Santé

Des médicaments dans le fleuve Saint-Laurent

Des médicaments dans le fleuve Saint-Laurent

Istockphoto.com Photographe : Istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

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Des médicaments dans le fleuve Saint-Laurent

Produits de chimiothérapie, médicaments pour l'hypertension et le cholestérol. L’eau du fleuve Saint-Laurent prend l’allure d’une pharmacie.

Après les rejets agricoles et industriels, voilà maintenant que le fleuve Saint-Laurent reçoit sa dose quotidienne de médicaments de toutes sortes. Une équipe de chercheurs de l'Université de Montréal a détecté des traces de bézafibrate (médicament diminuant le cholestérol), d'énalapril (médicament pour traiter l'hypertension), de méthotrexate  et de cyclophosphamide (deux produits utilisés dans le traitement de certains cancers) dans les eaux usées acheminées à la station d'épuration de Montréal. Les quantités de bézafibrate et d'énalapril détectées dans les eaux usées, les eaux traitées et dans les eaux de surface à la sortie de la station d'épuration sont respectivement 50 nanogrammes par litre, 35 ng/L et 8 ng/L pour le bézafibrate et de 280 ng/L, 240 ng L et 39 ng/L pour l'énalapril.

Des molécules persistent aussi dans les eaux traitées sortant de la station d'épuration et dans les eaux de surface du fleuve St-Laurent.

Le chercheur Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale à l'Université de Montréal et  coordonnateur de l'étude publiée en 2009 dans le Journal of Environmental Monitoring, ne cache pas son inquiétude: «Les produits de chimiothérapie sont très toxiques.» L'équipe de M. Sauvé est d'autant plus inquiète qu'elle publiait en septembre 2008 une autre étude concernant la présence d'œstrogènes dans l'eau potable. Selon la chercheure Liza Viglino, spécialiste de l'analyse et de la modélisation du devenir de contaminants émergents dans l'eau potable, les eaux de rejet de l'usine d'épuration de Montréal dans le fleuve Saint-Laurent contiennent jusqu'à 90 nanogrammes par litre (ng/L) de certains composés d'œstrogènes.

Ces résidus d'œstrogènes proviendraient de l'hormonothérapie de remplacement prescrite aux femmes ménopausées, des pilules anti-contraceptives, des pilules du lendemain et de certains antidépresseurs. Un seul nanogramme d'hormones stéroïdes serait suffisant pour perturber le système endocrinien des poissons et diminuer leur fertilité, voire causer l'hermaphrodisme ou la féminisation des mâles.

Pas d'effets connus sur les humains

L'inquiétude vient du fait que la majorité de ces médicaments échappent au traitement des eaux usées. Mais, il n'y aurait pas lieu de craindre la consommation d'eau potable, même si quelque 75 municipalités du Québec s'approvisionnent en eau à même le fleuve Saint-Laurent. Il semble que plus les rejets coulent en aval, plus ils sont inoffensifs. Enfin, c'est ce que des chercheurs en biologie marine extrapolent, car il n'existe pas d'études toxicologiques croisées. Une fois arrivés dans l'estuaire du fleuve et mélangés à l'eau salée, il ne resterait pour ainsi dire plus de traces de ces produits utilisés par la médecine.

«Pour les résidants de Montréal ou en amont du déversoir, les risques pour leur santé est faible, parce que les molécules sont peu stables et vieillissent rapidement, surtout lorsqu'elles sont dans l'eau», précise le chercheur Émilien Pelletier, professeur en océanographie chimique et titulaire de la Chaire de recherche en Écolotoxicologie marine, à l'Institut des sciences de la mer de Rimouski, rattachée à l'Université du Québec à Rimouski.

De plus, une technologie de nettoyage des eaux usées à l'ozone serait de nature à éliminer les divers composés hormonaux restants après le passage dans les filtres. Cette technologie coûteuse serait bientôt installée à l'usine d'épuration des eaux de Montréal et permettra d'éliminer de 70% à 80% des traces de médicaments dans l'eau.

Une science à parfaire

Certains militants accusent la présence de ces produits dans l'eau pour expliquer certains problèmes de croissance chez les petites filles et de fertilité chez les adultes. «Le problème provient du fait que le corps ne métabolise que très faiblement les médicaments qu'il ingère. Par exemple, dans le traitement du cancer, les médecins doivent administrer de très fortes doses pour espérer que seuls 5% des molécules soient retenues par le corps. Ces fortes doses ne sont pas dommageables pour l'individu, mais leur rejet à travers l'urine va finir par causer un immense problème environnemental, complète le professeur Pelletier. Mais, ajoute-t-il, puisque de plus en plus de soins de santé sont administrés en clinique externe avec des médicaments pris chez soi, il est impensable de vouloir contrôler ces rejets.»

Ce qui alarme certaines personnes, c'est que la science n'a pas résolu comment réaliser des études toxicologiques et épidémiologiques pouvant affirmer clairement qu'il n'y ait pas de retour sur les humains. «En conséquence, on devrait jouer de prudence», estime le professeur Pelletier de l'UQAR.

Une plus grande responsabilisation

Le professeur Pelletier croit que le milieu de la santé devrait militer auprès des consommateurs de médicaments pour une gestion adéquate des composés qu'ils ingurgitent. «Il existe une très mauvaise habitude qui consiste à jeter à la toilette et dans l'évier les pilules non utilisées ou périmées. Il faut absolument sensibiliser les utilisateurs sur les effets directs de ce geste», précise-t-il. Il espère aussi que les gouvernements soient vigilants face aux procédés de production des compagnies pharmaceutiques. «J'ose espérer que l'industrie est consciente des conséquences néfastes sur la faune marine de tels rejets et qu'elle s'est imposé des pratiques rigoureuses à leur sujet», conclut-il.

  

Lire aussi: Bien choisir l'eau embouteillée et Une compétition pour l'eau se dessine dans le monde.

Source

L'étude a été publiée dans le Journal of Environmental Monitoring et a été réalisée par des chercheurs du Département de chimie de l'Université de Montréal et de la division Recherche sur la protection des écosystèmes aquatiques d'Environnement Canada.

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