Loisirs et culture

«J’t’aime gros»: entrevue avec Mélissa Bédard

Entrevue avec Mélissa Bédard sur la série documentaire «J’t’aime gros»

  Photographe : MOI ET CIE

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«J’t’aime gros»: entrevue avec Mélissa Bédard

Dans la série documentaire J’t’aime gros, la chanteuse Mélissa Bédard et l’humoriste Christine Morency vont à la rencontre de gens touchants qui, comme elles, vivent des défis en lien avec leur poids.

Pour combattre les préjugés, elles nous présentent des témoignages authentiques et sincères. Entrevue avec Mélissa Bédard, une femme qui prône l’acceptation de soi sous toutes ses formes.

 

Mélissa, comment définirais-tu la grossophobie?

La grossophobie, c’est quelque chose que les personnes de taille plus vivent quotidiennement. On ne parle pas ici seulement de mots ou de gestes, mais de normes qui sont établies par la société. Pensons à la largeur des sièges d’avion, à l’espace entre la table et la banquette du restaurant, à la taille des vêtements... Ces choses-là nous renvoient sans cesse le message que notre poids n’est pas acceptable. L’offre de vêtements en ligne est grande, mais très peu d’enseignes tiennent des vêtements taille plus, alors que la demande est là. C’est un état ou un sentiment que l’on ressent à longueur d’année, parce que la société ne fait pas de place pour nous.

 

Quels sont les mythes à déconstruire par rapport aux personnes grosses?

Que si l’on est gros, c’est parce qu’on mange mal, parce qu’on ne fait pas de sport. Que les gros sont niaiseux. On est toujours moins que quelqu’un qui répond aux normes de beauté, qui les respecte.

 

Pourquoi l’association entre santé et minceur est-elle si tenace, selon toi?

Je pense que c’est parce qu’on idéalise beaucoup le corps mince. C’est ce genre de corps qu’on voit sur les réseaux sociaux, dans les magazines, à la télévision. C’est l’idéal à atteindre, tout le monde devrait avoir l’air de ça...

 

Une des pistes de solution évoquées dans la série est qu’il faudrait habituer notre œil à la diversité corporelle. Comment faire? En visionnement de presse, Christine Morency a parlé de mettre plus de modèles amoureux différents à la télé, d’oublier des séries comme La vie à 600 lb, qui laissent sous-entendre qu’eux, ce sont de bons gros qui veulent maigrir, alors que les autres sont des fainéants qui manquent de volonté...

Exactement. On voudrait que la personne taille plus ne soit plus uniquement définie par son poids, qu’elle soit plus que ça. Pourquoi ne voit-on pas à la télé une taille plus faire du ballet, être une enseignante, une amoureuse épanouie, une nutritionniste?

 

Y a-t-il une rencontre qui t’a marquée davantage pendant le tournage de J’t’aime gros?

J’ai été extrêmement touchée par ma rencontre avec Thomas, un jeune garçon qui se fait intimider à cause de son poids. C’est triste à quel point les adultes de son entourage, notamment à l’école, ne sont pas outillés pour l’aider. Au cours de l’entrevue, il fallait voir ses yeux quand je lui disais qu’il était beau! Juste le fait d’avoir ce droit de parole – qu’il n’obtient pas souvent – était énorme pour lui. Parler de la situation est tabou. Comme il se fait écœurer, il rase les murs. J’ai senti que cet entretien lui a été bénéfique. Les blessures d’enfance peuvent teinter toute une vie, alors de pouvoir mettre un baume sur son cœur, ça m’a fait du bien autant qu’à lui. Même si ce n’est que pour ça, je sens que j’ai réussi quelque chose avec cette émission. J’ai notamment accepté ce rôle pour mes enfants, pour prêcher par l’exemple et leur montrer que c’est en se mobilisant qu’on fait évoluer les choses.

 

On aborde souvent le poids sous l’angle de la santé, du genre: «Il y a une épidémie d’obésité, c’est un problème de santé publique, il faut y voir.» Mais une fois qu’on a dit ça, la personne n’a-t-elle pas droit au respect et à la dignité, peu importe son poids?

