Psychologie

Communiquer avec un proche atteint d'alzheimer

Communiquer avec un proche atteint d'alzheimer

Shutterstock Photographe : Shutterstock Auteur : Coup de Pouce

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Communiquer avec un proche atteint d'alzheimer

Notre proche perd la mémoire, les mots, la raison…sa vie lui échappe. Comment garder un lien avec un être aimé atteint d'alzheimer?

Il y a huit ans, la mère de Diane, âgée de 92 ans, est décédée. Elle a vécu pendant sept ans avec l'alzheimer. Diane aussi. «Avant qu'elle meure, je l'avais déjà perdue, dit Diane, 66 ans. Au début, ma mère pouvait encore me parler et elle me comprenait. Mais au fil des ans, la communication a changé, est devenue difficile. Deux ans avant son décès, elle ne me reconnaissait même plus...» Dur pour Diane qui, tout au long de cette chaotique maladie, a gardé avec sa mère un contact, un lien. Un pont.

De la façon dont elle multiplie ses victimes, l'alzheimer s'est fait une place, non désirée, dans la vie de beaucoup, beaucoup de gens. Environ 125 000 Québécois souffrent d'alzheimer ou d'une maladie apparentée. À ça s'ajoutent quelque 500 000 Canadiens. Les deux tiers sont des femmes. Et les pronostics n'enchantent guère: tous les organismes de santé prévoient une hausse spectaculaire de ces cas. Par exemple, en 2038, ce sont 289 000 Québécois qui souffriront d'une forme ou d'une autre de démence. Car par «maladie apparentée», on entend une pathologie entraînant elle aussi une forme de démence. «Un mot qui n'est plus vraiment utilisé, parce qu'il est souvent associé à la folie, à l'aliénation mentale, dit le Dr Serge Gauthier, directeur de l'Unité de recherche sur la maladie d'Alzheimer de l'Université McGill. Mais en soi, ce mot signifie simplement une diminution des capacités intellectuelles.» Mémoire en déroute, jugement qui s'effrite, désorientation, changement de la personnalité, voilà tout ce que signifie aussi ce détestable mot.

L'alzheimer représente la source la plus importante de démence (65%) tandis que les 35% restants sont le résultat d'AVC, de Parkinson ou de ce qu'on appelle démence frontotemporale, une maladie neurodégénérative elle aussi, mais qui survient souvent plus tôt (dès 40 ans) et qui est héréditaire. Dans le cas de l'alzheimer, bien que mille hypothèses aient été avancées pour expliquer sa cause (pollution, génétique, style de vie, etc.), les chercheurs sont toujours à la recherche de preuves.

Quand les mots ne suffisent plus

Ce qui est évident toutefois, c'est que maintenir un lien avec une personne dont la raison s'émousse est très difficile. «Depuis un an, je monologue pas mal!», lance Marie-Josée, 52 ans. Sa mère de 86 ans est atteinte d'alzheimer depuis près de 10 ans. Comme un casse-tête qui se défait, la personne aimée s'en va, elle aussi, morceau par morceau. «Ça commence par des petites choses. Par exemple, au début, elle n'était plus capable de s'occuper de ses finances, puis de son hygiène, et ainsi de suite, explique Marie-Josée. Aujourd'hui, elle commence à oublier les mots et sa personnalité a changé. Elle qui était si enjouée, sociable, avec un bon sens de la répartie est devenue plutôt dépressive et ne participe plus aux conversations.» Et cette manie de répéter, répéter, répéter... «Elle peut redire la même chose 10 fois en 30 minutes! dit Marie-Josée. Oui, ça peut devenir irritant. Et oui, ça demande beaucoup de patience! Des fois, je la perds. Mais c'est correct, je me donne ce droit. Il le faut.»

