Loisirs et culture

Rencontre avec Céline Bonnier

Rencontre avec Céline Bonnier

Monic Richard Photographe : Monic Richard Auteur : Coup de Pouce

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Rencontre avec Céline Bonnier

Un matin d'avril dernier, Céline Bonnier débarquait rue Principale, à la Maison de L'Horeb, anciennement le Couvent de Saint-Jacques-de-Montcalm, près de Joliette. Entourée des comédiennes Diane Lavallée, Pierrette Robitaille, Valérie Blais, Anne-Élisabeth Bossé, Danielle Fichaud et de la réalisatrice Léa Pool, elle s'apprêtait à revêtir les habits noirs d'Augustine, mère supérieure de la Congrégation de Sainte-Anne. «Quand on est arrivées à la cafétéria, les soeurs venaient d'y déjeuner pour la dernière fois. Le couvent avait été vendu et ce matin-là, les cinq dernières résidentes faisaient leurs adieux à leur lieu de vie. Il y avait quelques visiteurs, une dizaine en tout. Ils ont échangé de petits cadeaux. Diane et moi, on s'est mises à l'écart. On voyait que les soeurs contenaient leurs émotions. Elles étaient très dignes. Quelqu'un a entonné Ce n'est qu'un au revoir. Les cloches sonnaient.»

Cette rencontre n'était pas au programme. Dans La Passion d'Augustine, cette scène mémorable n'a pas lieu à la cafétéria, mais on y retrouve la dignité et la sobriété dont parle l'actrice. «J'aime sa façon d'incarner Augustine, dit Léa Pool. On a beaucoup vu Céline dans des rôles d'écorchées vives au cinéma. Moi, je l'aime aussi dans la retenue. Je l'aime dans tout! Quelle grande actrice! C'est mon deuxième film avec elle et je peux dire qu'elle travaille ses rôles avec énormément de minutie. Elle ne laisse rien passer. C'est peut-être pour cela qu'elle inspire, elle aussi, un genre de retenue.»

L'enfance de l'art

Dans le milieu, on chuchote que Céline Bonnier est difficile à interviewer. Ça n'a rien à voir avec un manque de gentillesse, c'est plutôt qu'elle dégage une aura qui inspire effectivement la retenue, le mystère et, pour les étrangers, la distance. Lorsqu'elle entre au resto de la rue Laurier où nous avons rendezvous, avec ses bottes de coureuse des bois et son chapeau de poil, elle a plus l'air d'une belle Shehaweh que d'une diva. Impossible de passer sous silence son exceptionnelle beauté. Échevelée, pas maquillée, 49 ans bien comptés, et bien qu'endormie à 3 h du matin, théâtre oblige, elle rayonne.

Élevée à Saint-David-de-L'Auberivière, sur la rive sud de Québec, au sein d'une famille de huit enfants, papa fonctionnaire, parents politisés, articulés et impliqués, famille unie, Céline a appris dès son plus jeune âge que la prise de parole lui était non seulement accessible, mais nécessaire. Yv, un de ses frères, incidemment celui à qui elle a donné son appui au sein du parti Québec solidaire, oeuvre en médecine communautaire. Ses parents ont mis sur pied des groupes catholiques et laïcs, des coopératives, des activités politiques. Son père a même été député. À la maison, il y avait toujours du monde. «Ça discutait ferme, mais personne n'était dans la confrontation. C'était le fun. Et surtout, chez nous, on évitait de pelleter des nuages d'idées. Tout était orienté vers le "faire". Le mot d'ordre, c'était l'implication, l'action, la communauté. Il y avait un beau foisonnement d'idées. C'était un milieu riche, même si on avait un seul salaire pour 10 personnes. Je fouillais dans les fringues de mes frères. Et de cela non plus, je n'ai jamais souffert.»

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Tourner dans un couvent lui a d'ailleurs rappelé des souvenirs de cette enfance, car elle-même a fréquenté le couvent, à Lévis. Elle y a appris le piano, la contrebasse et la flûte traversière. «Je voulais une très bonne flûte, celle recommandée par mon professeur. Et même si mon père trouvait ça "ben cher pour une flûte", il me l'avait achetée. L'amour de la musique et l'amour de la rigueur, c'est tout à fait moi, depuis toujours. J'ai adoré ces années-là.» Assez pour poursuivre en musique, au cégep. «La musique m'a appris à écouter. C'est très utile pour une comédienne.» C'est pourtant le jeu qui gagnera sur la musique dans le coeur de celle qui se destinait à l'enseignement, comme soeur Augustine.

«Je présentais un Ionesco. J'ai croisé mon prof de théâtre dans les toilettes du cégep. C'était une Française. J'ai oublié son nom. Elle m'a dit, avec son accent pointu: "Vous savez, vous devez faire vos auditions au Conservatoire."» C'est là que la passion de Céline est remontée à la surface. «J'avais connu un moment de grâce, vers 9 ans, dans une pièce présentée au terrain de jeu. Un moment où, en jouant, j'avais même oublié qui j'étais. Puis, avec la vie, la musique, j'ai oublié le jeu pour un long moment. Le commentaire de mon professeur de théâtre m'a réveillée! J'ai simplement dit: "Vous avez raison. C'est ce que je voulais faire quand j'étais petite."»

