Psychologie

La lettre réparatrice

La lettre réparatrice

istockphoto.com Photographe : istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

Psychologie

La lettre réparatrice

Les pires souffrances sont celles du coeur. Et, étrangement, ceux à qui on fait le plus mal sont souvent des gens qu'on aime. Nos mots, nos gestes, nos attitudes peuvent écorcher, abîmer l'autre. Pour longtemps. Parfois toute une vie. Peut-on réparer la blessure que l'on a faite à quelqu'un - même sans l'avoir voulu véritablement? Oui, disent ceux et celles qui ont déjà envoyé une lettre de pardon à une soeur, un ex-amoureux, un père, un fils, une grande amie ou une collègue de travail.

Un soir, en rentrant chez elle, Aurélie, 36 ans, entend un message sur son répondeur. C'est Charlotte, sa grande amie, qui lui dit très froidement que c'est fini entre elles. «Samedi soir, tu n'as pas cessé de tourner autour de mon nouvel amoureux. Tu as tout fait pour le séduire. Et puis, tu me ridiculisais à ses yeux: avais-tu besoin de parler de ma peur des ascenseurs, du noir, de tout? De lui dire, en riant, que j'ai eu un tas d'amants? Que j'écrase les hommes? Ton attitude est inacceptable. N'essaie pas de t'excuser. Ne me rappelle plus jamais.»

Aurélie est bouleversée. «Je n'avais pas voulu lui faire mal. J'étais joyeuse, ce soir-là, spontanée. Je n'avais aucune envie de séduire son ami.» Les mois passent. À la date d'anniversaire de Charlotte, Aurélie se met à penser très fort à elle et à ce fameux samedi. Elle décide alors de lui écrire pour lui demander pardon. «J'ai mis mon orgueil de côté, raconte-t-elle. J'ai dit à Charlotte que je reconnaissais avoir prononcé - involontairement - des paroles blessantes et que je les regrettais sincèrement; que je m'étais comportée en séductrice, sans égard pour ce qu'elle vivait, elle, avec son nouvel amoureux. Je lui ai dit aussi à quel point son amitié m'était précieuse. J'ai été récompensée: nous sommes redevenues amies. Et c'est plus fort que jamais.»«Écrire une lettre réparatrice demande une bonne dose d'humilité, de sincérité et de générosité, souligne Esther Karam-Therrien, thérapeute en relation d'aide. Mais cela en vaut la peine: cette lettre authentique nous libère et, dans la plupart des cas, nous rapproche de cette personne avec qui on souhaite se réconcilier. Il n'y a plus de non-dit. Tout redevient limpide. Ce sont les non-dits qui grugent l'être. N'est-ce pas là une raison suffisante pour passer à l'action?

Quelle délivrance que de pouvoir dire à l'autre, dans un grand soupir de soulagement: "Pardonne-moi". C'est souvent avec des mots que l'on blesse, des mots prononcés de manière impulsive, pour protéger son image, dans l'énervement de l'instant, dans l'échauffement d'une discussion ou la fatigue d'une fin de party ou de fête familiale copieusement arrosée. Parfois les mots dépassent la pensée. Et ils peuvent blesser aussi durement qu'un coup de couteau dans le coeur. Heureusement, ils peuvent aussi servir à panser les blessures.» Et en les employant dans une lettre, on fait preuve de respect pour l'autre: il est libre de réagir, et au moment qui lui convient.

Si les mots blessent, nos attitudes et nos comportements aussi, parfois. Maude, 43 ans, espérait recevoir depuis des années une lettre réparatrice de son père. «Je me disais que si mon père pouvait avoir l'humilité et la sincérité de me dire: "Pardonne-moi la façon dont je me suis comporté durant ton enfance", ma vie en serait transformée et je pourrais tisser un lien avec cet homme avant sa mort, raconte-t-elle. Pendant des années, j'ai attendu. Je ne parlais plus à mon père. J'avais coupé les ponts.»

