Vie de famille
Jusqu’où devrait-on pousser ses enfants?
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Vie de famille
Jusqu’où devrait-on pousser ses enfants?
Certains parlent de l’importance de finir ce qu’on a commencé. D’autres, d’atteindre son «plein potentiel».
Guidés par leurs valeurs et leurs expériences, les parents souhaitent que leurs enfants s’épanouissent, découvrent, expérimentent, osent... Mais faut-il insister? Où tracer la ligne entre dépassement et acharnement?
En fin d’année scolaire, Nancy et son conjoint ont aidé leur fille de six ans à préparer un numéro de marionnettes pour le spectacle de fin d’année. La fillette, au tempérament plutôt timide, était enthousiaste à l’idée de le présenter... mais au moment de la répétition générale, elle a figé. Et elle s’est retirée du projet.
«Je me suis demandé si je devais la pousser à atteindre son objectif, raconte la mère de trois enfants, puisqu’elle attendait ce moment depuis un mois et qu’elle y avait investi beaucoup de temps. Ou alors, je ne m’acharnais pas et je respectais son désir de ne plus participer.»
Pour cette Montréalaise de 41 ans, le dilemme était complexe, porteur de plus d’un enjeu. Quelles seraient les conséquences de sa participation... ou de son absence? «Si je la poussais à y aller, est-ce que je l’aidais à devenir une personne qui fonce ou est-ce que je lui envoyais le message que ses besoins n’étaient pas écoutés?»
Si le questionnement de Nancy est commun à tous les parents du monde, cela ne veut pas dire qu’il soit banal ou simple. Au contraire! Que ce soit devant un aliment inconnu, dans la file d’un manège à sensations fortes, lors de la pratique d’un nouveau sport ou en face d’étrangers à qui l’on veut présenter un numéro de marionnettes, le défi est de taille pour les enfants... et leurs parents.
Une bouchée à la fois
Sortir de sa zone de confort n’est jamais chose aisée. «Cette zone de confort est super importante, car elle est sécurisante, explique Stéphanie Giardetti, intervenante psychosociale et propriétaire de Karenuf, un service d’accompagnement pour adolescents. Cependant, les enfants ont besoin d’en sortir, et il est préférable qu’ils soient accompagnés pour le faire.»
La spécialiste croit beaucoup à la technique des petits pas: si le défi est réaliste et que l’enfant y va petit à petit, il sera fier de lui et aura envie de recommencer... car il aura goûté à la réussite! «Je pense que les challenges doivent être graduels, dit Mme Giardetti, mère de deux ados. Sinon, ils risquent de causer trop de stress.»
Le danger, en tant que parent, est de surprotéger son enfant. En étant trop accommodant, on l’incite à éviter toute situation nouvelle, exigeante ou inconfortable. Marc-Alain, père monoparental de deux garçons de 10 et 13 ans, l’a vécu avec son aîné, l’hiver dernier. À force de craindre qu’il ne se blesse en ski alpin sur les pentes, il a tué l’initiative de son adolescent, passionné par ce sport. «Quand il m’a dit qu’il voulait suivre des cours de bosses et sauts, plutôt que ses cours habituels, j’ai réagi trop fortement, nous confie le Lavallois de 47 ans. Il est déjà pas mal casse-cou, et ça m’a fait peur.»
L’effet inverse s’est produit: son fils Nicolas a perdu de l’intérêt pour la montagne, le ski et l’hiver tout court. «Je ne comprenais plus rien! lance le père en riant. Mais à force de discussions et d’échanges, j’ai réalisé que c’était moi, avec mes propres doutes et mes craintes, qui avais fait reculer mon jeune.»
De son côté, Nancy se demande si elle n’aurait pas dû insister auprès de sa fille pour qu’elle n’abandonne pas son numéro de marionnettes au spectacle de fin d’année de l’école. «Elle ne l’a finalement pas fait, dit-elle, et elle a été déçue pendant plusieurs jours.»
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Motivation profonde
Les apprentissages ne sont toutefois pas vains, à la fois pour les parents et les enfants. Et si le plus important était la motivation profonde de l’enfant et son intérêt véritable?
