0-5 ans

Le harnais: pour ou contre?

Le harnais: pour ou contre?

  Photographe : Shutterstock

0-5 ans

Le harnais: pour ou contre?

«Un enfant, ce n’est pas un chien.» Voilà la première pensée qui traverse l’esprit de bien des gens en voyant un enfant attaché au bout d’une laisse tenue par son parent.

Et si, pour une raison de sécurité, l’emploi du harnais était justifié?

 

En vacances estivales avec sa famille, Mylène, une psychoéducatrice de 30 ans, a utilisé un harnais pour circonscrire son fils de deux ans à leur terrain de camping, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. «On était occupés à monter la tente, raconte-t-elle, et je voulais qu’il reste autour, surtout qu’il y avait des chutes pas loin. Mon fils est un explorateur... et un fugueur!»

Cette mère et belle-mère de famille avoue se sentir «un peu gênée» de recourir au harnais pour enfant. «Tu te fais regarder quand tu sors ça, lance-t-elle, mais je le fais à bon escient, pour la sécurité de mon garçon dans des moments bien précis. Et je l’utilise comme il faut: c’est sans danger pour lui.»

Elle n’est pas la seule à voir les avantages du harnais, que certains appellent une «laisse» ou une «bride». Certains parents ayant des limites physiques trouvent cela bien pratique, tout comme des parents qui ont plusieurs jeunes enfants. «Pour aller faire des courses au centre commercial, j’étais contente d’employer le harnais pour ma fille de trois ans, raconte Maélie, une Montréalaise de 35 ans. J’étais alors enceinte jusqu’aux oreilles et je poussais mon bébé d’un an dans son landau.»

D’autres parents choisissent le harnais parce que le tempérament de leur tout-petit est imprévisible et les consignes, même répétées ad nauseam, ne sont pas respectées. «Mon aîné a un trouble du spectre de l’autisme», dit Alain, père de trois garçons de deux, cinq et sept ans. «Quand il était plus jeune, on n’avait pas encore de diagnostic, mais on voyait bien que la poussette ou le porte-bébé, ça ne fonctionnait pas. Et lui tenir la main, c’était impossible. Il pouvait partir en courant, à tout moment, dans n’importe quelle direction. Traverser un stationnement, c’était l’enfer!»

L’hypersensibilité sensorielle peut aussi jouer dans la décision d’utiliser un harnais, tout comme certains traits de personnalité... la curiosité, par exemple. «Arthur est un explorateur», affirme Guylaine, mère de trois enfants, en parlant de son benjamin de deux ans. «Et comme il est plutôt agité et casse-cou, il faut le surveiller sans arrêt. Le harnais est très pratique lorsque mon fils est tanné d’être dans la poussette ou dans le chariot d’un magasin à grande surface. Il peut marcher, il gagne en autonomie. Il aime ça!»

Et Guylaine se fout éperdument des regards que cela suscite. «Moi, je sais que le fait d’avoir le harnais au fond de mon sac me sécurise, nous confie la femme de 44 ans. Je vois cela comme un outil, comme une option de plus.»

 

Question de perception

La psychoéducatrice Stéphanie Deslauriers ne démonise pas le harnais, au contraire. «Ce n’est pas vrai que c’est mauvais, dit-elle. Je crois qu’il y a des situations dans lesquelles il peut être nécessaire. On ne sait pas ce que le parent a essayé comme moyen ou comme stratégie avant de prendre le harnais pour sortir en public! Peut-être est-ce son dernier recours pour sortir de la maison.»

Elle soulève un paradoxe: une majorité de gens ne sourcilleront pas en voyant une éducatrice de la petite enfance se balader avec un grand harnais auquel sont attachés quelques bouts de chou... mais le parent en solo, lui, aura droit au jugement et aux reproches.

Maélie croit même que cela a à voir avec la conception qu’on se fait (encore) d’un parent, d’une mère en particulier. «J’ai l’impression que la société trouve cute qu’une mère coure après son enfant tannant. Ça veut dire qu’elle est à son affaire, qu’elle impose de la discipline et qu’elle prend ses responsabilités, note-t-elle. Mais une mère qui utilise un harnais, c’est un peu un relâchement. On la juge incompétente, un peu paresseuse ou même égoïste. Sa priorité, c’est son enfant... qu’elle s’en occupe!»

