Loisirs et culture

Les mauvaises journées

Les mauvaises journées

istockphoto.com Photographe : istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

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Les mauvaises journées

Elles commencent toujours avec le lever du mauvais pied, l'oeil collé, l'oreiller étampé. Au fait, si quelqu'un connaît un truc pour savoir de quel pied il faut se lever, je suis preneuse.

Il n'y a plus de pain, ou de lait, ou de café, ou d'essence dans l'auto - choisissez. Les mauvaises journées, on n'a plus de bobettes, il ne nous reste que des soutifs beiges, on a la jambe lourde et la racine plus que due.

On se change sept fois, ne sachant plus si on se sent fleurie, unie foncé ou unie pâle. En noir de la tête aux pieds. Notre jean préféré est en tapon sous le lit avec les bilous. On fout le bordel dans la chambre, à la recherche d'un habit de camouflage pour passer inaperçue dans la jungle urbaine ou, mieux, en quête d'une tenue qui fera de nous la femme invisible, donc introuvable - ô joie! - pour la journée.

Ne pas faire face à la situation. Vouloir se terrer sous la montagne de vêtements qu'on devra ranger à leur place dans des tiroirs déjà trop pleins, le soir venu. «Rusher» les enfants. Oublier les collations. Sacrer en butant sur des jouets laissés dans le passage, pour se rendre compte que ce sont nos chaussures qu'on a laissé traîner. Ne pas s'excuser aux enfants d'avoir levé le ton pour rien. Pas le temps. Parce que les mauvaises journées, on est forcément en retard.

Les mauvaises journées, on se sent gonflée. On est affublée d'un bouton en plein centre du front, explosion hormonale. Pourquoi faut-il que ce soit LA journée où on doit refaire notre photo de passeport? où on a un meeting important avec LE gars cute du bureau? Les mauvaises journées, on se sent moche, grosse, pas assez ceci, trop cela, la face tombée, le regard cerné. De bleu, de fatigue, de foie qui file pas.

Les mauvaises journées, tout le monde nous tape sur les nerfs. Pas le goût de se faire des nouveaux amis ni de socialiser avec les mamans de la garderie. On donne du coude dans l'autobus. À l'épicerie, on ne laisse pas passer la dame qui n'a pourtant dans son panier qu'un pain et deux oranges - qu'elle attende son tour comme les autres.

On passe tout droit au passage piéton en ignorant les badauds qui poireautent sur le trottoir. Les mauvaises journées, on n'est pas d'équerre, pas d'adon, pas polie. On est bougon, on bardasse, on bourrasse.

C'est là qu'au café, pendant qu'on attend notre latté les yeux dans le flou, arrive quelqu'un avec son aura de bonheur. La tête auréolée d'un halo lumineux qui fleure bon la lessive fraîche séchée au soleil de juillet alors que nous, on a le novembre gris et le cerne à l'année. On pourrait se laisser toucher par ces effluves de bonne humeur alors que volette devant nos yeux cette parfaite silhouette drapée dans une jupette d‘étoffe soyeuse. Mais non. On baboune et on l'envie. On peste et on l'haït. Parce que c'est une mauvaise journée. Parce que le nuage gris nous suit.

Alors, on se fait plaisir. On fait mine de s'enfarger dans ces talons trop hauts qui nous font souffrir de maux de dos et on renverse notre latté sur sa robe jaune soleil. De deux choses l'une, soit cette damnée journée se poursuivra plusieurs jours, vos griffures comme témoins de ce catfight hideux à chaque reflet de miroir, soit elle s'achèvera aussitôt, votre vengeance ayant opéré sans riposte aucune, laissant la «parfaite» en sanglots devant votre oeuvre caféinée. Oui, je sais, c'est pas beau, la vengeance, mais vos parents vous ont bien élevée et vous ont appris à partager. Oui, oui, même les mauvaises journées.

Catherine Trudeau 

 

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