Psychologie

Relation mère-fille: avez-vous coupé le cordon?

Relation mère-fille: avez-vous coupé le cordon?

Auteur : Coup de Pouce

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Relation mère-fille: avez-vous coupé le cordon?

Plus jeune, Catherine démontrait clairement un talent pour les arts. Sa mère, elle, trouvait plutôt qu'elle ferait un excellent professeur. «Devinez quoi: je me suis inscrite au bac en enseignement à l'université, soupire-t-elle. Je me disais: "Et si elle avait raison?"» Peine perdue, après deux années passées dans l'enseignement, Catherine se réoriente et s'inscrit dans une école de cinéma. «Ma mère l'a trouvée difficile à avaler. On a eu quelques échanges musclés. Mais, quand j'ai commencé à avoir du succès, elle s'est rétractée et s'est dite fière de moi.»

«Être fille de sa mère, c'est un dépassement de soi pour aller vers l'Autre; être mère de sa fille, c'est une réalisation de soi à travers l'Autre. Reste encore à trouver le point d'ancrage entre les deux», avance la psychanalyste Sandrine Dury dans son livre Filles de nos mères, mères de nos filles... Or, si la relation mère-fille est si complexe, c'est que cette zone de confort n'est pas facile à repérer. Lorsqu'on y parvient - autrement dit, quand on réussit à couper le cordon et à développer une relation saine avec notre mère -, on devient une femme confiante, autonome, affranchie de l'autorité maternelle et on cesse d'entretenir des attentes ou une dépendance affective envers elle. Mais la chose ne va pas toujours de soi...
 

«Comme maman!»

Dès la naissance, la relation mère-fille évolue en montagnes russes. Bébé, la fillette vit en fusion avec sa mère. Puis, son père devient son grand amour. Mais, vers 5 ans, Pitchounette comprend qu'elle devra abandonner ses projets de mariage avec Papa et retourne alors son regard vers Maman, qu'elle considère comme un modèle. «Plus grande, je ferai comme ma mère!»

Quelle ne sera pas la surprise de cette dernière quand, à l'adolescence, sa fille rejettera en bloc tout ce qu'elle lui a inculqué. «L'ado ressent un besoin de se détacher du milieu familial et de s'identifier davantage au groupe des pairs, explique Catherine Cloutier, docteure en psychologie. S'ensuivra probablement une opposition à la mère dans le but de trouver sa propre voie, son individualité, afin de devenir une adulte autonome. Elle se sépare psychologiquement de sa mère, coupe le cordon.»

Cette évolution se déroule de manière plus ou moins harmonieuse selon le lien qui unit la fille à sa mère. «Ce processus est naturel à partir du moment où la relation mère-fille est stable et sécurisante, grâce notamment à l'affection donnée par la mère à sa fille tout au long de sa vie, explique la psychiatre et psychanalyste Marie Lion-Julin. Si, par contre, la fille a le sentiment qu'en gagnant en autonomie elle risque de perdre l'amour maternel, elle pourrait privilégier le lien à la mère. Ainsi, plus ce dernier est fragile, plus l'enfant s'y accroche à défaut d'avoir intégré le sentiment de sécurité qui lui permet de risquer le peu qu'elle a.»

C'est là que les problèmes peuvent commencer. Car renoncer à une part de son autonomie pour conserver le cordon nous liant à notre mère n'est pas sans conséquence. «Une femme qui a l'habitude de répondre aux attentes de ses parents peut se couper progressivement de ses propres expériences et ne plus savoir ce qu'elle aime ou pas, dit Catherine Cloutier. Par exemple, elle fréquente des gens que sa mère aime bien, mais qui ne rejoignent pas ses valeurs à elle. Elle ressent alors un décalage, ce qui crée de la détresse émotive.» C'est sans compter les interférences que l'aura de maman pourra occasionner dans notre vie professionnelle et dans notre couple (la belle-mère trop présente au goût du conjoint, ça vous dit quelque chose?).

Trouver l'équilibre

Peu importe notre âge, nous resterons toujours la fille de notre mère. Savoir qu'elle est fière de nous revêtira toujours une importance à nos yeux. Alors, où se situe la ligne entre le sentiment de valorisation que nous procurent ses compliments et la soumission - souvent inconsciente - au jugement maternel?

Cette zone de compromis est difficile à trouver, surtout depuis la mode des mères-copines. «Pendant une bonne partie de ma vingtaine, ma mère et moi étions les meilleures amies du monde, se souvient Sylvie, 35 ans. Je lui confiais tout et nous faisions une foule d'activités ensemble. Puis, j'ai été mutée dans une autre ville pour mon travail. Mes nouvelles amies m'invitaient à me joindre à leurs activités, mais je n'y voyais pas d'intérêt. C'était pourtant des hobbies que j'adorais pratiquer avec ma mère. Petit à petit, j'ai réalisé que sans elle, je n'étais pas portée vers les mêmes choses. Ce fut un choc; je ne savais plus ce que j'aimais. J'ai compris que je m'étais un peu laissé porter durant toutes ces années. L'important était d'être en sa compagnie, que je trouvais agréable et rassurante.»