Selon la Dre Sophie Leroux, psychologue au CHU Sainte-Justine et auteure du livre Aider son enfant anxieux, il faut garder une question en tête lorsqu’on se demande s’il faut pousser ou non son enfant: est-ce qu’on le fait pour les bonnes raisons? «Je pense que c’est une bonne chose de revenir à nos valeurs intrinsèques, souligne-t-elle. Quelles sont nos valeurs familiales? Qu’est-ce qu’on veut inculquer et quel comportement respecte ces valeurs?»
Elle cite en exemple un enfant qui refuserait de poursuivre un cours auquel le parent vient de l’inscrire. Est-ce la valeur du plaisir qui va guider la suite, la curiosité de continuer un peu plus longtemps, l’entraide familiale pour le soutenir dans cette continuation ou l’acceptation de l’abandon, car l’enfant ne s’y sent pas bien?
Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses... mais il est toujours intéressant de comprendre la raison derrière le refus de continuer. «Et, en général, il y a une raison! clame la psychologue. Pourquoi l’enfant veut-il tout lâcher? Y a-t-il une cause précise? Est-ce dû à des commentaires reçus? Au fait que cette activité est trop stimulante ou, au contraire, pas assez?»
Si l’enfant est d’âge scolaire, mais a du mal à reconnaître ce qui ne va pas, le parent peut l’aider en lui proposant des pistes de réponses et en lui demandant si, de 1 à 10, cela s’applique à lui. Et si l’enfant est toujours incertain, la Dre Leroux suggère l’utilisation d’un support visuel, comme des images montrant des émotions (par exemple, un bonhomme sourire, moyennement content ou pas content, que l’enfant pourra pointer pour expliquer comment il se sent). «Cela fonctionne bien avec les enfants de quatre à six ans», affirme la psychologue.
Peu importe si la décision est d’abandonner, de repousser le projet ou de foncer, il est avisé de ne pas emprunter de raccourci en prenant une décision basée sur les «mauvaises raisons», comme la performance, les apparences ou la pression extérieure. Et même le sacro-saint «il faut terminer ce qu’on a commencé» n’est pas valable s’il entre en conflit avec les valeurs familiales. Au contraire, cela peut être un exemple de non-écoute et de non-respect de ses vrais désirs et besoins. L’inverse du consentement, en somme!
«Le danger est alors que l’enfant ne se sente pas entendu et qu’il conclut que ça ne sert à rien d’exprimer ses besoins ou ses émotions, puisqu’on ne tient pas compte de ses signaux», souligne la Dre Leroux, en ajoutant que l’enfant peut alors se détacher du parent, subir une perte d’estime ou avoir du mal à connaître et à mettre ses limites.
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Être à l’écoute
Chaque activité, atelier ou cours choisi par la famille devrait idéalement tenir compte du tempérament de l’enfant, de son niveau d’anxiété et d’énergie, de ses particularités développementales, de sa sensibilité, de ses habiletés et de ses centres d’intérêt, rappelle la psychologue. C’est la meilleure façon de s’assurer que l’enfant est heureux et qu’il s’épanouit dans cette expérience.
La clé, répète Mme Giardetti, est l’écoute, la communication, le respect... et la flexibilité. «On peut faire un parallèle avec l’adulte qui change d’emploi, illustre-t-elle. Il doit sortir de sa zone de confort, il veut se sentir compétent, mais sentir aussi qu’il est stimulé, qu’il a des défis devant lui et que ses talents sont exploités. C’est la même chose pour un enfant ou un adolescent.»
Valérie, mère de trois enfants qui habite Richelieu, a proposé toutes sortes de sports à sa fille de neuf ans: patin, ballet, danse, gymnastique, course... sans succès. «Son anxiété a grimpé et elle était malheureuse, admet Valérie. Il y a un apprentissage à faire comme parent. J’ai trois enfants totalement différents. Ce qui s’applique à l’un ne s’applique pas nécessaire à l’autre. De plus, ce n’est pas parce que les parents sont sportifs que les enfants le seront...»
Sa fille s’est découvert récemment une passion pour les chevaux et, depuis, elle est dans son élément. «Elle n’est pas dans l’obligation ni dans le stress ou la comparaison avec les autres. Elle est vraiment dans une activité qui lui ressemble, elle est dans le plaisir», conclut la mère de famille.