La patience semble en effet une vertu essentielle dans la relation avec un proche dont les capacités disparaissent. «C'est tout à fait normal de perdre parfois patience, dit Sophie Éthier, directrice du certificat de gérontologie de l'Université Laval. Presque toutes les personnes atteintes d'alzheimer répéteront mille fois une chose et feront répéter aux autres ce qu'ils ont dit. Plus ça va, pire ça devient. Dans ces moments-là, il faut essayer de faire diversion en parlant d'autre chose, par exemple, en sortant un album photo...» Un moyen qu'Anne-Sophie, 28 ans, utilise souvent avec son grand-père. L'homme de 74 ans vit la dernière étape de son existence. Il ne parle plus. Ne marche plus. À peine s'il réagit à la présence des gens autour de lui. «Mais quand je sors les photos de sa jeunesse, là, je vois une lumière dans son regard, comme s'il se rappelait encore sa vie d'avant», raconte la jeune femme.

«La mémoire émotive reste vive très longtemps, même au dernier stade de la maladie, explique Jacinthe Grisé, gérontologue et psychologue. Une personne ne se souviendra peut-être pas des invités présents à son mariage, ni même de son conjoint, mais elle pourra se souvenir des émotions qu'elle a éprouvées cette journée-là. C'est pourquoi il est inutile de demander à une personne malade ce qu'elle a fait la veille, mais on peut tenter d'évoquer avec elle des souvenirs lointains; il y a des chances pour qu'elle se rappelle...»

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Quand les mots ne suffisent plus, il existe d'autres façons de créer un lien. Pour Caroline Ménard, psychologue à l'Institut de gériatrie de Montréal, tout ce que la personne malade aimait le plus peut servir à l'allumer et à lui apporter de la joie. «La musique, un parfum particulier, un aliment qu'elle adorait ou la lecture de passages de la Bible, si la personne était très croyante, suggère la spécialiste. Il s'agit d'une autre façon de communiquer, une façon qui "parle" davantage aux personnes atteintes d'alzheimer.» Tout comme parlent aussi les gestes. Souvent aussi, des personnes autrefois peu enclines aux démonstrations physiques apprécieront les gestes tendres à un stade avancé de la maladie. «Vers la fin, ma mère ne parlait presque plus et, en plus, elle était sourde, évoque Diane. Elle qui n'avait jamais aimé se faire toucher maintenant adorait ça. C'est devenu super important. Elle était comme une petite fille qui se sent rassurée quand on lui fait un câlin.» Des gestes importants pour la personne malade et aussi pour les proches. «Jusqu'à la fin, maintenir un lien de quelque façon que ce soit, parfois simplement par une main posée sur l'épaule, fait du bien à la personne malade et aux gens qui l'aiment», assure Sophie Éthier.

Le deuil blanc

Néanmoins, l'alzheimer et ses proches parentes font surtout du mal. Les experts ont qualifié cette traversée du désert de deuil blanc. «Le deuil blanc, c'est accepter la mort d'une personne aimée, la mort de son identité, en dépit du fait qu'elle est encore vivante physiquement », explique Sophie Éthier. «C'est comme si la personne s'étiolait doucement, illustre Anne-Sophie. Accepter que mon grand-père si aimant, de qui j'étais si proche, disparaisse ainsi a été vraiment difficile. On ne peut pas vivre ça seule; il faut en parler, à son conjoint, à ses amis, aux spécialistes si nécessaire. C'est l'unique moyen de faciliter un peu les choses. À part ça, c'est dur, c'est frustrant et ça enrage souvent! Ce qui m'aide un peu quand je vois mon grand-père (environ une ou deux fois par mois, car il habite à 300 km de chez moi), c'est que je le sens malgré tout encore plein d'émotions. Quelque part, il continue à vivre, même si ce n'est plus le grand-père que j'ai connu.»