Céline fait son entrée au Conservatoire. En sortant, elle dit à un journaliste qu'elle part à Montréal faire du cinéma. Elle n'avait même pas de contrat. «Ce qui aurait dû être vu comme de la prétention n'était qu'un fait normal pour moi. Mon frère Bernard était compositeur. À 21 ans, il travaillait en France avec Pierre Henry, le maître de la musique électroacoustique. Un autre de mes frères, Deni, et une belle-soeur travaillaient avec Robert Lepage. L'art, chez nous, faisait partie des moeurs. J'ai dit que j'allais faire du cinéma comme on dit: je vais devenir dentiste ou secrétaire. Avec le temps, j'ai compris comment ma naïveté était mal perçue. Je suis devenue mystérieuse et silencieuse parce que j'ai souvent eu peur d'être mal comprise. Je suis assez candide quand je me laisse aller. Dans les médias, il est facile d'être mal interprétée. » C'est en ces mots que Céline Bonnier exprime sa vulnérabilité. Pour tout symbole, chez elle, un vieil autocollant qu'elle avait dérobé sur un caisson de contrebasse au cégep. «Je l'avais mis sur l'étui de ma flûte. Ça dit: fragile. Ça me rappelle la fragilité de la vie.»

Solitaire et solidaire

Cette fragilité se manifeste ces temps-ci dans sa vie. Son père est décédé l'an dernier. Puis sa mère, un mois avant cette rencontre. «Ça y est, Je suis orpheline», lâche celle qui, hier encore, vidait la maison, ressassant les souvenirs, boîte par boîte. «Je suis attachée aux objets. Tout me rappelle quelque chose. Un vêtement, une lampe. C'est très dur.» Elle marque un temps. «S'il y a une force en moi, elle vient de là, elle vient d'eux, mes parents, et de l'enfance heureuse qu'ils m'ont permis de vivre.» Elle s'émeut devant leur histoire d'amour. «Ce qui les tenait, c'était les projets d'équipe. Ils faisaient beaucoup de choses ensemble même s'ils passaient de longues périodes physiquement séparés. Ils étaient toujours entourés, occupés, impliqués, mais main dans la main.»

Malgré ce background aux accents des dernières grandes familles du Québec, Céline n'a pas reproduit le modèle avec enfant. Et si douleur il y a d'être passée «à côté de ça», elle se garde bien d'en faire une affaire publique. Pour la question du couple, par contre, elle en a inspiré plus d'un. Elle a passé une quinzaine d'années avec le comédien Roy Dupuis, avec qui elle formait un duo à la Brad et Angelina, marmaille en moins. «J'ai essayé d'être enceinte. Ça n'a pas fonctionné. Et je n'ai jamais fait les démarches pour l'adoption, donc, voilà. Pas d'enfant, pas de famille!» Depuis quatre ans, elle forme un couple avec le comédien Éric Robidoux.

Galerie photos

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L’album de Céline

Les Plaques tectoniques

Les Plaques tectoniques: «Ma première journée de tournage à vie a eu lieu le jour de mes 25 ans, à Venise. J’hallucinais! Quel beau projet! Robert Lepage, c’est de la poésie et de la précision mécanique. C’est magique. En voilà un qui n’a pas peur de remettre en question un dialogue qui sonne faux! Il m’a appris à être au service de l’oeuvre.»

Photographe: . Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, mai 2015

L’album de Céline

La Cloche de verre

La Cloche de verre: Un solo qui lui a valu le Masque de la meilleure interprétation féminine en 2005. «Je me suis déployée avec ce projet. Il y a des cordes qui se sont détendues, disons! Une école extraordinaire et un défi qui m’a valu beaucoup de peur, mais beaucoup d’excitation, aussi.»

Photographe: . Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, mai 2015

L’album de Céline

Un sur 2

Un sur 2: «Tourner pour la télévision avec Claude Desrosiers et jouer avec Claude Legault, c’est toujours très ensoleillé. Ce plateau est très rigoureux, ce que j’adore. Et Claude Legault est un interprète de grand talent, c’est incroyable. Avec lui, je me sens toujours en sécurité.»

Photographe: . Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, mai 2015

L’album de Céline

Christine, la reine garçon

Christine, la reine garçon: «La confiance que m’a démontrée Michel Marc Bouchard a été un grand cadeau.»

Photographe: . Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, mai 2015

L’album de Céline

Unité 9

Unité 9: «J’ai toujours voulu jouer un personnage maladivement gêné. C’était un grand défi. Je m’étais dit que, si on ne voyait pas que Suzanne était timide, je me serais plantée. Autre défi: créer de l’empathie pour une femme qui possède très peu d’outils. Il ne fallait pas qu’on la prenne en grippe, il fallait qu’on veuille la sauver!»

