Loisirs et culture

Rencontre avec Luc Langevin

Rencontre avec Luc Langevin

Yves Provencher Photographe : Yves Provencher Auteur : Coup de Pouce

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Rencontre avec Luc Langevin

Ce n'est pas tous les jours qu'on a un magicien devant soi! Au fait, ça ressemble à quoi, au juste? Bon, déjà, Luc Langevin n'a pas le look stéréotypé, il ne porte ni cape noire doublée de satin bourgogne, ni haut de forme, ni queue-de-pie. «Même quand j'étais petit, rigole-t-il, je ne voulais pas porter ça! Vers 7 ou 8 ans, mes parents m'avaient offert un suit du genre. Mais déjà, je trouvais que ça ressemblait à un déguisement. Or, la magie, pour moi, ça a toujours été une affaire sérieuse!»

Naissance d'une vocation

Rue des Bocages, à Saint-Augustin-de-Desmaures, où le petit Luc a grandi, tout le voisinage avait droit à des prestations privées. «Je ne faisais pas de spectacles à grand déploiement. Les audiences m'intimidaient.» Vers 11 ans, béat d'admiration devant un certain David Copperfield, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était capable d'en faire autant. «Je me disais même que je pourrais aller plus loin, relate-t-il le plus humblement du monde. Le lundi soir, j'écoutais Michel le magicien à la télé, et je répétais ses tours sans me fatiguer. J'avais hâte que le week-end finisse rien que pour apprendre de nouveaux tours le lundi suivant.»

Il est marqué par l'émotion que suscitent en lui ses idoles. Il comprend alors que c'est ce qu'il veut faire vivre aux autres. «D'un côté, j'avais peur qu'on croie que je me prenais pour un autre; de l'autre, j'avais cet immense besoin de pratiquer mon art.» Luc saisit vite ce dont il souffre. «Comme bien des artistes, j'avais un besoin démesuré d'être aimé.»

Vers 13 ans, alors que l'école l'ennuie profondément, un prof de sciences lui révèle l'existence des atomes. Il trouve là une réponse tangible au mystère de la matière. Il est fasciné. Il n'en faut pas plus pour que l'ado s'accroche. Par la suite, ni la philo ni la religion, deux matières qui retiennent son attention, ne lui apporteront des réponses aussi convaincantes que la science aux mille questions qu'il se pose. Mais Luc demeure renfermé.

C'est l'insistance de Lyne Bourbeau, sa prof de religion au séminaire Saint-François, qui l'a sorti de sa torpeur. C'est elle qui a convaincu l'adolescent de participer au gala culturel de fin d'année. «Je leur avais demandé de dessiner un rêve, quelque chose qui leur tenait à coeur, raconte-t-elle. Et je me souviens encore parfaitement de son dessin, 20 ans plus tard. C'était un magicien qui sortait un lapin d'un chapeau. Je l'ai questionné et il m'a avoué qu'il faisait de la magie.» À l'époque, les plus jeunes de l'école ne sont pas invités à faire partie du spectacle, mais Lyne croit que le jeune Luc doit monter sur les planches. Elle insiste auprès de la direction... et de l'élève, qui hésite avant d'accepter. «Une fois sur scène, confirme Luc aujourd'hui, ça a été une révélation. Quand j'ai entendu les applaudissements, j'ai su que je ne pourrais plus jamais m'en passer.»

Pour Lyne Bourbeau, elle est là, la magie. «Ce garçon timide et renfermé s'est allumé. Il n'a plus jamais été le même, ensuite. Mais je dois souligner qu'il avait des parents à l'écoute de leur enfant. Ça change tout.» Luc Langevin a revu son ancienne prof, il y a quelques années, lors d'une des nombreuses conférences qu'il donne dans les écoles. «Je milite dans cette tribune pour qu'on fasse dessiner les enfants, pour qu'on les questionne sur leurs rêves et qu'on écoute leurs réponses, lance l'illusionniste. Cette femme a changé ma vie. Je lui dois une grande partie de ce que je suis devenu.»

Lorsqu'il a mis sur le marché son jeu de magie, ce n'était pas sans penser à cet épisode de sa vie et aux changements que la magie a opérés en lui. «Du coup, j'étais devenu quelqu'un. Mes professeurs me connaissaient et par conséquent, je ne voulais pas les décevoir. Mes notes ont grimpé en flèche. Je suis devenu féru de sciences.» De là, le bac en génie physique, la maîtrise en optique et des études de doctorat en biophotonique que le succès populaire de son émission Comme par magie, sur ARTV, ne lui a pas permis de terminer. «Dernièrement, un jeune de 8 ou 9 ans qui avait reçu mon jeu de magie en cadeau m'a écrit. Son mot disait: «Grâce à ton jeu, je réussis à me faire des amis.», raconte-t-il, bouleversé. Quand je lis que ce que je fais a aidé un garçon à prendre confiance en lui, je suis rassuré sur mon métier. Je veux savoir que dans ma vie, j'aurai vraiment servi à quelque chose.»

