Santé
Encore taboues les menstruations?
Encore taboues les menstruations?
Photographe : istockphoto.com
Source : Coup de pouce, octobre 2016
Santé
Encore taboues les menstruations?
On a toutes connu ce jour où l'on a pensé mourir de honte à cause de cette tache rouge sur notre pantalon ou cette fois où l'on a fait un détour de trois kilomètres pour éviter que nos collègues voient le tampon qu’on avait dans la main. Pourquoi nos règles nous gênent-elles encore autant?
Chaque jour X du calendrier, Joëlle débarque au bureau avec sa trousse de survie: Tylenol, sac magique, tisane de sauge et serviettes hygiéniques. Ce nécessaire fait d’ailleurs souvent l’objet de blagues, mais la femme de 41 ans l’assume: «J’ai des collègues qui me taquinent parfois, parce que, contrairement aux autres femmes, je ne tente pas de dissimuler mon kit de menstruations, explique-t-elle. Je garde même une réserve de tampons pour en faire le trafic! Je suis très populaire auprès de mes collègues!» Son aisance avec le sujet, Joëlle l’attribue principalement à une éducation ouverte et libérale. Mais cette liberté n’est malheureusement pas partagée par toutes.
À toutes les époques, aux quatre coins du monde, les menstruations ont fait naître gêne, embarras et honte. Il est presque étonnant qu’elles n’aient pas reçu le titre de 11e plaie d’Égypte! Mais pourquoi? Un amalgame entre culture, religion et ignorance. Souvent liées à quelque chose de sale et d’impur, les règles sont devenues taboues. «On commence à en parler de plus en plus, souligne la psychologue Linda Smith. Il y a eu une évolution au cours des 20 ou 30 dernières années, mais tout se fait très lentement.» Selon la psychologue, ce ne sont pas tant les menstruations que le sujet du sexe des femmes qui dérange. «Dès qu’on fait allusion au vagin, un malaise s’installe, et ce, tant chez les hommes que chez les femmes», avance Mme Smith.
Le fait qu’elle travaille dans un milieu majoritairement féminin a certainement facilité les choses pour Joëlle. «Même s’il y a une gêne entourant le sujet, je peux sortir une serviette hygiénique de mon sac sans avoir à supporter des blagues de mauvais goût ou des regards de dédain», convient-elle. Contrairement à elle, Marie-Pier oserait à peine prononcer le mot tampon dans son milieu de travail. Pour cette menuisière-charpentière de 32 ans, il va de soi que la moindre allusion à cette question donnerait lieu à des moqueries ou à des commentaires grossiers. «Je travaille dans un milieu composé à 98% d’hommes. Alors mes maux de ventre et de tête, je les garde pour moi!»
D’autres, comme les femmes qui sont dans l’armée et les athlètes, par exemple, vivent aussi plus difficilement cette période du mois. Une capitaine dans l’armée américaine a écrit dans un billet de blogue que la pire des choses pour une militaire était de se retrouver sur la ligne de front ou en entraînement quand elle a ses menstruations. Ce n’est ni l’endroit ni le moment idéal pour changer de tampon... Quant aux athlètes de haut niveau, un sondage a indiqué que la moitié d’entre elles voient leur performance souffrir quand elles ont leurs règles. D’ailleurs, quand la joueuse de tennis britannique Heather Watson a affirmé que sa piètre performance à l’Open d’Australie de 2015 avait été en grande partie causée par sa «girl thing», cela a donné lieu à un débat marqué par l’ironie, le malaise et le scepticisme, comme si on ne savait trop quoi faire de ce sujet si... embarrassant. Résultat, plusieurs athlètes féminines prendraient tout simplement la pilule en continu pour éviter d’avoir leurs règles au mauvais moment (et se passer des symptômes désagréables qui les accompagnent).
La fin du malaise?