Oui, tout à fait! Et de toute façon, la personne grosse qui a un problème, souvent, elle le sait. Et peut-être qu’elle n’arrive tout simplement pas à le régler. Mais est-ce qu’une personne grosse ne pourrait pas aussi juste pratiquer un sport parce qu’elle en a envie et pas pour se faire dire bravo? Sans vouloir perdre du poids ou se remettre en forme? Certaines personnes sont bien dans leur corps tel qu’il est, et c’est correct aussi. Pouvons-nous être des personnes à part entière sans avoir à justifier chacune de nos actions? Si je mange une salade, c’est parce que c’est ce que j’ai envie de manger et pas parce que je suis au régime. On veut juste être traités comme tout le monde. Au même titre que si je vais chez le médecin, parce que j’ai une souffrance quelconque, je veux qu’on investigue sérieusement au lieu de dire tout de suite que c’est mon poids qui en est la cause.

 

Dernièrement, tu as publié une photo sur tes réseaux sociaux qui a créé tout un tollé. Résumons: on te reprochait d’avoir perdu du poids. Souhaiterais-tu qu’on arrête de commenter le poids d’une personne, qu’elle soit connue ou non?

Si tu savais la tonne, mais la tonne de messages que j’ai reçus dans mes boîtes de messagerie! On voulait connaître mon truc. Mon truc, c’est que j’ai mis des vêtements flatteurs et que la personne qui m’a prise en photo l’a fait sous un bon angle. Je n’ai pas perdu de poids! Et même si c’était le cas, ce ne serait les affaires de personne. On a tellement dit et montré qu’il était préférable d’être maigre que tout le monde veut perdre du poids. Ce martèlement vient jouer dans notre tête. On se sent obligées d’obéir aux standards pour être de belles femmes, pour réussir, pour être de bonnes mères. On revient toujours au physique. On demanderait à 10 femmes de quoi elles parlent quand elles sont entre elles et on aurait: esthétique, diète, chirurgie, ou encore: as-tu vu Unetelle? Elle a changé ses cheveux, elle a pris du poids, etc. C’est ancré en nous. Nous sommes dans un cercle vicieux et on peine à en sortir. C’est pour ça que j’accepte de me montrer telle que je suis sur les réseaux sociaux. Ça dépasse, ce n’est pas parfait, mais c’est beau. Je gagne ma vie avec mon corps qui n’est pas standard. D’ailleurs, je pense que j’aurais beaucoup moins de contrats si j’étais maigre et comme tout le monde.

 

S’il n’y avait qu’un message à retenir de cette série, quel serait-il?

Aimons-nous comme nous sommes et, même si c’est dur d’ignorer l’opinion des autres parce que ça nous atteint émotivement et psychologiquement, essayons de nous en détacher, de faire notre chemin et de transformer ce qu’on pense être des faiblesses en beautés. Il y a toujours quelqu’un qui nous regarde avec les yeux du cœur et nous devrions faire pareil.

 

Isabelle Maréchal a émis le souhait de produire une deuxième saison. Quels sujets pourraient y être abordés?

Souvent, on regarde une personne mince en se disant: «Mon Dieu qu’elle a l’air bien», alors qu’elle souffre. Certaines personnes minces vont se voir grosses, ce qui crée parfois des troubles alimentaires. Et c’est banalisé, parce qu’on est tellement habitués de voir de la minceur (et de trouver ça beau) qu’on ne détecte même plus la détresse de ceux qui en vivent. Cette perception du corps de la personne qui ne se trouve pas assez parfaite, alors que tout le monde autour l’idéalise, m’interpelle particulièrement. J’ai le goût qu’on s’y intéresse aussi. Dans la série This Is Us, il y a une scène marquante qui met en présence des personnes en surpoids, sauf une, qui est mince, mais qui croit qu’elle est grosse. Tout le monde la dévisage, jusqu’à ce qu’elle tombe à terre. Ce n’est qu’à ce moment qu’on constate sa détresse. Elle aussi, malgré les apparences, trouve qu’elle ne correspond pas aux normes. On ne légitimise pas son mal-être, alors qu’elle en vit et qu’il est bien réel. Et ce qu’on réalise, c’est que le poids est aussi un enjeu de santé mentale.

 

La série documentaire J’t’aime gros est diffusée les jeudis, à 20 h, à MOI ET CIE. Les abonnés de la chaîne peuvent voir ou revoir les épisodes grâce à la vidéo sur demande de MOI ET CIE.

 

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