Loisirs et culture

Patrick Lagacé: dans l’univers d’un franc-tireur

Patrick Lagacé: dans l’univers d’un franc-tireur

T�l�-Qu�bec Photographe : T�l�-Qu�bec Auteur : Coup de Pouce

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Patrick Lagacé: dans l’univers d’un franc-tireur

Dans un bungalow de Laval, un petit garçon de 7 ans découpe dans Le Journal de Montréal les photos des criminels recherchés. Il les glisse soigneusement dans ses poches avant de partir pour l'école. Ce petit timide qui allait plus tard pratiquer un journalisme guerrier avait-il déjà l'esprit justicier? «Mon père a fini par demander à la gardienne de me permettre seulement la section des sports, avoue Patrick Lagacé. Mon découpage, il trouvait ça suspect.»

Le gars de la presse

Les interdits n'ont toutefois jamais empêché Lagacé d'aller là où son instinct le pousse. «Le seul métier que j'ai voulu pratiquer, c'est le mien.» À 14 ans, il lisait La Presse de bord en bord et rêvait d'y travailler. Cet enfant du divorce, «une affaire faite tout croche», a «spotté» l'école de journalisme de l'Université d'Ottawa, une ville assez lointaine pour lui donner une sensation d'exil et assez bilingo-anglophone pour lui offrir la possibilité d'apprendre l'anglais «pour de vrai».

Son parcours est si linéaire que le récit en est presque ennuyant. École de journalisme, double refus de La Presse pour un poste de stagiaire, emploi d'été au quotidien Le Droit suivi de sept années au Journal de Montréal et dans le monde des blogues, coanimation aux Francs-Tireurs pendant presque une décennie, chicane avec la direction du journal et départ pour La Presse, où il est journaliste pendant un an et devient vite chroniqueur-vedette.

Sa feuille de route est sans surprise, mais avec Patrick, c'est entre les lignes que s'apprécie la saveur des événements. Déjà, à l'université, où sa position au journal avait fait de lui le King Kong du campus, il faisait des vagues. «Je pense que c'était en moi. Au Droit, en arrivant, j'ai brassé un Monsieur, un équivalent de directeur de la protection de la jeunesse. Le lendemain, j'étais appelé dans le bureau du boss. "Tu fais ça une autre fois, pis t'es dehors!" J'ai appris comment fonctionnent les petites communautés tissées serré.» Il a aussi compris que, s'il voulait s'épanouir, il aurait besoin d'un plus grand terrain de jeu.

Il a connu, cet été-là, les assignations du samedi matin à couvrir un projet immobilier où tout était réglo. Pas le moindre petit morceau de mouche ou de vermisseau à se mettre sous la dent! Mais c'est aussi là, au Droit, qu'il a connu l'un de ses premiers orgasmes post-dénonciation. «C'était le début d'Internet, et j'avais découvert un site de partage fréquenté par les fonctionnaires sur leurs heures de travail. Paul Arcand m'avait interviewé à son émission pour rendre compte de mon topo. J'avais 25 ans; j'avais eu tout un buzz. Ensuite, j'ai recherché cette sensation. C'est le rédacteur en chef du Journal de Montréal, Dany Doucet, qui m'a fait comprendre que l'adrénaline, ça ne peut pas être ta raison d'être. C'est un cadeau quand ça arrive, mais ce qui fait qu'une histoire punche ou non, ça ne se contrôle pas. C'est la rigueur qui compte.»

Arrivé au populaire tabloïd en 1999, il a vécu l'effervescence d'un vent de changement où les jeunes étaient au coeur des choses. Pendant qu'il couvrait les faits divers, il s'est retrouvé plus d'une fois dans la cuisine d'une famille endeuillée, à devoir convaincre un père en pleurs ou une mère dévastée de l'importance de s'exprimer dans son journal. «Jamais je ne renierai cette école. J'ai développé plusieurs ressources, dont une fibre précieuse: celle des relations humaines.»

Une fois à La Presse, il a dû essuyer quelques regards obliques alimentés par la réputation trash du journal d'où il sortait. «Quand tu vas pisser et que tu sens que le gars à côté de toi ne t'aime pas la face alors que tu ne lui as jamais parlé, tu comprends vite...» Pour toute rétorque, il se taisait et redoublait d'efforts au travail.

Le collègue Yves Boisvert confirme que les «bons coups» de son confrère lui ont permis de se faire accepter au sein de la confrérie des journalistes de La Presse. Le point culminant de cette intégration difficile s'est joué en 2009, quand La Presse a affecté Patrick en Israël. L'histoire est publique. Un de ses collègues a dénoncé en pleine télé le fait qu'on fasse couvrir des conflits d'une grande complexité par un journaliste qui ne s'y connaissait pas et qui livrait un récit personnel. L'affaire a fait du bruit, et Patrick ne s'est pas laissé piler sur les pieds.