Photographe: . Par : Josée Larivée Source: Coup de pouce, mai 2015

 

«Ma famille, c'est la grande famille artistique. Comme je suis la plus jeune, chez moi, et que je risque de les voir tous partir, la famille artistique, c'est celle qui sera là jusqu'à la fin. Il me faut tendre les bras vers la communauté. C'est ce que mes parents m'ont légué.» Non, elle n'ira pas en politique, mais les bases de cet engagement lui semblent indissociables de celles de sa démarche artistique. «Je viens du milieu du théâtre, de l'écriture, de la création. J'ai appris à tout remettre en question. Si on peut faire mieux, on le fait! Je ne travaille pas dans l'ego, je suis dans le désir de rendre à l'oeuvre toutes ses capacités. J'ai besoin de décortiquer et si j'ai des questions, je veux les poser.»

Dans la vie, elle a le geste lent, et un caractère d'une douceur remarquable. À ses heures, elle cuisine, elle peint, elle dessine. Un certain temps, elle a fait beaucoup de couture. Elle «écrivote», comme elle dit, elle pratique le yoga et elle médite. Et s'enfuit régulièrement dans sa sauvage campagne. «Je suis moins urbaine que par le passé. Les cafés, les restos, les théâtres... j'ai tendance à passer mon tour. Je suis rendue là.»

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Et cet endroit où elle est rendue lui donne envie de calme. «Je veux bien monter des montagnes, mais pas la tête à l'envers avec le coeur qui bat dans tous les sens. La vie nous brasse bien assez. Je veux des relations où je peux me déposer, et être moi-même. Actuellement, j'apprends le détachement. Je parle ici de s'efforcer de demeurer un individu. Au sein d'un clan comme au sein d'un couple. Dans un couple, ça veut dire cesser de penser que l'autre nous représente publiquement dans ce qu'il choisit de dire, de faire, ou de ne pas faire. Ce n'est pas rejeter l'autre ni se faire rejeter de l'autre. C'est communiquer ce qu'on est, ce qu'on veut. C'est ne pas mourir dans l'autre. Ne pas s'effacer. On a besoin d'apprendre le détachement pour que la relation dure.»

Le détachement, selon Céline Bonnier, ne s'oppose pas à l'amour. Mais s'oppose-t-il au romantisme ? «Je suis une amoureuse, mais je m'en vais sur mes 50 ans... Je suis pas mal moins romantique que j'ai pu l'être dans le passé! Il faut dire que le deuil, ça teinte tout. Alors, peut-être que dans l'avenir, je vais redevenir romantique. Mais la mort, ça t'amène dans un espace où il devient difficile de croire que la vie puisse être une affaire simple. Je ne suis pas dans le croire; je suis dans le faire. Et ce que j'ai à faire, ces temps-ci, ce n'est pas joyeux.» Je lui demande ce que ça signifie. «L'amour, c'est fragilisant. À mon âge, je choisis de me protéger un peu plus. Mais comme ce n'est pas dans ma nature de le faire, je suis peut-être en train de parler pour ne rien dire...» Elle prend une gorgée et lance son premier grand sourire. Un sourire qui laisse penser que la romantique en elle n'est peut-être pas partie bien loin.

En rafale

  • Le principal trait de mon caractère: Les autres diraient mystérieuse, mais moi, je dis: joueuse.
  • La qualité que je préfère chez un homme: l'humilité.
  • Et chez une femme: l'authenticité.
  • Mon rêve de bonheur: campagne, amis, famille, repas.
  • Ce que m'inspire vieillir: La peau, je m'en fous. Je suis en train de perdre ceux que j'aime. C'est dur. C'est ça, la vraie difficulté de vieillir.
  • Le plus grand apprentissage qui soit: le détachement.
  • Le don de la nature que j'aurais voulu avoir: J'ai envie d'écrire et de réaliser.
  • Des créateurs qui m'alimentent: les frères Dardenne, Wes Anderson, Gary Romain.
  • Un livre qui m'impressionne: Les Mémoires d'Hadrien, de Marguerite Yourcenar, parce qu'elle a attendu à 40 ans avant de l'écrire. Elle a attendu d'avoir la sagesse, la maturité et la patience nécessaires.
  • Un moment précieux de ma vie: les repas en famille, une quarantaine dans la même maison.
  • Un élément important: l'écologie. A-t-on besoin du pétrole?
  • Une chose qui change le monde: militer. J'ai marché avec les carrés rouges, j'ai milité pour les rivières, j'ai participé aux journées de la terre, c'est un bon feeling. Sentir l'énergie de la communauté, c'est très fort.
  • Comment souhaitez-vous mourir? Dans mon sommeil, «emmorphinée», pour éviter la douleur et pour accepter de partir. Parce que c'est douloureux, les séparations.

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