Loisirs et culture

Rencontre avec Luc Guérin

Rencontre avec Luc Guérin

Monic Richard Photographe : Monic Richard Auteur : Coup de Pouce

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Rencontre avec Luc Guérin

Il a une voix très théâtrale, de grands yeux bleus qui vous scrutent l'âme et une intelligence branchée sur le coeur. Il a une carrière en crescendo, tout ayant véritablement commencé avec Willie, avec des sommets: son fameux Dr Laprade, dans Trauma, et maintenant, le psy Steven Picard d'Unité 9. On a presque hâte à son prochain rôle, juste pour voir si ça se peut d'être encore meilleur! Sinon, il vit à la campagne. Il magasine, cuisine, médite et trippe sur tout ce qui a trait au quotidien de sa vie. Il est père de deux grandes filles qui ont quitté le nid et partage sa vie depuis 11 ans avec la comédienne Catherine Sénart. C'est à peu près tout ce que je savais de lui, avant ce lunch à L'Express, cette institution de la rue Saint-Denis où il a, depuis 20 ans, son pied-à-terre. Ah oui! Il y mange toujours des raviolis.

Une maison où voyager

La voix théâtrale ne s'est pas manifestée tout de suite. Mais les grands yeux bleus, ça oui... On a commencé par parler de voyages, un sujet hors norme pour un homme qui, au final, voyage assez peu. «Catherine et moi, on a conçu notre maison des Laurentides en s'amusant à croire que ce serait notre genre de resort! La maison, c'est un lieu de voyage, en quelque sorte. On l'a imaginée, et on l'a fait dessiner en conséquence, sur un beau spot, avec une vue incroyable. Notre maison, c'est l'antidote au stress, au travail, à la vitesse, à la cohue. Chez nous, la nature s'impose, et ça me ramène à ma place - un élément, et non le centre du monde. L'évasion est facile: du yoga, de la méditation, une musique qu'on aime, quelques amis choisis... On a l'esprit ludique, on mange toujours très bien, les draps sont propres, l'environnement est magnifique, et y'a de l'amour dans l'air. Que demander de plus?»

Juste avant ce havre de paix, il avait acquis six acres, à la campagne aussi. C'était après sa séparation d'avec la mère de ses filles. Cette maison-là, il l'avait construite pendant une année sabbatique. Les filles avaient choisi d'aller vivre avec Papa. «Tous les ados des Laurentides ont vécu chez moi! Ça a fessé fort. Mon thérapeute m'a dit que c'était parce que j'étais capable de le prendre! Ce qui me fait dire que c'est beau la vie, mais il vaut mieux être accompagné. J'aime encore le cocooning, j'aurais pu être marqué à vie!»

Il a beau souligner avec beaucoup d'humour son côté casanier, il rentre quand même d'un voyage en Islande. D'ailleurs, on assistera bientôt à son périple, car il l'a fait pour le compte de Partir autrement en famille, et l'émission sera diffusée cette année sur les ondes de TV5. On l'y verra avec son amoureuse et ses deux filles, Catou, 23 ans, et Fannie, 25 ans. «Elles ont accepté de jouer le jeu des caméras, et Catou, qui étudie en cuisine, s'est découvert une belle relation avec les kodaks. Fannie, sur les traces de sa mère médecin, étudie en neuropsychologie. Une pour me nourrir, et une pour me soigner!» lâche-t-il, sourire en coin. En Islande, ils ont fait un voyage fabuleux. «Les paysages lunaires, ça change des Laurentides, quand même!»

Un personnage attachant

Impossible de ne pas lui parler de ce psy qu'il joue dans la prison d'Unité 9. On a beau, normalement, prendre les personnages pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire de la fiction, on dirait que celuici lunche avec nous! C'est peut-être, finalement, parce qu'il y a un peu beaucoup de l'homme dans le personnage. Il nous fait voir l'humanité, au-delà de l'atrocité. Luc Guérin aurait-il pu tenir un tel rôle à 40 ans? Il réfléchit. «Je ne sais pas. Mais je suis intimement persuadé que les choses arrivent quand on est prêt à les assumer. J'ai cru, à 30 ans, que le fun était over après la trentaine. Vingt-cinq ans plus tard - et trente ans de métier -, je peux confirmer que je goûte plus, je vois mieux et je jouis en maudit! Je suis heureux. Complètement. C'est confirmé.»

