Loisirs et culture

Rencontre avec Danièle Henkel

Rencontre avec Danièle Henkel

Marc Montplaisir Photographe : Marc Montplaisir Auteur : Coup de Pouce

Loisirs et culture

Rencontre avec Danièle Henkel

Danièle Henkel a deux vies. Celle qu'elle a laissée derrière elle, à 34 ans, lorsqu'elle a quitté l'Algérie, et celle qu'elle a bâtie au Québec au cours des 24 années suivantes. Pour savoir qui est cette femme d'affaires, conférencière, mentor et vedette populaire, il faut comprendre d'où elle vient. Enfant du Maroc élevée en Algérie, elle a connu un des parcours les plus singuliers qui soient. À commencer par cette improbable union entre une mère juive d'origine marocaine-italienne et un père allemand dont elle n'a connu qu'une vieille photo jaunie. Mais Eliane Zenati, sa mère, un personnage plus grand que nature, l'aura aimée pour deux.

Issue d'un milieu pauvre et sans même savoir lire, Eliane Zenati s'est hissée au rang de riche entrepreneure, de femme respectée et d'illustre figure de la bourgeoisie algérienne. Tout avoir ne l'a pourtant jamais empêchée de tout perdre, et avec deux enfants à charge, elle a été contrainte plus d'une fois de repartir à zéro. À chaque occasion, la petite Danièle - qui avait 7 ans lors du premier revers de la matriarche - a encaissé les coups, apprenant à passer de la surabondance à la pauvreté la plus stricte. «Ça m'a permis de prendre des risques, assure-telle aujourd'hui. Ma mère nous a élevés à la dure, mon demi-frère et moi, dans le but de nous équiper contre les vicissitudes de la vie. Ça m'a permis de comprendre que le respect, le sens du devoir et celui de la famille passent avant tout.» À certains égards, les similitudes entre le parcours de la mère et celui de la fille sont frappants.

Au milieu des années 1980, Danièle Henkel, devenue Mahieddine par les liens d'un mariage forcé, vivait en Algérie, avait complété des études universitaires, avait quatre enfants et un époux dévoué. Le père de ses enfants, dont elle n'était pas amoureuse mais avec qui elle partageait un respect mutuel, était un haut fonctionnaire, tandis qu'elle-même était le bras droit du consul général des États- Unis à Oran. Cette position stratégique, sans être décisionnelle, était un poste d'influence qu'elle a occupé pendant une décennie, soit assez longtemps pour jouir d'un revenu dans les six chiffres. C'est là que la situation sociale et politique s'est gravement détériorée. Là qu'elle a donné un grand coup de barre à sa vie. Le premier d'une longue série.

La lionne

Quiconque a envie de connaître les aléas d'une mère de famille-femme de carrière qui émigre au Québec et perd tous ses repères peut se procurer son livre, Quand l'intuition trace la route. Si la couverture et le titre évoquent davantage le roman Harlequin que l'autobiographie d'une femme d'affaires au passé consulaire et diplomatique, le contenu est révélateur d'un caractère de feu et d'une vie en dents de scie. Quand on lui fait remarquer combien sa mère a été dure avec elle (elle a, par exemple, fait dépecer son animal de compagnie, une petite chèvre que Danièle avait depuis deux ans), Danièle Henkel réplique: «C'est vrai, mais elle m'a fait comprendre l'importance de se défendre et de vaincre ses peurs pour survivre.» Aujourd'hui, la dragonne demeure un modèle de respect, mais ne recule devant rien, ni ne renonce à un projet dont elle est persuadée de la nécessité.

«À mon tour, j'ai élevé mes enfants avec énormément de discipline et d'autorité, avoue Mme Henkel. Jamais il n'y a eu place à la moindre négociation entre nous. Un non était un non, et une solidarité essentielle régnait entre les deux parents. J'ai été très dure; ils étaient pourtant ma raison d'être. D'ailleurs, quand ma benjamine de 28 ans, Amel, est devenue mère à son tour, elle m'a dit: "Merci, maman, d'avoir été la maman méchante.»

La maman «méchante» a tout fait pour enseigner la force et la résilience à ses enfants. Un jour, Kader, son fils, traité de «petit Arabe» et de «sale immigrant», est rentré le coeur et les vêtements en lambeaux. «Il avait été tabassé et il pleurnichait. Je lui ai donné une fessée par-dessus ça, raconte Danièle, consciente de la surprise que cause son propos. Je lui ai promis une reprise chaque fois qu'il allait rentrer dans cet état. Je ne lui ai pas laissé le choix: il devait se défendre. Cette fessée-là, c'est l'une des choses les plus difficiles que j'aie eu à faire. Mais mon fils a appris à se respecter et aujourd'hui, à 31 ans, il est toujours entouré de ses amis d'enfance.»