Une nouvelle approche

Il a beau connaître quelque 400 tours de magie, l'émule de Houdini préfère largement qu'on l'appelle illusionniste plutôt que magicien. L'une de ses dernières visites à un garçon via Rêves d'enfants le lui a rappelé cruellement. À l'hôpital, le petit Louis-Philippe venait de recevoir une chimio. Il rêvait de magie. «Mais tout ce que j'ai pu faire pour lui, c'est déjouer ses perceptions. Semer l'émerveillement, pendant un court moment.» Un silence. Luc Langevin sait trop bien que s'il était vraiment magicien, il aurait tout simplement guéri le petit.

Et la maladie, ça dit quelque chose au showman. En 2010, alors que son propre rêve était enfin au bout de ses doigts, on lui a diagnostiqué une myélite, une infection de la moelle épinière qui peut mener à la paralysie. «J'ai passé trois semaines à l'hôpital, dont une aux soins intensifs. Mais je suis tellement convaincu que je veux devenir le plus grand magicien au monde que, si le sort m'avait désigné, j'aurais quand même réalisé mon rêve. Quitte à faire de la magie avec mes pieds!»

N'empêche. L'épisode a servi un sacré coup de semonce à un jeune homme qui commençait peut-être à tenir la vie pour acquise. «Je me pensais plus fort que les autres, admet-il. Cette épreuve m'a fait comprendre que non seulement je ne suis pas un demi-dieu, mais que je suis un être vulnérable. Comme tout le monde, ma vie ne tient qu'à un fil... et ce fil, je ne le contrôle pas.» On dirait que ce constat a permis au prestidigitateur de se faire plus déterminé que jamais. «J'évite le surmenage, et je ne tiens rien pour acquis, mais je vais devenir le plus grand illusionniste au monde», répète-t-il avec conviction.

Mais qu'est-ce, au juste, que le plus grand? Houdini s'échappait des camisoles de force, Messmer prend le contrôle de la pensée des gens, Criss Angel marche sur l'eau devant des milliers de personnes... Que compte faire Luc Langevin pour s'élever, pour aller encore plus loin? «C'est souvent dans la maîtrise de la technique que repose la différence entre un magicien et un autre, répond l'illusionniste. L'exécution et la façon de communiquer sont primordiales. Le reste n'est qu'une convention qu'on appelle tous la réalité. Une convention que j'aime remettre en question.»

Ce sens du spectacle, Langevin le possède. Il sait séduire, aussi. En salle, son public a beau compter quelques enfants, la majeure partie de ses fans sont majeurs et vaccinés. Et sortent de là, la mâchoire décrochée et l'admiration dans le tapis! En spectacle, cet ancien nerd devenu vedette met largement son public à profit. «Je pense que ces 10 dernières années, la magie a dû se rapprocher des gens, faire tomber les barrières pour mieux séduire. Les miroirs, les rideaux, le truchement de la caméra, tout cela a pris le bord avec la performance de rue. Les gens ont eu besoin de mieux voir les choses pour se convaincre qu'ils ne se font pas berner. Quand les gens voient les objets apparaître ou disparaître sous leurs yeux, ça devient un spectacle de proximité.»

Chez les artistes, plusieurs ont goûté à sa médecine. Véronique Cloutier a vu sa bague se retrouver dans une ampoule. Guy A. Lepage a vu le magicien défier les lois de la gravité, le corps penché dans le vide sans tomber! Anne Dorval, France Beaudoin, Joël Legendre, les plus chéris du petit écran, tous incrédules, se sont succédé et inclinés. Lorsqu'il a fait apparaître un poisson rouge dans un oeuf sous les yeux d'Hélène Bourgeois-Leclerc, elle en a pleuré!

À ceux qui disent qu'il est vite devenu populaire, Langevin ne réplique rien. Il pourrait pourtant leur souligner qu'il pratique depuis qu'il a 8 ans. Il a eu 31 ans le 16 février dernier. D'ailleurs, il s'avoue un brin amer devant l'incrédulité de tous ceux qui ont poliment souri lorsqu'il confiait ses ambitions. «Le seul qui m'a vraiment cru, c'est Claude Veillet [son agent et producteur], lorsqu'il m'a recruté.» Aujourd'hui, alors que le scientifique artiste s'exécute, tout le monde garde la bouche entrouverte. Langevin, lui, adore ce sentiment de béatitude que lui procure le fait de surprendre et d'émerveiller. Il sait désormais que sa magie a sa place dans le monde, que le monde a besoin de voir des étoiles et que pratiquer son art le rend un meilleur humain.

