Psychologie

La représentation trans: où sont les modèles?

La représentation trans: où sont les modèles?

  Photographe : iStock

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La représentation trans: où sont les modèles?

Si l’on entend de plus en plus parler de transidentité et de non-binarité dans la société, les modèles demeurent rares.

Plusieurs jeunes en pleine transition se sentent peu représentés et cherchent à s’identifier loin des stéréotypes et des clichés.

 

Déjà, en troisième année du primaire, Flavie se posait des questions sur son identité de genre. Elle ne s’identifiait pas aux autres filles de sa classe. Elle se sentait différente, en marge... mais comment, exactement? Et pourquoi?

C’est lorsqu’elle voit son cousin faire son coming out comme homme transgenre que Flavie a une illumination: elle se reconnaît dans sa démarche et dans son parcours. À 14 ans, elle s’ouvre à son tour à ses proches et entame sa transition.

Aujourd’hui, Flavie est devenue Alex, un jeune homme de 17 ans qui achève son secondaire et souhaite travailler en arts visuels. Même s’il est soutenu par ses proches, cela ne veut pas dire que le chemin a été facile. «Je me souviens que lorsque je me regardais dans le miroir, j’avais l’impression de voir une photo, le reflet de quelqu’un d’autre, de ne pas être moi-même, confie-t-il. C’était difficile à vivre... et je n’avais personne vers qui me tourner.»

Même s’il se dit heureux et bien entouré, Alex trouve dommage qu’il y ait eu si peu de modèles tout au long de son parcours. «Il y a vraiment une lacune, dit-il. Moi, ç’a été mon cousin qui m’a ouvert la voie, qui a été un élément déclencheur. Ça m’a libéré! Mais combien de personnes se sentent comme ça en ce moment? Combien sont seules, isolées?»

 

Retard en matière de représentativité

Pour Annie Pullen Sansfaçon, professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leur famille, la société québécoise accuse un retard sur la question de la représentativité. «On voit de plus en plus de diversité dans les médias et à l’écran, par exemple, mais encore très peu de personnes transgenres ou non binaires, indique-t-elle. C’est difficile pour les jeunes de se reconnaître.»

Deux exemples de modèles lui viennent en tête spontanément: l’actrice trans Pascale Drevillon, qui a incarné Maria dans la série télé Fugueuse, la suite, et Zaccharry-David Dufour, un jeune homme trans mis en vedette dans le docuréalité Je suis trans. «Je suis sûre qu’il y a plein de jeunes personnes transgenres talentueuses dans les agences!» lance la professeure.

Les modèles, au Québec, semblent effectivement très rares. Noée Couvrette, une femme transgenre de 18 ans, est incapable d’en nommer... à part Khate Lessard, première participante trans à l’émission Occupation Double en 2019. «Je la trouve forte et très ouverte à la discussion, raconte Noée, mais c’est la seule que je connais et la seule qui fait partie de la culture populaire.»

Elle aussi trouve bien dommage de ne pas se voir plus et mieux représentée dans les arts et dans l’espace médiatique. «Il faudrait que les diffuseurs, producteurs, réalisateurs, auteurs et scénaristes donnent plus de chances aux personnes trans, clame-t-elle. Il n’y a personne de mieux placé pour incarner des expériences de personnes trans que les personnes trans elles-mêmes!»

Mme Pullen Sansfaçon va plus loin: les personnes transgenres ou non binaires peuvent tout à fait incarner toutes sortes de personnages... et pas que ceux dont la quête est liée à leur identité de genre. «Pourquoi ne leur offre-t-on pas des rôles différents? se demande-t-elle. Ce serait bien que l’histoire des personnages trans ne tourne pas qu’autour de leur identité, qu’elle ait d’autres intersections... Une jeune personne trans, dans la vie, n’est pas que ça: c’est une étudiante, une amie, une amoureuse, une travailleuse.»

 

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Normaliser sans banaliser

Geneviève Fournier est psychoéducatrice dans une école secondaire. Depuis cinq ans, elle est la personne-ressource des jeunes en quête identitaire, celle qui les accompagne dans leur parcours. En outre, elle offre de l’information et des outils au personnel de l’école et au centre de services scolaire.

