6-12 ans

Expliquer les menstruations à son enfant

Expliquer les menstruations à son enfant

  Photographe : Shutterstock

6-12 ans

Expliquer les menstruations à son enfant

La moitié de l’humanité est menstruée, et pourtant le sujet demeure tabou. Caché. Secret. Comment peut-on ouvrir le dialogue, de mère en fille, de parent à enfant, d’une génération à l’autre pour que les règles soient normalisées une fois pour toutes?

«Je ne suis pas surprise, ni bouleversée, ni traumatisée par l’arrivée de mes règles. Maman m’a si bien préparée!» Ces mots, je les ai entendus de la bouche de ma fille de 11 ans, menstruée pour la première fois, un matin radieux de printemps. Elle échangeait avec son père sur l’événement de façon très naturelle, spontanée, décontractée. Il y avait un mélange de joie et de fierté... autant pour moi que pour elle!

Elle a consenti à ce que je la cite ici, se demandant pourquoi je lui demandais sa permission. «Je suis une fille, je suis en santé, je suis menstruée, c’est tout, c’est normal», me lance-t-elle en haussant les épaules avant de replonger dans ses devoirs.

Il y a autant de discours et de réactions possibles au début des règles d’une jeune fille qu’il y a de familles. Cela dépend des valeurs, du mode de vie, des liens et de la capacité de communiquer. «Les choses changent tranquillement, entre autres parce que les jeunes sont plus ouverts, affirme Victoria Doudenkova, chargée du projet Campagne Rouge au Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF). Ils veulent être autonomes, être informés et avoir plus de pouvoir sur leur vie.»

 

Rite de passage

Entre faire une fête liée à l’arrivée des premières menstruations et les cacher à ses parents, il y a un monde de possibles. L’une des variables qui entrent en jeu, outre l’éducation, est la propre expérience de la mère. Si celle-ci vit un calvaire menstruel mois après mois, depuis 20 ou 30 ans, cela risque de teinter son discours...

«Il ne faut pas être trop dure envers soi-même», dit Lucia Zamolo, illustratrice et graphiste, auteure du livre jeunesse C’est beau, le rouge, publié en début d’année à La courte échelle, et dont la mission est de briser les tabous autour des règles. «On peut dire à notre fille que cela est difficile pour nous, expliquer pourquoi et essayer de prendre du recul quant à notre propre expérience.» Le but? Ne pas transmettre nos peurs, nos souffrances, notre gêne à notre fille. Briser le cycle, tenir un discours positif qui, on l’espère, rendra la perception des menstruations plus légère et plus joyeuse.

C’est ce que Marie-Claude, 37 ans, fait avec sa fille Raphaëlle, 10 ans. «Elle n’est pas encore menstruée, mais elle pose beaucoup de questions et cela l’intéresse, nous confie la maman. Je lui donne les vraies informations, avec les bons mots, et je lui répète souvent que ça arrive à toutes les femmes et qu’elle peut toujours en parler, à moi, à son père ou à ses copines.» Raphaëlle confirme: «Je n’ai pas peur, je sais qu’il y aura des signes avant que ça m’arrive. Et ça ne sera pas tout de suite! J’ai tout de même hâte de savoir à quoi ça ressemble, comme sensation...»

C’est exactement pour les jeunes filles comme Raphaëlle que Mme Zamolo a décidé d’écrire un livre à cheval sur le documentaire, le roman graphique et le journal intime. Le sujet a d’abord été exploré dans sa thèse en arts appliqués avant de devenir un bouquin... jusqu’ici traduit dans une douzaine de langues. «L’idée m’est venue lorsque mon colocataire, un garçon, a déménagé, raconte-t-elle. Nous nous sommes retrouvées entre filles dans l’appartement, et je me suis aperçue que nous en parlions plus librement, plus ouvertement et plus souvent aussi! Je me suis demandé pourquoi.»

Ses recherches lui ont fait comprendre que le sujet était encore tabou partout dans le monde, entre autres parce que les règles sont considérées comme «dégoûtantes» voire «sales»... Cette vision, elle la relie au patriarcat, que l’on peut définir d’un point de vue sociologique comme un système où les hommes sont supérieurs aux femmes, sur lesquelles ils détiennent une autorité et des droits. «Je sens que les femmes commencent à être plus conscientes de ça et du fait qu’il est temps qu’elles se lèvent, qu’elles parlent, qu’elles soient fières et solidaires dans leur vie en général, et cela inclut leurs menstruations», note Lucia Zamolo. 

 

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© Unsplash | Joice Kelly

 

Mystère et boule d’hormones

Le tabou s’explique peut-être aussi parce que les règles sont méconnues. Mystérieuses. Il faut dire que peu d’études s’intéressent au sujet. Ce n’est qu’en 2016 qu’une première étude sur les symptômes liés au syndrome pré-menstruel (SPM) a été publiée, par l’Université de Californie (et rappelons que ce syndrome n’a été identifié formellement qu’en 1931 et qu’à ce jour, il n’existe aucune solution efficace pour le traiter).

Il y a cinq fois plus d’études sur le dysfonctionnement érectile, qui touche moins de 20 % des hommes, que sur le SPM, qui concerne pourtant 90 % des femmes. Pourquoi cet écart? Peut-être parce que le milieu de la recherche scientifique demeure une chasse gardée masculine. Les femmes ne représentent que 20 % des employés en sciences, en technologie, en ingénierie et en mathématiques au Canada, selon un rapport de l’Université de Sherbrooke publié en 2019. Et elles représentent 28 % des chercheurs à travers le monde, selon une étude de l’Unesco de 2017.