Pour Valérie, ce fut tout le contraire. «Je n'ai jamais été proche de ma mère, on se disputait souvent. À 17 ans, j'ai profité de l'entrée au cégep pour aller étudier loin-loin-loin, à Rimouski. Dix ans plus tard, elle et moi n'avons toujours que peu de contacts. J'ai cru être enfin "débarrassée" de ma mère, mais non. Je me suis rendu compte que j'agissais souvent en réaction à ce qu'elle penserait si elle me voyait. Ça m'a pris du temps pour comprendre que, même éloignée, elle restait toujours présente, car j'avais intériorisé ses jugements.»

Comment savoir si notre relation avec notre mère est saine ou non? Marie Lion-Julin suggère de débuter par une bonne introspection: «Ai-je l'impression d'être complètement libre d'être moi-même avec ma mère? Est-ce que je peux parler à ma mère d'adulte à adulte? Puis-je lui dire ce que je pense franchement, sans crainte, comme à une amie? Est-ce que ma vie me plaît? Est-ce que je sais qui je suis? Est-ce que je me sens indépendante? Suis-je à l'aise dans mon couple? Et en tant que mère? Si je réponds oui à tout cela, rien ne sert de chercher midi à quatorze heures. Tout va bien!» Si on a du mal à répondre, le regard plus objectif de notre conjoint et de nos amis peut nous aider à y voir plus clair.

Si nos réponses comportent plus de non que de oui, il y a peut-être lieu d'amorcer un travail sur soi. «Les liens créés avec nos parents durant l'enfance laissent des traces dans l'inconscient et ce dernier ne se débarrasse pas comme ça de telles empreintes, poursuit Marie Lion-Julin. On est faits de ce que nos parents sont et ont été avec nous. S'ils ont été bienveillants, on est forcément mieux fabriqués. S'ils ne l'ont pas été, mieux vaut réfléchir à ce qu'ils nous ont inculqué et départager ce qu'on veut garder de ce qu'ils nous ont légué.»

Puis, il faut comprendre et accepter ses failles afin de pouvoir s'en guérir, car «s'accrocher à l'illusion qu'un jour notre mère nous offrira ce qu'elle ne nous pas donné petite maintient et nourrit ce lien très fort mais carencé que l'on a avec sa maman», dit la psychiatre.

Pas parfaite, notre mère

L'emprise de notre mère sera d'autant plus difficile à défaire si on a d'elle une image idéalisée. S'il est difficile de critiquer celle qui nous a mise au monde et nous a donné une partie de sa vie, il reste tout de même que notre mère, comme tout le monde, est un être imparfait qui a commis son lot d'erreurs. «Ça m'a pris une dépression et une thérapie pour le comprendre, regrette Julie. Ma mère a toujours été aimante, dévouée, généreuse, grande travailleuse, énergique... Une surfemme, à mes yeux du moins. Je crois qu'inconsciemment il me fallait être comme elle. Mais un jour, je suis arrivée au bout de mes forces et j'ai craqué. Mon psychologue s'est employé à me faire la faire descendre de son piédestal. Je l'ai alors vue différemment.»

Devenue mère, Louise, elle, a changé sa lorgnette de côté. «En héritant soudainement du double rôle, j'ai compris que ce n'est pas parce qu'on devient mère qu'on n'est plus femme. Ça m'a aidée à découvrir la femme derrière ma mère, à voir ses défauts et à réaliser que ses jugements ne sont pas parole d'évangile. Depuis, quand elle me fait des reproches, j'en prends et j'en laisse.»

Connaître l'histoire de notre mère peut aussi nous aider à comprendre certains des gestes qu'elle a posés à notre endroit. «Que sa façon d'agir avec nous ait été dictée par les circonstances ou par une histoire familiale malheureuse, il faut nettoyer ça, car la haine est destructrice et peut nous empêcher d'avancer dans notre vie, soutient Véronique Moraldi, auteure de La Fille de sa mère - De la difficulté des rapports mère-fille. Les accusations et la colère nous gardent captive de cette fusion infantile. Il faut tenter de prendre sa mère pour ce qu'elle est et comprendre son cheminement.»

À l'assaut de notre indépendance!

Ça y est: on est résolue à se distancier de notre mère, à cesser de la consulter pour un oui ou un non et à faire ce que bon nous semble, quand bon nous semble... Mais comment composer avec ses dix coups de téléphone par jour, ses visites à l'improviste et ses sempiternelles insinuations sur notre workaholisme et le désordre de notre maison?

«On doit d'abord chercher à isoler les mots que dit souvent notre mère ou les gestes qu'elle pose qui nous exaspèrent, suggère Patricia Delahaie. Une fois qu'on a réussi à les identifier, il faut lui demander, gentiment mais fermement, de cesser ces pratiques. «Cette phrase-là me fait du mal. Pourrais-tu arrêter de me la dire?» Puis, on attend de voir ce qui se passera. Ou bien notre mère n'avait pas réalisé la portée de ses gestes ou de ses paroles et arrête, ou bien elle continue.»