Fière, elle saisit son téléphone et y fait défiler les photos de ses trois filles et de son fils, de ses cinq petits-enfants, dont l'aîné n'a pas encore six ans, et de Mark, l'homme qu'elle aime et avec qui elle partage désormais sa vie. «Une seule fois, j'ai reproché à ma mère les déracinements, les dépossessions, les pertes financières, les passages du luxe à la misère et mon mariage forcé. Elle m'a répondu avec une désarmante sincérité qu'elle m'avait aimée de son mieux.»

Mme Henkel retire ses lunettes et applique un mouchoir au coin de ses yeux. Elle voue un tel culte d'amour à cette mère qu'il est difficile de lire sans pleurer le passage de son livre où elle raconte sa mort et le deuil qui s'en est suivi. «Mais je bénis ma vie aujourd'hui. Si j'ai pu maintes fois me jeter dans le vide, c'est que j'avais déjà appris à vivre sans la fameuse cuiller en or. Si j'ai souffert des dépossessions, cela m'a donné la force de bâtir une entreprise que personne ne pourra retirer à mes enfants. Et sans un mariage obligé, je serais sans doute sans famille aujourd'hui. Voyez ce que j'aurais manqué.»

Refaire sa vie

Lorsqu'elle a décroché son premier job dans le milieu québécois des affaires, Danièle Henkel s'est vu offrir moins du quart de ce qu'elle gagnait à l'ambassade américaine d'Algérie. Ce nouveau patron, qui oeuvrait dans la lingerie, la jugeait déphasée par rapport au monde des affaires où il évoluait. «Elle avait beaucoup à apprendre, et elle a appris très vite, raconte celui qu'elle appelle Monsieur Jean dans son livre. Son but, c'était la perfection, autant au travail que dans ses relations humaines. Si j'ai fait une erreur, ce fut de ne pas comprendre, au bout de deux ans, que cette femme carburait aux défis. J'aurais dû l'envoyer en Chine ou au Brésil à ma place. Elle aurait sans doute fait de bien meilleures affaires que moi!»

Danièle Henkel a poursuivi sa route. En huit années de pérégrinations, avec une famille à sa seule charge pendant les deux premières années, cette immigrante s'est maintes fois jetée dans le vide pour améliorer le sort des siens. À cet effet, le fameux Monsieur Jean fut un grand mentor pour elle. Après deux années de tentatives avortées pour partir à son compte - elle a même eu un associé qui s'est essoufflé, elle a donc poursuivi seule -, sa résilience et sa force de travail lui ont permis de se hisser au sommet en mettant éventuellement sur le marché un gant exfoliant baptisé Renaissance, un nom plus qu'adéquat dans les circonstances. Ce produit biodégradable à base de cellulose végétale, inspiré de ceux des hammams qui lui manquaient tant en Amérique, allait devenir la pierre angulaire d'une entreprise axée sur le domaine médico-esthétique et le bien-être.

Le fait marquant dans son histoire, c'est qu'à chaque étape de croissance, la PDG a ramassé son courage pour emprunter des sentiers inconnus. Par exemple, lorsqu'elle a acquis le système LPG, un leader mondial de la stimulation cellulaire dans la lutte anti-âge, elle allait pénétrer dans une sphère médicale où non seulement elle ne connaissait rien, mais où, également, on ne voulait pas d'elle. Idem lorsqu'elle a mis sur pied son centre de formation LabScience, où, à ce jour, quelque 3 500 professionnels sont venus parfaire leurs connaissances en matière médico-esthétique. «On ne m'a pas tendu de brevets ni d'exclusivité canadienne sur un plateau d'argent», dit-elle simplement avec diplomatie. Tout ceux qui lui ont dit non dans la vie savent maintenant qu'il était bien vain de penser se débarrasser d'elle en une seule syllabe! Et les nombreux prix qu'elle a remportés au fil des ans témoignent de ses qualités entrepreneuriales autant que de la pertinence des concepts qu'elle importe. Bon an mal an, son entreprise figure au top 100 des entreprises canadiennes, et au top 10 au Québec.

La dragonne

Louis Laverdière se souvient encore de Danièle Henkel lorsqu'elle est venue en audition pour devenir l'une des dragonnes de Radio-Canada. «On a reçu quelque 200 candidatures, raconte le coproducteur des débuts. Les candidats étaient des entrepreneurs avec de forts ego. Mais elle avait un charme qui allait droit au coeur. Elle était différente, attachante, à l'écoute, capable de doigté et de compassion. Elle faisait preuve d'une telle préoccupation pour autrui qu'on s'est dit que ça allait percer l'écran. Le coup de coeur du public ne nous a pas surpris.»

Quand on lui rappelle qu'elle a été révélée au public à un âge où bien d'autres accrochent leurs patins, Danièle Henkel se surprend. «À 58 ans - je n'ai aucune envie de cacher mon âge -, j'ai une chance extraordinaire d'agir à titre de mentor. J'ai affronté tant de difficultés dans ma vie que je considère que c'est vraiment une mission: aider les autres.»