La mémoire s'en va, les émotions restent

Et c'est vrai. Car si la maladie aspire les souvenirs, elle ne le fait pas avec les émotions. «C'est comme une personne qui perd la vue et dont les autres sens s'affinent, illustre Jacinthe Grisé. Plus une personne souffrant d'alzheimer perd ses moyens, plus sa sensibilité émotionnelle augmente.» Notre humeur, notre stress, nos états d'âme... Autant d'éléments qui façonnent aussi notre lien avec notre parent malade. Autant de façons de le garder un peu avec nous, ou pas. Un sourire, une intonation pleine d'affection le rassureront alors que notre emportement, voire notre colère, le stressera au plus haut point. «J'ai souvent vu se chicaner mes oncles et mes tantes en présence de mon grand-père et je leur disais de ne pas faire ça, qu'il comprenait ce qui se passait d'une certaine façon...» dit Anne-Sophie. Des chicanes à propos de qui paiera quoi, de qui s'occupera de quoi, etc.: les effets produits par la maladie sur la famille, surtout si elle est nombreuse, sont souvent intenses. «Il arrive souvent que des conflits éclatent lors du partage des responsabilités à l'égard du parent malade, dit Jacinthe Grisé. Et je remarque que ce sont très souvent les femmes qui prendront le gros de ces responsabilités. Mais l'on voit aussi des familles qui collaborent, qui s'entraident, se soutiennent et même qui se réconcilient et règlent de vieilles disputes.» Comme tout événement dramatique qui survient, il peut éveiller chez les gens le pire comme le meilleur. Parfois un peu des deux.

«Le manque de soutien psychologique des aidants, de la part de l'entourage ou des services de santé, ajoute aussi au poids déjà très lourd de la maladie et contribue à la détresse psychologique», insiste Sophie Éthier. Marie-Josée, elle, dit avoir de la chance. La travailleuse sociale qui l'accompagne dans cette épreuve est facile à joindre au bout du fil et toujours de bon conseil. «Heureusement que je l'ai!» reconnaît-elle. Heureusement aussi qu'elle peut compter sur son oncle. Mais ce dont elle se passerait, par contre, ce sont les commentaires insinuant que, parce qu'elle n'a pas d'enfant, sa mère l'est en quelque sorte devenue. «C'est ridicule! s'insurge Marie-Josée. Beaucoup pensent qu'une personne atteinte d'alzheimer retombe en enfance. Beaucoup vont infantiliser les malades. Ma mère n'est pas une enfant. Elle a eu une vie. Elle m'a eue. Et puis, prendre soin de ma mère, ce n'est en rien comme prendre soin d'un enfant. Un enfant, tu as la satisfaction et la fierté de le voir grandir, évoluer, apprendre. Ma mère, elle, elle désapprend. Ce que je ressens, ce n'est pas de la fierté et du bonheur, mais de la tristesse et de l'impuissance.

Retrouver un parent malade

On est mal à l'aise ou on craint de ne pas savoir comment agir et quoi dire? Conseils d'experts.

  • On se renseigne auparavant sur son état: qu'est-il encore capable de faire et ne plus faire?
  • On évite de surprendre la personne, par exemple, en l'approchant par-derrière ou trop brusquement.
  • On se place devant elle et on la regarde dans les yeux pour capter son attention.
  • On lui parle avec des mots clairs, simples et précis.
  • Si la personne ne souhaite pas du tout entrer en contact avec nous, on n'insiste pas.
  • On évite les questions ouvertes; on opte plutôt pour celles qui peuvent être répondues par oui ou par non.
  • On évite les pronoms personnels, on nomme les gens: «Votre neveu François est parti en voyage...».
  • On se rappelle qu'une personne malade sera souvent plus confuse le soir. La communication sera donc plus facile plus tôt dans la journée.
  • On se rappelle que même à un stade avancé de la maladie, une personne reste toujours sensible aux émotions.

Pour aller plus loin

  • Le mystère Alzheimer, Marie Gendron, Les Éditions de l'Homme, 2015, 320 p., 29,95$ 
  • La maladie d'Alzheimer: le guide, Serge Gauthier et Judes Poirier, Livre de poche, 2014, 192 p., 12,95$.
 
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