Santé

Boire un peu, beaucoup ou pas du tout?

Boire un peu, beaucoup ou pas du tout?

  Photographe : Shutterstock

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Boire un peu, beaucoup ou pas du tout?

Un verre avec le repas, un apéro improvisé entre voisins, un cocktail pour adoucir une mauvaise journée... L’alcool s’immisce sournoisement dans notre quotidien, entre plaisir et échappatoire. 

Quand la consommation devient-elle un problème? Bilan d’une relation parfois tordue.

 

Stéphanie Braquehais ne buvait pas tous les jours. L’alcool ne lui a pas fait perdre son emploi, son amoureux, sa famille. Elle n’était ni malade ni au fond du gouffre. Pourtant, le 31 août 2018, elle choisit de fermer la valve. Définitivement.

Dans son livre Jour zéro, Stéphanie raconte, avec transparence et humour, son cheminement vers la sobriété. Son récit introspectif est truffé de souvenirs alcoolisés, de gueules de bois peu glorieuses et de réflexions coup-de-poing. Une quête de soi qui décortique habilement les mécanismes insidieux de notre rapport à l’alcool.

«Je n’avais pas de raison particulière de m’interroger sur mon rapport à l’alcool mais, au fil des expériences, j’ai fini par me demander si boire était vraiment bon pour moi», raconte l’auteure, de sa résidence à Nairobi, au Kenya.

La goutte qui a fait déborder le pichet? La fois où, pour apaiser sa peur de voler, elle a pris quelques verres à l’aéroport: «J’avais trop bu, et ma fille était avec moi. J’ai décidé que je ne serais pas cette mère-là...»

 

Malheur pandémique, bonheur éthylique

Les chiffres ne mentent pas. Depuis une décennie, la consommation d’alcool est en croissance, tant chez les hommes que chez les femmes. Et la pandémie a donné un autre coup d’accélérateur: «On ne note aucun changement chez les femmes qui ne buvaient pas, mais pour les autres, la tendance s’est accentuée», déclare la Dre Mélissa Généreux, professeure à l’Université de Sherbrooke et médecin spécialiste en santé publique.

Il peut s’agir d’un seul verre de vin la plupart des soirs ou d’une consommation importante un seul soir par semaine. «En juin, 20 % des femmes québécoises rapportaient avoir eu un épisode de consommation excessive au cours du dernier mois, soit cinq verres ou plus lors d’une même occasion – une bière en apéro, une flûte de champagne, deux verres de vin au souper, un digestif... Chez 10 % des femmes, on parle d’une fois par semaine.»

Cela ne signifie pas que toutes ces femmes ont un problème d’alcool. On utilise surtout ces données pour suivre la tendance générale de la population.

«Au début de la pandémie, les ventes d’alcool ont augmenté, confirme la Dre Généreux. On craignait la fermeture des commerces, on voulait limiter les déplacements, on stockait les bouteilles. Sauf que... quand les armoires sont pleines, c’est plus facile de se laisser tenter par un petit verre un mardi soir! Près de deux ans plus tard, l’habitude est bien ancrée... et plus difficile à défaire.»

 

Tout est vin, tout est vain?

Avec le télétravail, la routine a été bouleversée. La frontière entre le boulot et la détente s’est embrouillée.

«Chez certains, le petit verre de vin fait maintenant office de coupure, dit la Dre Généreux. Ajoutons le stress et l’anxiété qui ont augmenté dans la dernière année, surtout chez les femmes, et les ingrédients sont réunis pour une hausse de la consommation d’alcool.»

On s’est créé une nouvelle façon de vivre, un petit monde parallèle, avec de nouvelles façons de se faire plaisir et de gérer notre stress. 

Pansement miraculeux et véritable star, la boisson est banalisée, voire glorifiée. Dans nos réseaux sociaux, on accompagne un bon coup par une photo de flûtes posées au coin du feu. Dans les téléréalités, l’alcool désinhibe les candidats. Dans les séries, les personnages ont toujours un verre à la main. Dans les émissions de service, on sert des grands crus aux invités. Même le premier ministre recommandait un petit verre pour adoucir nos jours confinés!

 

Boire un peu, beaucoup ou pas du tout?

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Des mots sur les maux

Remettre en question notre rapport à l’alcool, c’est donc ramer contre le courant. Devrait-on s’interroger uniquement quand on a touché le fond de la bouteille? Et puis, c’est quoi, l’alcoolisme? Trop boire, mal boire, souffrir de sa consommation?

Au-delà du nombre de verres, il existe d’autres drapeaux rouges. Selon la psychologue Christine Grou, les désordres liés à l’alcool évoluent dans un spectre à intensité variable: «Si l’on a très hâte de boire, si l’on y pense beaucoup, si l’on organise nos activités en conséquence, si l’on boit de plus en plus tôt dans la journée, si l’on adopte certains comportements risqués, comme de prendre le volant après avoir bu une demi-bouteille au restaurant... il y a lieu de se poser des questions. On peut très bien ne jamais boire en semaine, mais avoir un rapport problématique à l’alcool.»