Pour qu'on puisse couper le cordon, notre mère doit accepter de nous laisser partir. Pas toujours simple! «Il y a parfois beaucoup de pression pour que la fille rentre dans le rang, et ce, à n'importe quel âge, car dans son vécu psychologique, la mère considère toujours sa fille comme son enfant. Même si son «bébé» a maintenant 40 ans et a accompli beaucoup de choses, elle sera replongée dans le rôle de la jeune fille chaque fois qu'elle ira souper à la maison», explique Catherine Cloutier.

«Au début de la vingtaine, je voulais être amie avec ma mère, se souvient Marie. Mais elle ne cessait de se comporter en mère et ça me tombait sur les nerfs. J'ai fini par comprendre qu'elle était inquiète pour moi et mes choix de vie, elle qui affectionne la stabilité. J'ai dû prendre mes distances pendant un certain temps. Aujourd'hui, nous avons une bonne relation. Elle a cessé de me demander si je mangeais bien et moi, depuis que j'ai un enfant, je comprends mieux le type d'amour qu'elle me porte».

Que faire si notre mère s'accroche? Marie-Claude Lamarche déconseille fortement de lui piquer une colère: «Elle en déduira qu'on est hystérique! Et puis, la colère n'est pas très constructive. Une conversation d'adultes s'impose. On peut l'inviter à bruncher et amener le sujet pour tenter de la sensibiliser au fait qu'on est une adulte et qu'on apprécierait qu'elle nous traite comme telle. Il est illusoire de croire qu'elle changera du tout au tout, mais l'important est qu'elle entende le message. Qui sait si ça peut aider mère et fille à se comprendre un peu et à ajuster leur relation? Chose certaine, ça procure un très grand soulagement.»

Véronique Moraldi conseille de garder la tête froide: notre mère reste une adulte responsable de ses actes. «La mère doit aussi faire un travail sur elle et ne pas chercher à satisfaire ses besoins affectifs uniquement auprès de sa fille. Quant à la fille, elle ne doit pas croire une mère qui dit avoir fait des sacrifices pour elle. Elle a simplement fait son travail. Lorsqu'on est parent, on ne vit pas comme si on était célibataire, il y a des obligations.»

«Une mère qui nous aime pour nous et pour que nous nous épanouissions ne prend pas soin de nous de sorte qu'on finisse par en souffrir, insiste Patricia Delahaie. Couver n'est pas aimer. Il y a une manière d'aimer qui est très porteuse et épanouissante. Il y a des amours qui étouffent, d'autres qui rapetissent, et certains qui enferment. Ce n'est pas parce qu'une mère nous aime qu'elle nous aime bien. Là est la nuance. Parfois, il faut aider nos mères à mieux nous aimer.» Si rien ne change et que la nôtre continue à entraver notre envol, toutes sont unanimes: il est peut-être préférable de prendre nos distances un certain temps.

Que le processus de prise d'indépendance se passe bien ou difficilement, il est possible qu'on soit triste de nous distancier de maman. On doit alors se rappeler que le but n'est pas de la rejeter, mais plutôt d'établir une nouvelle relation. «Couper le cordon, ce n'est pas s'éloigner, conclut Marie Lion-Julin. C'est opérer un éloignement infantile pour obtenir un rapprochement adulte, une relation dans laquelle chacune est libre d'être comme elle en a envie.»

Mon cordon, j'y tiens!

Parfois, c'est la fille qui s'accroche au lien tissé serré avec sa mère. «Vous avez des femmes qui ne veulent pas voir le cordon qui les attache parce qu'elles sont bien, rassurées, souligne Sandrine Dury. Elles préfèrent rester la petite fille de leur mère plutôt que d'affronter la vie de femme avec tout ce qu'elle implique par rapport aux autres.» Et c'est bien dommage, croit Marie Lion-Julin, car «est-on vraiment libre si on n'est pas séparée de sa mère»?

Quand maman vieillit

Maman vieillit et notre désir d'indépendance se met à valser avec la culpabilité. Surtout quand notre mère - celle qui «a tout fait pour nous», nous rappelle-t-elle - nous réclame plus de temps, d'attention, de soins. N'est-il pas normal de lui rendre la pareille? «Il peut certainement y avoir des périodes où on se rend disponible pour sa mère, mais certainement pas 24 heures sur 24, tranche Patricia Delahaie, sociologue et auteure de Être la fille de sa mère et ne plus en souffrir. Une fille n'a pas à tourner sa vie vers sa mère. Elle doit plutôt se tourner vers ses enfants. C'est ça, le mouvement de la vie; on leur donne sans compter».

Pour poursuivre la réflexion

  • Être la fille de sa mère et ne plus en souffrir, par Patricia Delahaie, Marabout, 2011, 288 p., 10,95$.
  • Filles de nos mères, mères de nos filles..., par Sandrine Dury, Groupe Eyrolles, 2010, 126 p., 32,95$.
  • La Fille de sa mère - De la difficulté des rapports mère-fille, par Véronique Moraldi, Les Éditions de l'Homme, 2006, 336 p., 27,95$.
  • Mères: libérez vos filles, par Marie Lion-Julin, Odile Jacob, 2008, 272 p., 13,95$.

 

 

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