Le plafond de verre est bien opaque, semble-t-il, en sciences... «Tout reste à faire! s’exclame Mme Doudenkova, du RQASF. Ça va de la composition des tampons aux risques pour l’environnement et la santé, en passant par le cycle féminin, dont on sait bien peu de choses... Il y a un manque de recherche et de visibilité sur ce sujet.» 

Les menstruations sont souvent vues à travers la lorgnette médicale et pharmaceutique (par exemple, comment fonctionne le cycle reproducteur, comment le contrôler, etc.), ou marketing et publicitaire (par exemple, voici de nouveaux produits hygiéniques, les plus récentes avancées technologiques, etc.), mais rarement autrement. «On a peu de modèles pour en parler de façon différente, pour tenir un discours positif», déplore Victoria Doudenkova, dont la campagne de sensibilisation #LaVieEnRouge était la toute première au Québec.

 

Ouvrir les valves de la communication

Isabelle, une Montréalaise de 43 ans, et sa fille Lili, 12 ans, ont choisi un chemin différent: celui de la participation à une «tente rose», sorte de cercle intime de partage entre mères et filles sur les règles, être femme en 2021, l’amour, l’amitié, la tendresse et la sexualité. Les échanges sont guidés par une accompagnante, dans ce cas-ci, une doula.

La tente rose est un dérivé de la tente rouge, un espace de recueillement et de réflexion réservé aux femmes, créé en France, en 2008. Le terme renvoie au roman The Red Tent, d’Anita Diamant, publié en 1997, dans lequel il est question d’espaces sacrés, réservés aux secrets et aux rites entre femmes. Pendant deux heures, Isabelle et Lili ont parlé avec quatre autres duos mères-filles. «Nous ne nous connaissions pas avant la rencontre, souligne Isabelle. On a beaucoup jasé, on a ri, on s’est fait des confidences. C’était sans jugement. Je pense qu’on est sorties de là avec un fort sentiment d’appartenance, de sororité.

Être menstruée, c’est aussi célébrer la santé et la vie!» En entrevue par vidéoconférence, Lili semble avoir plus de réserves que sa mère. «Au début, ça me semblait bizarre de parler de choses personnelles avec des inconnues, dit-elle timidement. Mais finalement, ça m’a aidée à me dégêner. Je me suis dit: je ne les connais pas, elles ne me reverront jamais. Et puis, en fin de compte, j’ai aimé ça. J’ai constaté qu’on vivait les mêmes choses.»

Se parler franchement de règles, entre parents et enfants, permet de changer des choses, un petit pas à la fois. Un exemple? Chez Isabelle et Lili, qui vivent avec trois garçons à la maison (le père et deux frères aînés), plus question de cacher les boîtes de tampons et de serviettes hygiéniques dans le fond du troisième tiroir du meuble de la salle de bains. «On a placé un beau vase en verre près de la toilette et l’on met nos tampons dedans, dit la mère, visiblement fière de ce petit geste. Ce n’est pas grand-chose, mais ça change tout.»

Pour Debbie et ses filles, Anne, 15 ans, et Laurence, 13 ans, une communication franche a permis d’élargir le sujet: pourquoi le gouvernement ne paie pas pour les produits hygiéniques, pourquoi les écoles ne mettent pas des produits à la disposition des filles, comment parler de menstruations de façon inclusive... «Elles sont très libérées! lance Debbie. Elles en parlent ouvertement avec leurs amis et elles poussent la discussion. Ce que je trouve intéressant, c’est ce nouveau discours qui ne tourne plus juste autour de la contraception, de la responsabilisation et de la mise en garde. On est ailleurs.»

 

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© Unsplash | Jonathan Borba

 

Coupes, culottes et tutti quanti

Cette jeune génération opte aussi pour de nouvelles méthodes pour recueillir le sang menstruel: les coupes et les culottes menstruelles ont la cote. Les jeunes filles sont plus enclines à tester le flux instinctif libre, qui consiste à ne porter aucune protection hygiénique et à contrôler l’écoulement du sang menstruel par la contraction du périnée. Il ne faut pas confondre cela avec le free bleeding (que l’on pourrait traduire par «saignement libre»), un mouvement féministe des années 1970 qui préconise un écoulement libre du sang menstruel, sans protection.

Une chose est certaine, le côté écologique et le mode de vie zéro déchet influence grandement le choix des nouvelles consommatrices de produits hygiéniques. «Les enjeux environnementaux sont au cœur de toutes leurs décisions, précise Victoria Doudenkova, du RQASF. Elles ont grandi avec cette perspective-là, et elles y sont sensibilisées. Forcément, elles vont rechercher des solutions écologiques.»

Enrouler l’applicateur plastique du tampon dans trois mouchoirs avant de le mettre à la poubelle? Un double non-sens à leur point de vue: ça ne se défend ni écologiquement ni socialement. «Pourquoi cacher qu’on est menstruée? se questionne la Dre Murray. C’est assez bizarre quand on y pense. Mais on traîne un bagage millénaire. C’est ancré dans les pensées. Les choses changent... tranquillement...» 

 

Pour aller plus loin

Des ressources pour les jeunes filles:

 

 

 

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