Stéphanie Braquehais le nomme d’ailleurs dans son récit: «Ce qui me différenciait de mes amies, ce n’était pas la quantité d’alcool absorbée, mais la peur d’en manquer. Ma décision n’était pas motivée par une situation de détresse, elle est le fruit d’un ras-le-bol qui s’est amplifié au fil des années.»

Chez elle, l’alcool faisait office de tampon protecteur entre ses vulnérabilités et le monde extérieur. Une ouate de plaisir qui exalte et apaise avant de s’évanouir. Puis la ouate devient une compagne de route de plus en plus régulière... et nécessaire!

Refusant l’étiquette de l’alcoolisme, Stéphanie préfère parler de zone grise: «En choisissant le terme qui nous correspond, on peut construire notre récit et mettre en place des mesures qui nous conviennent. Depuis la parution de mon livre, je vois que d’autres se questionnent aussi et souhaitent se réinventer sans tomber dans les préjugés liés à l’alcoolisme.»

 

Relation: c’est compliqué...

Qu’il soit ponctuel ou définitif, le choix de l’abstinence ne laisse personne indifférent. «Chez les uns, ma décision déclenche une déception, chez les autres de l’approbation, décrit Stéphanie dans Jour zéro. J’ai l’impression que mon abstinence les renvoie à leur propre attachement à l’alcool et les invite à une introspection désagréable. Les abstinents sont louches. Je sais de quoi je parle, je m’en méfiais moi-même comme de la peste!»

L’auteure et journaliste ne s’en cache pas, ses écrits ont parfois causé une onde de choc. «J’avais une peur panique que tout le monde me colle l’étiquette d’alcoolique, et c’est exactement ce qui est arrivé. En France, dire qu’on a un problème avec l’alcool revient automatiquement à dire qu’on est alcoolique. Les nuances n’existent pas. Sur un plateau de tournage, on me poussait à avouer que j’étais alcoolique, en me renvoyant à des passages précis de mon livre! On me refusait la zone grise, on voulait un diagnostic. J’ai l’impression que le Québec est plus en avance sur ces réflexions...»

Par chance, les consciences évoluent. Chaque début d’année, le sujet revient sur le tapis, avec notamment le Défi 28 jours sans alcool durant le mois de février. Dans les réseaux sociaux, les mots-clics #SoberLife ou #SoberCurious abondent. La sobriété assumée et choisie a des adeptes, qui ne se définissent pas pour autant comme des alcooliques repentis.

 

Stop ou encore?

Pour certains, la solution réside dans une discipline stricte. Stéphanie a préféré la coupure définitive: «J’étais devenue experte dans l’art de passer à travers des filets que j’avais moi-même installés», raconte-t-elle dans son journal. Fatiguée de compter les verres et de négocier avec elle-même, elle sera simplement non-buvante.

Et les bienfaits sont clairs: relations apaisées, meilleure forme physique, impression de se retrouver... Loin du sacrifice, l’abstinence est devenue pour elle la plus grande des libertés.

«Ce n’est pas tout rose, on ne devient pas en état de lévitation permanente. Mais quand des difficultés se présentent, j’ai moins tendance à partir en courant. J’accepte que la vie ne soit pas toujours cool. Je ne m’évite plus, je n’ai plus le choix de vivre avec moi-même.»

Son conseil pour vivre sans béquille éthylique? «Y aller une étape à la fois, en continuant de se faire du bien et d’être bienveillant envers soi-même.»

 

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Trois garde-fous pour éviter les dérapages
  1. Être honnête envers soi-même. Avoir un œil lucide et bienveillant sur notre consommation.
  2. Multiplier les exutoires. Courir, nager, se promener avec le chien, lire, dessiner... et se sentir aussi bien qu’après un verre!
  3. Poser ses limites. Ne jamais boire le midi. Ouvrir une bouteille seulement avec les amis, le week-end. Se donner un cadre est un facteur de protection.

 

Boire au féminin

Les drapeaux rouges et les signes d’intoxication sont les mêmes pour les hommes que pour les femmes. Ce sont les facteurs biologiques qui varient: «La métabolisation de l’alcool est différente chez les femmes, rappelle la psychologue Christine Grou. À quantité égale, elles auront un taux d’alcool plus élevé dans le sang, notamment en raison de leur poids inférieur et d’une proportion plus élevée de gras que les hommes.»

Cette cruelle injustice biologique implique qu’il vaut mieux ne pas partager la bouteille de vin moitié-moitié avec notre amoureux.

Les recommandations de santé publique se veulent des balises pour assurer notre sécurité, notre santé. Pour les femmes, on se limite à 10 verres par semaine, avec un maximum de 2 verres par jour, sans boire tous les jours. 

 

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