Si on est attentif, on peut d'ailleurs percevoir qu'elle est parfois bouleversée lorsqu'elle rejette un projet dont elle voit les failles. «Je sais très bien la douleur que vivent certains candidats en se faisant dire non, avoue-t-elle. Je sais que certains ne s'en remettront pas. Ça me fait mal, mais je n'investirai jamais par pitié ou par sympathie. En affaires, si vos émotions vous font perdre raison, vous êtes en danger.» Ce souffle d'humanité dans un monde où prime le profit la distingue.

Son amie Danielle Paquet, également femme d'affaires et présidente de Femmes en Affaires de la Capitale-Nationale, observe les effets qu'opère la dragonne chaque fois qu'elle prononce une allocution. «Danièle a beaucoup de panache. Pourtant, elle sait se faire toute petite, presque vulnérable, quand elle doit se livrer en public. Je pense que c'est ce que les gens saisissent: son humilité, l'immense respect qu'elle voue aux autres, sa générosité. La séduction est immédiate. L'an passé, devant 230 femmes d'affaires de la région de Québec, elle a ouvert le colloque sur le thème "Osez façon femmes!". Elle en a eu pour des heures, ensuite, à rencontrer les gens individuellement. La réaction m'apparaît parfois démesurée, mais elle semble capable de livrer à chacun un message percutant. Elle parle de "sa" vérité avec coeur, sans protection, sans artifice. Les gens sont touchés par tant de sincérité. J'ai souvent vu des gens pleurer; d'autres ont pris d'importantes décisions personnelles suite à ses conférences. On dirait qu'elle porte chance aux gens. Une vraie Madone!»

Selon ses proches, écrire son autobiographie a dû être tout un exercice! «Elle regarde rarement en arrière», explique Danielle Paquet. La principale intéressée dit pour sa part: «Je le fais pour ne pas oublier mes erreurs. C'est comme ça qu'on apprend.» Celle qui a conquis le milieu des affaires et le public québécois est maintenant courtisée, suite logique, par le milieu politique. Dans son entourage, on chuchote qu'elle n'a toujours pas trouvé un leader qui embrasse totalement ses positions et ses valeurs. À date, quand Mme Henkel n'a pas trouvé ce qu'elle cherchait, l'histoire démontre qu'elle l'a elle-même inventé. Après la télé, Danièle Henkel aura peut-être une troisième vie, qui sait.

Les plaisirs de Danièle

  • Marcher, nager et méditer, trois activités qui me calment et m'apportent l'équilibre.
  • Lire des romans. Guy des Cars, ou des auteurs avec lesquels je ne me casse pas la tête. J'aime m'évader.
  • Aller voir des spectacles d'humour. J'ai adoré Guy Nantel, en novembre dernier. J'aime rire, j'aime beaucoup rire. Pour moi, c'est vital.
  • Rentrer vers 20 h, fourbue, et voir que Mark est là, qu'il a mis de la musique classique, qu'il a préparé un feu, qu'il m'attend avec un apéro...
  • Être avec mes petits-enfants. Les bercer, jouer, les serrer dans mes bras, les embrasser. J'aime faire des brunchs ou les emmener souper au restaurant. On choisit des restos où ils sont bien, et on mange des pâtes parce qu'ils adorent ça!

 

Coup sur coup
  • Bon coup: avoir obtenu la distribution des appareils LPG.
  • Coup d'éclat: les produits Gemology, des cosmétiques à base de pierres précieuses.
  • Coup de baguette magique: J'éradique la faim des enfants dans le monde.
  • Coup de balai: Fini la discrimination et les préjugés. J'en ai tellement souffert.
  • Coup de chapeau... à mes enfants. Ils sont présents, engagés et, malgré mes absences répétées, tiennent le fort solidairement.
  • Coup de gueule: Je trouve que le mouvement féministe s'en prend souvent aux hommes. On va toujours partager l'univers avec eux. La mise en opposition n'a jamais mené au pouvoir. À mon avis, il faut être plus stratégique. Personnellement, je me sens plus féminine que féministe, et je trouve que c'est une vertu plus puissante.
  • Coup de coeur: Ils sont pluriels, mais je nommerai Care Canada, qui redonne la dignité aux femmes, la Fondation du cancer du sein, qui améliore la condition des femmes qui en souffrent, et la Fondation de l'Entrepreneurship, qui amène mes idées et mon expérience empirique aux entrepreneurs.
  • Coup de foudre: le public québécois, chaleureux et authentique. Il existe entre nous une grande complicité. Il est à l'écoute et très exigeant. J'essaie donc de donner autant que je reçois.
  • Coup de projecteur: Radio-Canada. Merci de m'avoir choisie!
  • Coup de soleil: Mon amour pour la mer. Je suis née au bord de l'océan. J'ai donc besoin d'un ou deux coups de soleil par an.
  • Coup de téléphone: Je garde contact avec mes amis éloignés depuis plus de 40 ans.
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