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Manger: pourquoi est-ce devenu si compliqué?

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Auteur : Coup de Pouce

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Manger: pourquoi est-ce devenu si compliqué?

Manger devrait être simple. Mais la vague d’informations sur la nutrition qui déferle en ce moment complique nos choix. Comment s’y retrouver pour revenir aux bases d’une saine alimentation? Des nutritionnistes viennent à la rescousse!

Le sentiment que manger est devenu compliqué est justifié, estime Julie DesGroseilliers, nutritionniste et auteure de Manger des bananes attire les moustiques, et plus de 150 autres mythes et réalités en matière d'alimentation. Trois principaux facteurs sont en cause, selon elle: la surabondance d'informations sur la nutrition, la multiplication des produits en épicerie et le marketing alimentaire. «Même moi, comme nutritionniste, je trouve ça difficile. Quand il y a 50 sortes de céréales au supermarché qui présentent des allégations toutes plus criardes les unes que les autres, il faut travailler fort pour faire un choix santé!» Dans ce contexte, il est primordial de demeurer critique et de ne pas avaler tout ce qu'on nous dit. «Il faut ouvrir l'oeil avant d'ouvrir la bouche, rappelle la nutritionniste. C'est le seul moyen de savoir ce qu'on mange.»

Nutrition: gare aux études!

Il faut prendre du recul par rapport aux résultats d'études sur la nutrition et s'informer auprès de sources sûres, croit Julie DesGroseilliers. «Plusieurs informations contradictoires circulent sur l'alimentation, surtout dans Internet. On vérifie les sources avant d'y accorder de l'importance.» Elle cite l'exemple d'un courriel qui circulait récemment: on disait que la margarine est tellement chimique qu'elle peut être comparée à du plastique! Or, elle est composée à 80 % d'huile végétale et à 16 % d'eau.

Au cours des dernières années, les informations sur la consommation de poisson ont aussi porté à confusion. D'un côté, on nous dit de manger du poisson deux fois par semaine, de l'autre, on nous prévient de faire attention au mercure qu'il contient. «La recommandation au sujet du mercure est vraie, dit Mme DesGroseilliers, mais elle ne concerne que certaines espèces. Malheureusement, la nouvelle effraie certaines personnes et les décourage à manger du poisson.» Santé Canada recommande aux adultes de limiter leur consommation de thon frais ou congelé, de requin, d'espadon, d'escolier et de marlin à 150 g par semaine, ce qui correspond à deux portions. «Qui mange du thon frais deux fois par semaine?» se demande la nutritionniste. Bref, on ne devrait pas s'inquiéter outre mesure de notre consommation de poisson.
 

«Aussitôt qu'une découverte alimentaire sort dans une revue scientifique, c'est repris par les médias, déplore Stéphanie Côté, nutritionniste chez Extenso, le Centre de référence sur la nutrition de l'Université de Montréal. C'est ce qui explique la publication de résultats contradictoires quelques semaines plus tard. La nutrition est une science relativement jeune. C'est normal qu'il y ait encore beaucoup de choses à apprendre sur le sujet. Et, généralement, les scientifiques sautent moins vite aux conclusions que les médias.»

«Quand on voit les résultats d'une étude dans le journal, il faut pousser notre réflexion plus loin et consulter l'étude en entier, suggère Julie DesGroseilliers. Plus l'étude est récente et unique, plus on devrait être critique par rapport à ce qu'elle conclut. Et, si ça semble trop beau pour être vrai, on se méfie. Une granule qui va nous faire maigrir et vivre en santé, ça ne se peut pas. Si ça existait, il n'y aurait plus d'obèses et personne ne souffrirait de diabète ni de cholestérol. Bien manger et être en santé, ce n'est pas magique. Ça demande des efforts.»

De plus, tout le monde se permet de parler d'alimentation parce que tout le monde mange et que tout le monde se sent concerné. «Il faut vérifier qui rapporte l'information, prévient Stéphanie Côté. Quand ce sont des nutritionnistes qui reprennent des sujets d'études pour les vulgariser et les placer dans leur contexte, à mon avis, c'est crédible.» Elle est plus sceptique, par exemple, devant un pharmacien qui parle d'alimentation. «Tous les professionnels de la santé ne sont pas des spécialistes de la nutrition. À l'inverse, une nutritionniste n'aurait pas la crédibilité pour parler de médicaments ou d'ongle incarné! Chacun sa spécialité.»

Et quand on consulte un blogue ou un site Internet sur l'alimentation, on devrait s'assurer qu'il n'y a pas d'affiliation. Un site rempli de publicités de fabricants de l'industrie alimentaire laisse planer des doutes quant à l'objectivité des informations qui y sont véhiculées.