«Il n'a pas été accueilli avec fanfares et banderoles, observe Yves Boisvert, mais il a à maintes reprises défendu son journal, et notre métier. Dans l'adversité, il peut se montrer sanguin et avoir la mèche courte, mais il a démontré qu'il savait faire sa place et pratiquer son métier avec brio. La question ne se pose plus: Patrick est définitivement un gars de La Presse

Un homme de coeur

Bien qu'il se dise «spécialiste de rien», on peut dire que, s'il y a curé au bordel, le chroniqueur y est. «Les tricheurs, ça l'allume», remarque son voisin de cahier. Là, Patrick devient intraitable. «Il pratique alors le journalisme comme un sport de contact. Les mises en échec y sont non seulement permises, mais elles sont rough!» Pour lui, le but est clair: «Quand je bouscule quelqu'un, tout ce que je veux, c'est qu'il sorte de sa cassette officielle. Je veux entendre la vérité. Et je ne veux pas être le quatrième à y parvenir; je veux être le premier.»

«C'est un brave et un rebelle, confirme la directrice des programmes de Télé-Québec, Dominique Chaloult, qui lui a ouvert les portes pour coanimer sa nouvelle émission, Deux hommes en or. Il me fait penser à Louis Morissette, poursuit-elle. Ce sont des gars "gars"; de gros caractères, des idées à défendre, mais une fine intelligence qui leur donne la capacité de faire marche arrière lorsqu'ils réalisent qu'ils n'ont peut-être pas entièrement raison. Par-dessus tout, ce sont des gars honnêtes et transparents. Avec eux, tu as toujours l'heure juste.»

Si juste que parfois, ça frôle l'impulsivité. À ce chapitre, la boss de Télé-Québec y a goûté! Lorsque Patrick a décidé d'arrêter Les Francs-Tireurs, il l'a annoncé en pleine entrevue sans avoir d'abord permis au réseau de préparer sa sortie. «C'est certain que ça m'a mis dans l'embarras, avoue en riant la directrice générale des programmes. J'étais en Floride et j'ai dû rentrer d'urgence. Patrick a réalisé après coup qu'il avait gaffé. Il était un peu piteux. Mais je ne peux pas lui en vouloir, car c'est un gars franc et très attachant. Un tendre, un grand doux. Il n'est jamais téteux ni peureux. Donc, il assume.»

«Je ne soumets pas mes opinions à des focus groups, lance Patrick. Je ne fais pas de la variété. Je demeure dans la business du contenu. Dans Deux hommes en or, je demeure un journaliste qui interviewe quelqu'un. C'est le médium qui change de forme. Pas moi.»

«J'ai vu le pilote au printemps, raconte Dominique Chaloult, puis une seconde version quatre ou cinq mois plus tard: l'écart était incroyable! Patrick a dû ramer fort pour s'améliorer autant. Il assimile vite, et accepte d'évoluer. C'est un travailleur acharné.» 

«Entre la job, la garde partagée de Zachary, mon fils de 8 ans, le gym, un peu de vélo, des amis à la maison autour d'un repas... il ne reste plus de temps, lance Patrick. J'aurai 42 ans en janvier. Je comprends qu'il faut que ça change. La vie, c'est pas juste le travail. Ça fait longtemps que je sais ça, mais ça fait pas longtemps que je le ressens vraiment. Tout à coup, me demander si je veux acheter un chalet et créer des souvenirs d'enfance à mon fils, ça devient vraiment important.»

Les gens de son entourage le confirment: lorsque son fils est avec lui, Patrick est dédié et présent. Au pupitre, on reçoit souvent sa chronique du lendemain, le soir à 21 h, conciliation travail-famille oblige. «Il est comme tous les parents séparés, il jongle avec les horaires pour arriver à tout faire», constate la journaliste Michèle Ouimet.

Michèle et Patrick, collègues à La Presse, se sont connus alors que Patrick était encore au Journal de Montréal. Ensemble, ils ont codirigé Le 30, le magazine de la Fédération des journalistes du Québec. «Depuis, Patrick est passé à un statut de vedette, mais étonnamment, il n'a pas changé d'un iota. C'est un gars bien groundé et très loyal. Il peut faire preuve d'une énergie sans borne. Il m'épate! On va manger chez lui, et il cuisine pendant qu'il discute, sans trop de concentration. Il fait les deux de manière toute naturelle, et à la fin, c'est bon! C'est aussi un gars qui a beaucoup d'idées. C'est le fun de faire partie de son entourage. Le chroniqueur peut se faire baveux, mais jamais l'homme. Au contraire, c'est un être d'une grande gentillesse. C'est un doux, un peu père poule, je dirais. Il dit toujours: «Pas de trouble!» D'ailleurs, je l'ai baptisé Patrickpas-de-trouble-Lagacé. Il ne se laisse pas intimider, mais ce n'est pas un caractériel; c'est un gars super smooth. Sinon, je ne serais pas son amie!» Un homme en or, quoi! C'est sans doute vrai, vu qu'ils le disent à la télé.