Selon elle, les jeunes ne se retrouvent pas du tout dans les modèles québécois. Qui plus est, ils sont las de voir des personnages trans porter uniquement des histoires sur la transidentité. «Ils sont un peu tannés que ce soit toujours axé sur la démarche, les enjeux ou les préjugés, explique Mme Fournier. Selon eux, ça augmente les clichés et, parfois même, la haine envers les personnes trans. Ils souhaitent que ce soit normalisé.»

La ligne est mince entre la normalisation et la banalisation. Enseignante au primaire en Montérégie, Alina Laverrière est une femme trans de 40 ans. Selon elle, la transidentité doit encore être expliquée et décortiquée, tout en la montrant comme étant normale. «Je sais qu’on dirait que ce sont deux éléments contradictoires, dit-elle, mais je crois que ça prend les deux dans l’espace public. Oui, une personne trans est une personne comme une autre mais, en même temps, on ne veut pas envoyer le message qu’on peut banaliser la diversité.»

Elle rappelle que toute personne en quête identitaire ou en transition s’inquiétera, en début de processus, de ce que les gens vont penser d’elle. «Il ne faut pas oublier que l’intimidation, le rejet, la discrimination et la violence sont encore le lot de nombreuses personnes trans, malheureusement», note Mme Laverrière.
Or montrer ces difficultés aide-t-il à sensibiliser les gens ou cela stigmatise-t-il encore plus les personnes trans? Pour Alex, c’est évident: il faut que le discours change, qu’il soit plus positif, lumineux et qu’il s’éloigne des idées préconçues et des préjugés.

«Les gens de l’industrie culturelle et médiatique doivent nous faire confiance, dit-il. Nous sommes passés à travers des choses pas faciles, mais cela ne nous définit pas! Il est temps de reconnaître que, par notre différence, on peut apporter beaucoup à la société. Ça prend juste un peu plus de conscience et d’ouverture.» 

 

Qui sont leurs modèles?
  • «Mon cousin et le youtubeur Chase Ross, connu sous le nom d’Uppercase Chase.» – Alex, 17 ans
  • «La mannequin androgyne trans Andreja Pejic et Hunter Schafer, qui joue Jules dans la série Euphoria.» – Noée, 18 ans
  • «Les auteures québécoises Chris Bergeron et Gabrielle Boulianne-Tremblay.» – Steph, 20 ans
  • «Elliot Page et Lé Aubin, deux personnes qui s’identifient comme des non-binaires.» – Lou, 15 ans
  • «L’actrice américaine Jamie Clayton et la militante Jazz Jennings.» – Elie, 16 ans
  • «Une de mes élèves de 12 ans, en questionnement puis en transition, m’a beaucoup inspirée. Le documentaire Je suis trans a aussi été un élément déclencheur.» – Alina, 40 ans

 

Petit lexique
  • Cisgenre: Se dit d’une personne dont l’identité de genre correspond au sexe qu’on lui a attribué à la naissance. C’est le contraire de «trans».
  • Trans: Se dit d’une personne dont le genre ne correspond pas à celui qu’on lui a attribué à la naissance.
  • Non binaire: Se dit d’une personne dont l’identité de genre se situe en dehors du modèle de genre binaire: homme ou femme. Les personnes non binaires peuvent redéfinir le genre ou simplement refuser de se définir selon un genre.
  • Identité de genre: Sensation intérieure et profonde d’être homme ou femme, d’être homme et femme, ni l’un ni l’autre ou encore de se situer quelque part le long du spectre du genre. L’identité de genre d’une personne peut correspondre ou non au genre habituellement associé au sexe qui lui a été attribué à la naissance. L’identité de genre n’est pas nécessairement apparente et elle n’est pas liée à l’orientation sexuelle.
  • LGBTQ+: Lesbienne, gai, bisexuel, trans et queer. La lettre «Q» désigne parfois les personnes en questionnement. Le sigle + comprend de nouvelles identités.

 

 

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