Créé dans les années 1930, le harnais pour enfant n’était pas un sujet de discussion jusque dans les années 1980. C’est à cette époque que plusieurs experts de la petite enfance, comme le fameux pédiatre Benjamin Spock, ont commencé à parler des différents stades de développement de l’enfant et à mettre l’accent sur l’importance de suivre le rythme des tout-petits. L’approche parentale intuitive est à la mode. Tout à coup, collectivement, le harnais pour enfant n’est plus acceptable. Est-ce pour redorer son image que le produit s’est ensuite transformé, dans les années 1990, en harnais-jouet, l’objet étant caché dans une peluche? C’est plus joli, plus discret, plus tolérable...

 

harnais

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Les experts se font discrets

Aucune étude scientifique sérieuse ne s’est penchée sur l’emploi du harnais pour enfant. Et aujourd’hui, peu de spécialistes souhaitent livrer leur opinion sur le sujet. Le harnais divise... parce que son utilisation englobe une multitude de facettes: la sécurité, le bien-être, la santé physique et mentale, la philosophie parentale et les valeurs de la famille.

Pour la Dre Josée Anne Gagnon, pédiatre au Centre mère-enfant Soleil de Québec, tout est une question de «gros bon sens». «À une certaine époque, les gens accrochaient le harnais pour enfant à la corde à linge, rappelle-t-elle. Ce temps est révolu! Je crois qu’aujourd’hui cette option est envisageable pour des raisons de sécurité, si l’enfant est impulsif, par exemple.»

Son avis est nuancé: elle n’est ni pour ni contre, souligne-t-elle, mais trouve important de ne pas juger les parents qui choisissent de l’utiliser. «Certains enfants ont des besoins particuliers, d’autres sont aventureux, turbulents, imprévisibles. Ils peuvent se retrouver à des endroits auxquels personne n’aurait pensé.» Elle ajoute que le passé de la famille peut également jouer: «La famille peut avoir vécu certaines expériences plus ou moins marquantes. Y a-t-il déjà eu des incidents malheureux?»

Selon la Dre Gagnon, deux points sont importants à considérer dans l’utilisation du harnais: la façon dont il est placé sur l’enfant, pour ne pas trop le serrer ni l’étouffer, et son caractère «d’exception». «On doit l’employer de la bonne façon, dit-elle, il doit être bien placé sur le torse. Il ne faut pas qu’il soit trop sanglé et on ne doit pas trop tirer dessus, l’utiliser avec agressivité ou comme une punition. Bref, il ne faut pas banaliser son emploi et ne pas en abuser non plus.»

Elle trouverait «anormal», par exemple, qu’une famille doive y avoir recours systématiquement pour sortir de la maison. «Le parent doit se faire confiance, avance-t-elle. Le harnais ne doit pas servir à renforcer le comportement hypercontrôlant ou surprotecteur d’un parent. Il ne faut pas restreindre notre enfant ou lui nuire dans son développement.»

 

Habiletés motrices

Pour Félix Berrigan, professeur à la Faculté des sciences de l’activité physique de l’Université de Sherbrooke, on est «déjà» dans la surprotection lorsqu’on évoque le harnais pour enfant. «Oui, j’ai des réserves, annonce-t-il. Avec un harnais, l’enfant ne développe pas son autonomie, sa prise de risque de façon calculée. Il est contraint. Or les habiletés motrices font partie des apprentissages importants de la petite enfance, et cela passe entre autres par l’exploration.»

Selon lui, la question à se poser est: «Quel est le besoin derrière l’utilisation du harnais? Est-ce que cela vient d’un besoin de l’enfant... ou du parent?»

Maélie, mère de trois enfants aujourd’hui âgés de cinq ans, trois ans et un an, n’a pas l’intention de mettre de côté le harnais. Elle ne le condamne pas et n’en fait pas l’apologie non plus. «Avant d’avoir des enfants, j’avoue que je trouvais cela ridicule, et même troublant, de voir une mère avec son enfant au bout d’une laisse, indique-t-elle. Maintenant, cette mère, c’est moi.» 

 

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