Du coup, on aurait toutes envie d'être prisonnières, juste pour s'abandonner à ce personnage blessé qui a décidé d'aimer son prochain, dans le sens universel du terme. «Je ne veux rien enlever à tous les rôles que j'ai joués avant celui-là, mais Steven Picard, cet écorché, c'est un cadeau. Quand je prends un personnage, je l'adopte. Je deviens sa famille d'accueil. Et avec lui, je suis comblé. Je sais que je n'étais pas le premier choix de l'équipe. Mais le train s'est arrêté devant moi, et j'ai sauté dedans. Ensuite, à moi de sortir la bête sauvage et de rugir!» Luc Guérin se frotte les mains. Il fait ça quand il est content.

«Ce qui touche les gens dans Unité 9, c'est que c'est tout près de soi, au final, cette prison. C'est tout près de nos vies, car il y a toujours des gens qui vivent de grandes épreuves. Les prisonnières d'Unité 9 sont des concentrés de femmes qui ne sont pas douées pour la vie. Mais on a tous nos petits moments où on n'est pas doués pour la vie.» Il évoque les siens. Passés, heureusement. «J'ai passé une partie de ma vie à chigner, lorsqu'il m'arrivait quelque chose de négatif. Aujourd'hui, je comprends à quoi servent les épreuves. Je ne dis pas que je suis à l'abri de la souffrance. J'affirme seulement que je n'hésite plus à me servir de mes revers pour avancer.»

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Trouver l'amour

Né à Sainte-Thérèse en 1959 - il a eu 55 ans le 12 novembre -, il a grandi à Laval, au sein d'une famille de cinq enfants. Il était le petit dernier. Papa était fonctionnaire fédéral et travaillait entre Ottawa et Montréal. Il est décédé d'un cancer du côlon. Luc avait 12 ans. «Je l'ai peu connu. C'était un être aimant, très travaillant. Mais ça laisse beaucoup de mystère de perdre son père à cet âge-là.»

Luc a su assez tôt qu'il tenait à jouer. «Je me suis quand même inscrit à un certificat en environnement, pour prouver que j'allais faire "quelque chose". Je l'ai fait à moitié. Dans mon entourage, j'avais un ami en cinéma. Je lui ai servi de cobaye pour un projet de film. Le résultat était probant. Il m'a dit: "Tu sais, Luc, que tu pourrais en faire un métier?" Je le savais, mais j'ai voulu faire taire cette voix.» Impossible.

Il a fait ses demandes à l'École nationale. «Je m'étais pratiqué avec une amie. On s'était enregistrés.» Devant les membres du comité de sélection, qui ont demandé comment il s'était préparé pour ses auditions, il a innocemment répondu: «Avec un magnétophone.» «Imagine! Tout le monde paie des coachs professionnels pour préparer leur entrée. Je n'étais pas meilleur qu'un autre! J'ai été chanceux! Récemment, j'ai croisé deux membres de la direction de l'École nationale. J'ai pu les remercier de m'avoir ouvert cette porte, une porte vers la vie que je mène. Et je l'aime, cette vie! Je suis tellement reconnaissant.»

Cela dit, le comédien ne croit pas qu'en la chance. Il croit au travail. Et à quelque chose d'un peu moins tangible, qui ressemble à de la projection. «Il faut rêver. Je demande toujours à la vie de me surprendre. On est responsable de ce qu'on demande à la vie. Mais parfois, il faut prendre son temps pour bien réfléchir à ce qu'on demande: Est-ce bien cela qu'on veut? Parce que souvent, la vie répond. Il faut être prêt à accueillir ce qu'elle nous propose.»

Le sujet revient souvent. Aimer. Accueillir. Embrasser, dans le sens de prendre dans ses bras. Remercier. Être conscient, lucide, ouvert. «L'amour, c'est quelque chose qui se développe à condition qu'on pratique ses aptitudes. Je n'ai pas toujours bien aimé. C'est un art dont il faut s'occuper et j'ai appris à le faire. L'amour dans ma vie, c'est le phare et avec Catherine, je me sens moins perdu. Je fais attention à ça. Je m'efforce de garder cette relation "neuve", comme un objet que tu ne veux pas user. Quand j'étais jeune, j'étais exigeant. Je voulais tout, et sans attendre. Mais est-ce que je partageais vraiment? Et je ne parle pas de matériel. À 55 ans, je peux affirmer que je suis heureux avec ma famille. Mais c'est le résultat d'un cheminement. Quel mot quétaine, mais tellement pertinent! Ça m'a aidé à devenir un meilleur comédien. On reçoit beaucoup d'amour et de reconnaissance quand on pratique mon métier. Je jure que j'en fais aussi un vecteur pour remettre l'amour que je reçois.» Après cette rencontre, impossible d'en douter.