Les filles et les femmes du monde entier ont sans doute toutes le même fantasme, soit celui de vivre les menstruations sans aucune honte, de pouvoir se trimbaler, tampon à la main, avec tout le naturel du monde et de ne plus vouloir disparaître six pieds sous terre à la moindre fuite rougeâtre. Est-ce vraiment trop beau pour être vrai? Non, mais la route pour arriver là sera longue, d’autant qu’elle prend sa source de l’étymologie même du mot «tabou», du polynésien «tapoua», qui signifie... menstruations! Selon le Dr Richard Bergeron, pour que l’incongruité liée aux menstruations s’amenuise, une bonne information doit d’abord circuler: il faut comprendre ce qui se passe dans notre corps et l’expliquer à nos filles, ainsi qu’à nos garçons, d’ailleurs. «Quand on pense, par exemple, que le trouble dysphorique, une sorte de SPM extrême dont souffrent de 8 à 10% des femmes, est désormais considéré comme un trouble mental, on comprend qu’il y a encore beaucoup de travail à faire, même auprès des médecins qui ne comprennent pas toujours bien le fonctionnement hormonal des femmes et ses effets, note le Dr Bergeron. Le syndrome prémenstruel est hormonal, pas mental!»
L’an dernier, aux États-Unis, une campagne publicitaire pour les sous-vêtements absorbants Thinx a failli être interdite dans les transports en commun. La raison: le mot periods (menstruations) était présent dans le message. «Que vont penser les enfants s’ils voient ça?» «Et s’ils se mettaient à poser des questions?» arguaient les détracteurs de la campagne. Le message est quand même arrivé à passer. Heureusement aussi, une petite révolution commence à se jouer un peu partout sur la planète. Même s’il n’est pas organisé, le mouvement Anti-Period Shaming inspire de plus en plus d’initiatives et d’actions spontanées. En 2015, par exemple, Kiran Gandhi, artiste et activiste musulmane américaine de 26 ans, a couru le marathon de Londres sans aucune protection alors qu’elle avait ses règles, affirmant l’avoir fait pour que les femmes cessent d’avoir honte. L’artiste torontoise Rupi Kaur a affiché sur son compte Instagram une photo d’elle, endormie, vêtue d’un pyjama taché de sang. La photo a aussitôt été censurée par le réseau social. «Si l’image de mes règles vous incommode, demandez-vous pourquoi», a-t-elle écrit dans un billet de blogue publié au Huffington.ca, en 2015. À Paris, en 2014, la photographe Marianne Rosenstiehl a présenté une exposition d’une vingtaine de photos sur les règles. Ici et là sur la planète, des organisations mettent sur pied des campagnes d’information et d’hygiène ayant le même objectif: que les menstruations cessent d’être taboues et qu’elles soient vécues le plus normalement du monde. Un objectif qui, idéalement, serait partagé par toutes et tous, non?
Les mots pour le dire...
Vous avez déjà tourné autour du pot pour admettre que vous étiez menstruée? «C’est ma semaine», «j’ai commencé»... On entend des femmes dire qu’elles sont malades ou indisposées. En France, on dit «les Anglais débarquent». Plus délicates, les Américaines disent qu’elles sont décorées de roses rouges (I’m decorated with red roses), mais fréquemment, c’est la semaine «drapeau rouge» (Red flag week). Les hispanophones sont souvent incommodées (incomodas) ou elles disent que c’est la semaine du feu rouge. Certaines racontent avec humour avoir reçu la visite d’Andrés (Andrés qui? Tu sais, celui qui vient tous les mois?).
Tabou d’est en ouest
En Afrique, selon l’UNESCO, 1 fille sur 10 ne va pas à l’école au moment de ses règles, ce qui explique un haut taux de décrochage scolaire. Grâce aux campagnes d’information et aux dons de produits hygiéniques, la situation commence à s’améliorer. Par exemple, au Ghana, une étude a démontré que la scolarisation des filles avait augmenté après qu’elles ont reçu des serviettes hygiéniques gratuites et une éducation sur le sujet. /
En Bolivie, on empêche les filles de jeter leurs serviettes hygiéniques souillées dans les poubelles publiques, leur faisant croire que leurs protections gorgées de sang seraient porteuses de maladies et même cancérigènes.
En Inde, une femme menstruée ne peut pas cuisiner, parce qu’on craint qu’elle ne contamine les aliments.
En Iran, l’UNICEF rapporte que la moitié des filles sont convaincues que les menstruations sont une maladie.
Dans certaines régions du Népal, jusqu’en 2005 — et parfois encore aujourd’hui —, on cloîtrait les filles et les femmes qui avaient leurs règles, leur interdisant tout contact avec l’extérieur.
Au Kenya, et dans plusieurs pays en développement, quantité de femmes n’ont pas accès à des produits sanitaires dignes de ce nom. Résultat: elles se servent de torchons, de papier journal, de morceaux de matelas et même de boue en guise de protection, au péril de leur santé.