Lorsqu'il présente Réellement sur scène, il ose expliquer, dès son premier numéro, comment il a deviné une carte choisie par une enfilade de spectateurs désignés au hasard. La révélation du secret est encore plus époustouflante que le tour lui-même! Vers la fin du spectacle, il choisit un enfant dans la salle, et nous fait complice. L'enfant est le seul à ne pas voir l'illusion. Langevin nous invite ainsi à saisir subtilement de quelle manière, dans tous les autres numéros, nous avons été dupes. L'enfant, qui est le seul à voir la «magie», est carrément émerveillé. Et Langevin s'émerveille à son tour devant l'effet de son art sur le jeune cobaye. Ce numéro est carrément émouvant et les soirs où le casting est particulièrement réussi, la foule se soulève. Mais au-delà de l'émotion que suscite ce numéro, un point demeure: Langevin ne dira pas un mot de plus sur le comment du pourquoi. «Même à l'école, se souvient Lyne Bourbeau, il était très discret sur ses trucs. Un jour, il a fait disparaître le directeur - vous ne me direz pas qu'il n'avait pas le sens du spectacle! Il s'est organisé avec le menuisier de l'école. Nous, on n'a rien su!»

Les plaisirs de Luc

1. Tête-à-tête. De temps en temps, j'aime aller avec ma blonde au Moulin de Wakefield. Dans le bois, derrière l'auberge, il y a une belle chute d'eau qui invite à se ressourcer. Et le resto y est exquis. Il y a un délicieux menu découvertes, où les accords mets-vins sont inclus. Ma blonde et moi, quand on va là, on ne se casse pas la tête. On sait qu'on va passer un bon moment.

2. Course à pied. Je ne suis pas sportif, mais je fais de la course à pied. J'ai commencé il y a 5 ans, et je trouve que c'est une bonne façon de méditer.

3. Théâtre. J'aime le théâtre. L'une des pièces qui m'a marqué, c'est Kiss and Cry, à l'usine C. Une pièce russe pour laquelle j'avais eu un grand coup de coeur. Si jamais ça revient en scène, allez-y!

4. Télésérie. J'aime Walking Dead, même si c'est parfois un peu glauque, j'apprécie les dilemmes devants lesquels sont placés les gens.

5. Magie. Une fois, j'avais entendu David Copperfield dire que s'il lui était possible de se priver de manger, il le ferait volontiers, car c'est une activité qui demande beaucoup de temps. Or, il aurait préféré consacrer ces moments-là à la magie. Même si la majorité des gens ont dû le trouver fou, moi, je le comprends! Je ne cuisine pas, et à part la magie, je ne cultive pas vraiment d'autres passions. La magie me comble, à tous les niveaux. Malheureusement, toute autre activité me semble souvent bien pâle...

Échange de coups
  • Coup de poignard - Ma première peine d'amour. J'avais 23 ans. Ça m'a donné un gros coup.
  • Coup répété - Les peines d'amour qui ont suivi! Elles m'ont fait tout aussi mal.
  • Coup de fil - Quand l'équipe de Claude Veillet m'a téléphoné pour animer mon émission. J'étais à la maîtrise, dans le corridor du département de physique de l'Université Laval. Je me souviens de la voix de Maryse Lesage, la secrétaire du département, qui m'a annoncé l'appel. Je me souviens du corridor où je me trouvais. Cette scène est gravée dans ma mémoire.
  • Coup fameux - J'étais dans la salle d'attente. J'étais le plus jeune, et je me sentais le plus nul. Je suis passé en dernier. J'étais en miettes. Je n'avais plus rien à perdre. J'ai dit à Claude Veillet que je voulais devenir le meilleur au monde. Il m'a cru!
  • Coup de projecteur - Je me sentais jugé quand j'ai commencé à faire de la magie. Comme si les gens m'en voulaient de me prendre pour un autre. Maintenant, je m'assume.
  • Coup de crayon - Je fais des croquis de toutes les illusions que je prépare. Moi, je trouve ça ordinaire, mais on me dit que c'est très artistique. Ah ben, cou't donc!
  • Coup de grâce - Sortir dehors après avoir passé 3 semaines à l'hôpital devant le spectre de la paralysie. Voir la lumière et marcher.
  • Coup de coeur - Le restaurant Aux Vivres, rue Saint-Laurent. Un resto végétalien qui répond à mes convictions. Je ne dis pas que je ne mange jamais de viande, mais j'essaie de m'en passer le plus souvent possible.
  • Coup dur - Vieillir. Je sais, je n'ai que 31 ans. Mais moi, j'ai déjà 31 ans...
  • Coup de baguette magique - Ai-je vraiment besoin de répondre à ça?
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