Les infos nutritionnelles à la loupe

On est tous préoccupés par notre santé, on veut bien manger, mais on manque de temps. L'industrie alimentaire l'a bien compris et utilise cet intérêt pour vendre ses produits. Depuis quelques années, les mentions santé affichées sur les produits au supermarché poussent comme des champignons et compliquent nos choix. «Faible en gras, riche en calcium, source de fibres, teneur réduite en sucre... On ne sait plus où donner de la tête à l'épicerie, reconnaît la nutritionniste Hélène Baribeau. Quand il y a trop d'informations, c'est difficile de faire la part des choses. Les allégations santé attirent les consommateurs parce qu'elles se lisent vite, mais elles peuvent aussi nous jouer des tours.»

Toutefois, «elles respectent les règles établies par Santé Canada et sont surveillées par l'Agence canadienne d'inspection des aliments, précise Stéphanie Côté. Elles sont véridiques.» Par exemple, pour qu'un produit soit considéré comme une source élevée de fibres, il doit contenir de 4 à 6 g de fibres par portion. Une source de fibres en contient de 2 à 4 g et une source très élevée, 6 g ou plus. «Mais le produit qui en affiche le plus n'est pas automatiquement le meilleur choix, prévient-elle. Il faut voir l'aliment dans son ensemble. Les allégations attirent l'oeil vers une ou deux caractéristiques de l'aliment, mais font peut-être oublier certains défauts.» Ainsi, un produit qui s'affiche sans gras trans pourrait contenir beaucoup de sucre ou de sel.

«Le consommateur pressé se laisse charmer par ces allégations, note Julie DesGroseilliers. J'ai en tête des craquelins dont l'emballage mentionne qu'ils sont sans gras trans, faits de vrais légumes et de grains nutritifs. Mais, quand on lit la liste des ingrédients, on constate qu'il y en a 60! Le deuxième, c'est du shortening. Les légumes sont tous traités aux sulfites. Et, dans le tableau de valeurs nutritives, il n'y a pas de fibres parce qu'on n'a pas utilisé de céréales à grains entiers. Tout ce qui est indiqué sur la boîte est vrai, mais il faut aller plus loin. Les allégations santé nous donnent des pistes. Il faut par la suite valider les infos en consultant le tableau de valeurs nutritives et la liste des ingrédients.»

Quand on s'y attarde, on peut être surprise de constater, par exemple, qu'une chip tortilla régulière contient plus de fibres que la version qui porte une appellation multigrains, ou que certains pains bruns contiennent moins de grains entiers que certains pains blancs. «N'oublions pas que l'industrie alimentaire pense davantage à la santé de son portefeuille qu'à celle du consommateur», rappelle Mme DesGroseilliers.

L'effet pervers du marketing santé

Les mentions santé ont un impact direct sur notre consommation, constate la nutritionniste Véronique Provencher, chercheuse à l'Institut des nutraceutiques et aliments fonctionnels de l'Université Laval. Dans une étude réalisée auprès d'étudiantes de Toronto, on a démontré que ces allégations faussaient la perception des consommateurs. «On a présenté les mêmes biscuits à deux groupes de femmes, raconte la chercheuse. Dans un premier groupe, on les a décrits comme des biscuits contenant du sucre et du gras. Dans l'autre groupe, on les a présentés en disant qu'il s'agissait d'une collation riche en fibres, sans gras trans et faible en gras saturés. Dans ce groupe, les femmes en ont mangé 35 % plus que dans le premier.»

Les allégations santé n'orientent donc pas seulement nos choix à l'épicerie. Elles influencent aussi notre façon de manger. «Quand les gens perçoivent que c'est bon pour eux, c'est comme si ça leur donnait le droit d'en manger à volonté, note Mme Provencher. Il y a un faux sentiment de sécurité qui s'installe.» On a alors tendance à sous-estimer l'apport calorique de ces aliments.  

Les aliments à valeur ajoutée

Une autre tendance contribue à nous confondre: celle des aliments à valeur ajoutée. Jus d'orange enrichis de calcium, yogourts aux probiotiques, oeufs avec omega-3: devrait-on privilégier ces produits et en a-t-on vraiment besoin? «Ce que l'industrie ne nous dit pas, c'est à qui s'adressent ces aliments, répond Julie DesGroseilliers. La personne qui boit du lait et qui mange des fromages et d'autres produits laitiers n'a pas à dépenser pour un jus d'orange avec calcium. Ses besoins sont comblés avec les produits laitiers. Par contre, cela peut être intéressant pour quelqu'un qui a une intolérance au lactose ou qui n'aime pas le lait et les produits laitiers.» Véronique Provencher croit pour sa part qu'un aliment enrichi de calcium peut également être utile aux femmes de 50 ans et plus, qui ont davantage besoin de calcium. «Les produits à valeur ajoutée représentent de bonnes solutions pour remplacer un supplément qu'on achèterait en pharmacie, dit-elle. Mais leur consommation ne devrait pas changer nos saines habitudes alimentaires.»

