3e génération sont le norgestimate et le désogestrel, dit Mme Lamarre. On les retrouve notamment dans les pilules Cyclen, Marvelon et Tri-Cyclen.»

La quatrième génération de pilules est apparue en 2004 avec Yasmin, suivie en 2008 par Yaz. Ces pilules ont été créées pour améliorer la réduction de la pilosité et de l'acné. Elles contiennent un nouveau progestatif appelé drospirénone.

Diane-35, un cas à part

La pilule Diane-35 est un autre médicament qui combine oestrogène (éthinyloestradiol) et progestatif (acétate de cyprotérone). Au Canada, son utilisation est approuvée pour le traitement temporaire de l'acné grave chez les femmes qui ne répondent pas aux autres traitements et qui présentent des symptômes de peau grasse et de pilosité excessive. Cette pilule a aussi une efficacité contraceptive. Ce qui représente un atout puisque les médicaments traditionnels contre l'acné comme l'Accutane peuvent causer des malformations foetales. «Il apparaît donc utile d'avoir un médicament qui traite l'acné tout en protégeant des grossesses», signale la Dre Guilbert.

En mai dernier, la France l'a cependant retirée du marché en raison de ses risques de TEV et du fait que cette pilule est trop largement utilisée comme contraceptif en l'absence d'acné. Là-bas, au moins quatre décès seraient liés à son utilisation. Au même moment, l'examen de l'innocuité de Diane-35 réalisé par Santé Canada révélait que les avantages l'emportent sur les risques, lorsque le médicament est utilisé aux fins autorisées. L'organisme précise toutefois que ce médicament est contre-indiqué chez les patientes qui courent un risque de développer des caillots sanguins en raison de leurs antécédents, et n'est pas approuvé à titre de contraceptif oral.

Pilule contraceptive: les contre-indications

«Il y a des facteurs qui nous exposent davantage aux risques thromboemboliques, rappelle Diane Lamarre, comme le tabagisme, l'embonpoint et l'obésité, de même que nos antécédents familiaux. C'est très important de se renseigner auprès de notre famille pour savoir si notre mère, nos soeurs ou des tantes, par exemple, ont déjà fait un AVC ou une thrombophlébite. Ce sont des facteurs héréditaires qui peuvent nous prédisposer à la formation de caillots sanguins. Si on est inquiète, on en parle à notre médecin.» Ainsi, les contraceptifs hormonaux combinés sont contre-indiqués si:

  • on a 35 ans et plus et on fume
  • on a une hypertension non traitée
  • on a des antécédents personnels ou familiaux de TEV
  • on a déjà eu un problème cardiaque ou on a fait un AVC
  • on a un diabète compliqué, difficile à maîtriser
  • on fait des migraines avec auras (troubles de vision)
  • on a une maladie du foie

La thromboembolie veineuse donne des signes auxquels on doit être attentive. On se rend immédiatement à l'urgence si on ressent les symptômes suivants: douleur abdominale intense, douleur thoracique, mal de tête nouveau, sévère, avec problèmes de vision, douleur musculaire aux jambes ou aux mollets, difficulté à respirer, paralysie ou insensibilité d'une partie du corps.

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