«Or, il y a quelques mois, j'ai enfin reçu une lettre de lui. Je l'ai lue en tremblant. Quelque chose se recousait en moi à mesure que je la lisais. Elle disait, cette lettre: "Pardonne-moi d'avoir accepté un poste de travail en Californie alors que tu n'avais que sept ans, d'avoir vécu là-bas pendant 20 ans, alors que rien ne m'y forçait. Pardonne-moi de m'être éloigné de toi, te laissant avec ta mère que je ne pouvais plus supporter. J'aimais le soleil et la mer; j'ai eu une belle occasion et je l'ai saisie, sans penser aux terribles conséquences que cette décision allait entraîner chez mes enfants. Je n'ai pas voulu te blesser. Pardon."»

«J'ai revu mon père et nous nous sommes serrés très fort, dit Maude. Je lui ai offert mon pardon. Le passé n'était pas effacé, mais la blessure était cicatrisée. Quelle délivrance! Maintenant, j'apprends à connaître mon père. Je mets les bouchées doubles puisqu'il n'en a plus pour longtemps à vivre.»

Quand les regrets sont sincères, tout se calme, tout se replace. «Bien sûr, il faut beaucoup d'empathie pour se mettre à la place de l'autre et réaliser qu'on lui a fait mal. Il faut aussi beaucoup d'humilité pour avouer ses torts, ne pas se disculper en niant toute responsabilité, en faisant des reproches tout en demandant pardon, observe Esther Karam-Therrien. Vous avez de la colère en vous, vous voulez vous excuser et, en même temps, dire à l'autre qu'il vous a provoqué, jugé, irrité? Alors allez-y: dans un premier temps, écrivez ce que vous avez sur le coeur, ne vous censurez pas, utilisez les mots qui vous viennent, parfois très crus. Libérez la colère.»

«Relisez cette lettre et jetez-la. Puis remettez-vous à écrire. Ce sera la lettre définitive. La lettre réparatrice. Dites à l'autre que vous avez pris conscience du mal que vous lui avez fait. Parlez au «je». Relatez les faits, tels qu'ils se sont produits. Mais ne tournez pas le fer dans la plaie: ne redites pas les paroles blessantes que vous lui avez dites ce jour-là. Faites-lui part de ce que vous ressentiez au moment où les mots sont sortis de votre bouche. Dites-lui aussi que vos mots ont dépassé votre pensée, si c'est le cas. Et puis demandez-lui de vous pardonner. Vous avez envie de suggérer une rencontre? Faites-le. Exprimez-vous clairement dans vos demandes. Ainsi vous pouvez dire à cette personne qu'elle compte beaucoup pour vous - si c'est le cas - et que vous souhaitez voir votre amitié reprendre sur des bases de respect et de délicatesse. Il n'y a pas de modèle de lettre réparatrice, puisqu'il s'agit de laisser parler votre coeur. Mais n'ayez pas d'attente: si cette personne n'est pas encore prête à vous revoir, n'insistez pas.»

«Pardonne-moi, Catherine»
L'homme est assis à sa table de cuisine et écrit à sa fille, qui a aujourd'hui 35 ans. Ses joues sont baignées de larmes tandis que sa main trace les mots qui demandent le pardon. «Chaque fois que je rentrais ivre, tu courais te cacher dans ta chambre et tu attendais. Tu attendais la tempête. Les reproches de ta mère, son désespoir d'avoir épousé un alcoolique, mes cris d'ivrogne, ses cris à elle, mes jurons, mes insultes, et puis des bruits sourds et des plaintes. Je l'avais frappée encore une fois. La porte de la salle de bains claquait ensuite. Je faisais couler l'eau sur mon visage comme pour effacer tout souvenir de mes paroles et de mes gestes. Toi, dans ta chambre, tu pleurais. Pardonne-moi, Catherine. Dernièrement, tu as dit à ta mère que tu es en thérapie. Ton passé te fait trop mal. Je ne bois plus depuis quatre ans. Dans mon inconscience, je croyais que tout était correct, que le passé était enterré. Non, Catherine, ta vie de femme porte encore les blessures de ton enfance. Je te demande pardon du mal que je t'ai fait, ma Catherine. Ma petite chérie. Ton père»

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