Les aliments enrichis accrochent et se vendent bien, constate Hélène Baribeau. «Ça répond à notre besoin de ne pas perdre de temps. On se dit: "J'ai pris mon jus avec omega-3. Pas besoin de cuisiner de poisson cette semaine!" Mais il ne faut pas que le produit enrichi nous enlève l'habitude d'aller chercher nos nutriments dans leur source naturelle, ce qui est toujours préférable.» En effet, pour faire le plein d'omega-3, il n'y a rien de mieux qu'un poisson gras comme le saumon: il faudrait de 8 à 24 oeufs avec omega-3 pour obtenir l'équivalent en omega-3 d'une portion de 100 g de saumon.

Bio, local et équitable

Le mouvement pour une alimentation responsable, qui favorise l'achat d'aliments biologiques, produits chez nous et équitables, s'ajoute à nos préoccupations quand vient le temps de choisir ce qu'on va manger. Pour les nutritionnistes interrogées, il s'agit d'un choix personnel lié à nos convictions. Il n'a pas d'impact réel sur notre apport nutritionnel. Sur leur site Internet, les spécialistes d'Extenso mentionnent que l'analyse de nombreuses études conclut qu'il n'y a pas de différences significatives entre les aliments biologiques et conventionnels du point de vue de la valeur nutritive.

«Avant d'aller vers des aliments bios, locaux et équitables, il faut combler nos besoins de base, estime Julie DesGroseilliers. La clé, en alimentation, c'est de manger le plus frais possible et le moins transformé possible. Il est important, par exemple, de manger un maximum de fruits et légumes pour être en santé, qu'ils soient bios ou non. Si on a les moyens de se payer des produits biologiques, locaux et équitables, tant mieux! On comble nos besoins nutritionnels tout en réduisant l'impact sur l'environnement et en encourageant l'économie sociale. C'est super!»

La clé: revenir à la base

Tous ces facteurs font en sorte que, paradoxalement, le fait d'être plus informés que jamais sur l'alimentation ne nous encourage pas à mieux manger. «Un adulte sur deux ne mange pas assez de fruits et légumes et deux adultes sur trois ne consomment pas assez de produits laitiers, alors qu'on n'en recommande que deux portions par jour, se désole Julie DesGroseilliers. De plus, près du quart de nos calories quotidiennes proviennent d'aliments non nutritifs comme les boissons gazeuses, les desserts et les pâtisseries. Mais les gens sont prêts à acheter le pain avec l'inuline et le jus d'orange enrichi de calcium! On cherche le produit magique, la solution simple, au lieu de revenir à la base, qui est de mettre dans notre assiette le plus d'aliments frais possible et de donner la plus grande part aux fruits et légumes et aux grains entiers.»

Elle suggère de s'en remettre aux recommandations du Guide alimentaire canadien. «Consommer suffisamment de produits des quatre groupes alimentaires nous permet d'être en santé et d'avoir de l'énergie parce que ça nous donne une variété d'éléments nutritifs qui nous aident à fonctionner à notre plein potentiel. Par exemple, ce n'est pas en mangeant un yogourt aux probiotiques de temps en temps qu'on sera plus en santé, dit-elle, mais en intégrant deux portions de produits laitiers à notre alimentation au quotidien.»

«Il faut remplir notre panier d'épicerie de produits frais et limiter les produits transformés, suggère Hélène Baribeau. Et on se remet à la cuisine. Il n'est pas question de faire notre pain, mais on peut quand même résister à l'envie d'acheter des muffins, des pizzas et des lasagnes et les faire soi-même. Tout le monde veut gagner du temps. Mais le choix de prendre moins de temps pour cuisiner nous amène à en prendre plus à l'épicerie, à lire les étiquettes des produits préparés pour faire les bons achats. Renversons la vapeur!»

«Il faut arrêter de chercher toujours les produits enrichis, ajoute Stéphanie Côté. Il y a des aliments de base qui font très bien l'affaire. Le yogourt nature à 2 % est parfait. On n'est pas obligée d'essayer de combiner un maximum de bons nutriments dans un seul aliment.» «D'ailleurs ce n'est pas un aliment qui construit notre santé, c'est l'ensemble de nos habitudes alimentaires et de vie en général», conclut Julie DesGroseilliers.

Pour manger mieux sans se compliquer la vie

  • Guide pratique du panier d'épicerie, Collection Protégez-Vous, avec la collaboration d'Extenso, Les Éditions Protégez-vous, 2010, 72 p., 9,95$.
  • Les Règles d'une saine alimentation, par Michael Pollan, Éditions du trésor caché, 2010, 160 p., 9,95$.
  • Manger des bananes attire les moustiques, et plus de 150 autres mythes et réalités en matière d'alimentation, par Julie DesGroseilliers, Éditions La Presse, 2009, 192 p., 24,95$.
  • Extenso
  • Guide alimentaire canadien

 

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