Les plaisirs de Luc

1. Plonger dans la vie. Ce plaisir-là, c'est en quelque sorte faire les choses du quotidien. Catherine et moi, on aime faire les courses ensemble. Mettre la table. Cuisiner. Organiser notre maison pour y être bien. J'ai appris, avec le temps, à donner comme si j'allais recevoir, sans me demander si je vais recevoir. Donner pour donner. Tout donner. Y'a pas une toune comme ça?

2. Un minimum d'entraînement. Je fais une demi-heure de vélo stationnaire et une demi-heure d'une routine inventée. Est-ce que j'aime ça? Pas autant qu'ouvrir une bouteille en cuisinant, mais disons que le second plaisir rend le premier essentiel.

3. Vivre à la campagne. Vivre en dehors de la ville, ça maximise ton temps d'arrêt. Chaque fois que tu as un court moment libre, tu es déjà dans le bois, déjà au centre de la nature, déjà en situation de repos, de méditation, de contemplation, de marche dans le bois pis de toutes ces affaires-là.

4. Betty. Betty vient de la SPCA. Elle a 14 ans. Je pense que l'animal est conscient qu'on lui a donné une deuxième chance. Notre chienne, en tout cas, elle le sait et elle nous le rend!

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Échange de coups

Coup de coeur: Mommy. Je suis très admiratif devant cet artiste délinquant qu'est Xavier Dolan. Après J'ai tué ma mère, j'ai eu un grand coup de coeur pour l'amour qu'il a des acteurs.

Coup d'éclat: La musique. C'est venu d'abord par Willie. Puis il y a eu Cabaret. C'est devenu pour moi une manière intense de communiquer. Je transmets des émotions différentes, et je le fais différemment. La vibe avec le public est différente. Bref, la musique a maintenant beaucoup d'importance dans ma vie, et chanter, j'ose à peine l'avouer, devient pour moi de plus en plus nécessaire.

Bon coup: Avoir fait mes enfants jeune, même si j'étais dans une situation précaire.

Coup de grâce: Réaliser qu'on élève des enfants, mais qu'au final, ce sont toujours eux qui finissent par nous élever.

Coup de génie: Une fameuse phrase de Raoul Duguay: «Toute est dans toute.»

Coup dur: Me séparer après 22 ans.

Coup de blues: Toute ma vie, j'ai eu mes périodes down. Mais maintenant, on dirait que j'y échappe. Sauf qu'à bien y penser, c'est peut-être que cette lenteur de l'âme, lorsqu'elle se présente, je l'accueille. J'accepte soudain d'aller moins vite.

Coup de griffe: Au sujet de certaines pages couvertures de certains magazines, de certaines affiches de stations de radio, de certains animateurs de télé, où chacun se sent obligé de faire des steppettes, d'être vu en action, jamais dans l'immobilité. Est-ce qu'on ne serait pas un peu en représentation? C'est comme s'il fallait être un concentré de bonheur, d'action, de dynamisme. N'aurait-on pas le droit de s'arrêter, de temps en temps? De ralentir, simple question de humer l'air du temps?

Coup de baguette magique: Il y a tant de choses à faire. Ça fait mal d'y penser.

Coup puissant: Le café, que j'ai découvert sur le tard. J'en faisais pour les autres, d'abord. J'ai eu l'appel de la torréfaction par l'odeur, en premier lieu. Puis, je me suis laissé prendre au jeu. Maintenant, ça m'en prend le matin. Et j'aime ça!

Coup tordu: Chaque fois que quelqu'un me dit, au sujet des Intouchables, qu'on va présenter au Rideau- Vert: «Ah! J'ai tellement aimé le film!», je réponds: «Attendez de voir la scène de la poursuite en Mercedes!»

Coup triple: Martin Drainville, Benoît Brière et moi, trois bons amis et, ensemble, producteurs du Théâtre du Vieux-Terrebonne. Beau projet. Aucun regret.

Prochain coup: Le Combat des chefs, à notre théâtre d'été de Terrebonne. La comédie se déroule autour d'une cuisine, au temps de la prohibition.

 

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