Les plaisirs de Patrick

1. Le soccer. J'ai joué au collégial, j'ai coaché, j'ai arbitré. Jusqu'à 23 ans, ma vie tournait autour de ce sport. J'étais petit mais pas peureux. Maintenant, je suis moins souple - et moins bon. Ça ne m'intéresse pas de jouer si je suis moins bon.

2. Les Francs-Tireurs. J'ai eu beaucoup de plaisir avec Richard Martineau. Que ceux qui croient qu'on a eu des chicanes aillent chercher ailleurs. J'ai arrêté parce que ma motivation avait un peu diminué. Or, tu ne peux pas faire ce genre de show avec une once de moins.

3. Lire. Quelques titres: Lenin's Tomb - Ça traite de la chute de l'URSS et c'est le genre de lecture qui me fascine. Testament, de Vickie Gendreau. Cette fille a écrit ce livre alors qu'elle se savait condamnée. Elle est décédée depuis. Elle avait une écriture en stroboscope. Si elle avait vécu 10 ans de plus, elle serait devenue une grande auteure. La Renarde et le Mal Peigné. L'échange de correspondance entre Pauline Julien et Gérald Godin. Ces deux-là représentent la fin des lettres en papier. Je suis conscient de la perte que cela signifie. Le geste physique d'écrire disparaît - je m'en rends compte: ma calligraphie a changé. Homicide - A Year in the Killing Streets. L'auteur, David Simon, journaliste du Baltimore Sun et auteur de la série The Wire, a passé un an au département des homicides de Baltimore et il en fait un long récit. C'est extraordinaire.

4. Voyager. Il y a les voyages pour le travail, et ceux pour le plaisir. Barcelone, ville captivante que j'ai visitée à quelques reprises. L'Islande, île aux paysages d'une indicible beauté, mais où bien des gens sont bêtes comme leurs pieds! Jérusalem, l'Histoire avec un grand H... On continue? On part?

Échange de coups

  • Coup de baguette magique - La faim dans le monde, pouf!
  • Coup de balai - L'influence de l'argent sur le politique.
  • Coup de pouce - Ma mère, qui m'encourageait à lire, et de qui je tiens sans doute mon grand sens de l'indignation.
  • Coup de blues - 2004. Je traverse le Canada sur le pouce pour un reportage. À la radio, Jean-René Dufort est sarcastique à mon sujet. Ça m'a mis down. Mais j'ai compris là l'importance de me construire une carapace, un équipement essentiel au sport que je pratique.
  • Coup de chapeau - Les bénévoles au grand coeur comme Roland Barbier, du Centre communautaire Hochelaga.
  • Coup de coeur - Deux hommes en or!
  • Coup de couteau - Chez Joe Beef et au Pied de cochon. Toujours satisfaisant.
  • Coup de crayon - Chapleau. C'est en banlieue du génie...
  • Coup de bâton - Le hockey. J'ai joué jusqu'à 14 ans. Mon père n'était jamais assis avec les autres parents. Mais il était là, seul, derrière le but. C'est pourquoi tant d'hommes ont une relation émotive aussi intense avec le hockey. C'est souvent la relation avec leur père qui est derrière ça.
  • Coup de filet - Avez-vous remarqué que ceux de la police ne touchent jamais l'écosystème politique provincial? Mystère...
  • Coup de frein - J'ai passé ma vie à être «pas mon père».
  • Coup répété - Je l'entends, parfois, quand je parle à mon fils.
  • Coup de main - J'en ai toujours besoin: je ne suis pas bricoleur.
  • Coup de massue - Pour l'abus de pouvoir, aussi nommé harcèlement psychologique.
  • Coup de pistolet - Moins de guns, moins de tentations d'y recourir.
  • Coup de sifflet - J'ai été arbitre au soccer. On y apprend l'importance de la carapace.
  • Coup de téléphone - Fut une époque où je me souvenais par coeur de tas de numéros de téléphone. Merci, iPhone: époque révolue.
  • Coup de tête - Zinedine Zidane, 2006: grand geste d'égoïsme sportif.
  • Coup monté - Irak, 2003.
  • Coups permis - WikiLeaks.
  • Coup de foudre - Peut-être que ça se peut...
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