Psychologie

Êtes-vous accro aux médias sociaux?

Êtes-vous accro aux médias sociaux?

IStock Photographe : IStock Auteur : Coup de Pouce

Psychologie

Êtes-vous accro aux médias sociaux?

«Je commence toutes mes journées en parcourant mon fil d'actualités Facebook, avoue France, 39 ans. J'y passe environ 2 heures par jour. Comme je vis à l'étranger, c'est ma façon de rester connectée aux gens que j'aime et qui sont loin. Je peux ainsi voir grandir mes neveux et nièces, accompagner mes amies dans ce qu'elles vivent et suivre l'actualité québécoise. En plus, comme je suis maintenant mère au foyer, je n'ai plus de reconnaissance professionnelle, et mon chum est peu porté sur les compliments. Les encouragements et félicitations que me prodiguent mes amis Facebook sur mes photos ou mes projets personnels me font du bien. J'en ai besoin.»

Même chose pour Karine, qui amène Facebook jusque dans son lit. «Je dors avec mon iPhone sur ma table de chevet, admet la productrice de 35 ans. Et le matin, au réveil, après avoir embrassé mon chum, je me branche tout de suite sur Facebook et Twitter et je fais un premier tour d'horizon bien au chaud sous les couvertures, dit-elle en riant. Je me déculpabilise en me disant que c'est un peu comme lire le journal. Lorsque je travaille de la maison, je consulte mon Twitter et mon Facebook entre 40 et 50 fois durant la journée. Idem dans les transports en commun et devant la télé. Les deux tiers des choses que je lis m'inspirent, me connectent et nourrissent mon travail.»

 

Facebook, Twitter, LinkedIn, Youtube... Les médias sociaux sont solidement implantés dans nos vies. Près de 60 % des Québécois sont inscrits à au moins un média social qu'ils consultent au moins une fois par mois. La plupart des internautes québécois les fréquentent toutefois sur une base quotidienne ou hebdomadaire, que ce soit pour consulter du contenu (60,2 %), pour interagir (44,1 %), pour entretenir un profil (41,3 %), pour relayer de l'information (26,8 %) ou pour créer du contenu (23,2 %). Si on compte le même nombre d'utilisateurs que d'utilisatrices sur ces sites, ces dernières y passent toutefois plus de temps (6,3 heures par semaine, contre 5,5); 14 % des internautes québécoises y consacrent même plus de 10 heures par semaine.

 


Les pièges du virtuel

Comment savoir si on franchit la limite du raisonnable? «En soi, le fait d'utiliser les médias sociaux n'est pas problématique, mentionne Marie-Anne Sergerie, psychologue spécialisée dans les questions de cyberdépendance. Ce qui l'est, c'est lorsqu'ils prennent toute la place et deviennent la seule activité ou notre unique source de contact avec les autres. Certains les utilisent à une fréquence élevée sans que ça présente un problème, parce qu'ils continuent de vaquer adéquatement aux autres activités de leur vie réelle. Tout est question d'équilibre.»

Cela dit, il n'est pas toujours facile de trouver, ou de maintenir, cet équilibre. Surtout que, selon des chercheurs de Harvard, l'univers Facebook offrirait autant de gratification immédiate à notre cerveau que la nourriture et le sexe. De quoi faire pencher la balance de ce côté, ce qui ne se fait pas sans heurt.

C'est ainsi que bien des relations de couples sont mises au défi. C'est le cas de France, qui a déjà essuyé les foudres de son conjoint. «C'était mon anniversaire et nous rentrions d'une très belle soirée en amoureux au resto. J'ai voulu aller fermer l'ordinateur avant de rejoindre mon chum dans la chambre, mais je me suis pris les pieds dans Facebook. J'ai commencé à lire tous les souhaits que j'avais reçus et à y répondre. Lorsque je suis redescendue un bon moment plus tard, mon chum avait déménagé ses pénates dans la chambre d'invités. «Tu vis dans un monde virtuel, j'en ai assez d'attendre!» m'a-t-il dit, en colère.

 

Si le couple en prend pour son rhume, c'est parfois aussi dur pour le moral. «Ça use, d'être sans cesse confrontée à des opinions qui sont aux antipodes des tiennes, qui te bouleversent, qui te mettent en colère, confie Karine. Ces temps-ci, j'en vois tellement que j'ai l'impression d'être surstimulée de choses qui me frustrent. Pourtant, je suis incapable de ne pas aller sur Facebook, car j'ai peur de manquer des choses intéressantes. Mais ça peut devenir très lourd et occasionner de la fatigue mentale.»

Ou un sérieux coup de blues! Deux sociologues de l'université Utah Valley ont montré que les étudiants qui passaient le plus de temps sur Facebook avaient une évaluation négative de leur bonheur. Serait-ce de voir que tous nos «amis» semblent mener des existences exaltantes, photos de voyages et déclarations de succès à l'appui, pendant que nous, on patauge dans les difficultés? Ça se pourrait: une autre étude, de l'université Stanford celle-là, révélait justement que, dans 40 % des cas, les utilisateurs de Facebook préféraient garder leurs expériences négatives à l'abri des regards! On tend donc à se comparer avec des réalités enjolivées.

Finalement, Facebook et Twitter sont pour plusieurs les plus grands outils de procrastination qui soient. «Je ne suis jamais autant présente sur les médias sociaux que lorsque j'ai un dossier important à remettre, confie Audrey, 35 ans. Je me dis que ce n'est pas du temps perdu, que j'intercepte du contenu intéressant et potentiellement utile pour mon travail, et blablabla... Mais je sais bien que je me raconte des histoires et qu'au fond, c'est de la procrastination, tout ça. Résultat: mon travail n'est jamais aussi bien fait que j'aimerais qu'il soit, et ça fait plusieurs fois que je vois des promotions me passer sous le nez. Je suis rarement fière de moi et je trouve cela souffrant.» Audrey n'est pas la seule. Selon Piers Steel, professeur de psychologie et de sciences comportementales à l'Université de Calgary, les nouvelles technologies et l'accès facile aux médias sociaux font de 25 % des gens des procrastinateurs chroniques. En 1970, ces derniers ne représentaient que 4 % des individus.

 

Ai-je un problème, docteur?

Une utilisation saine ou malsaine des médias sociaux ne se calcule pas au nombre de visites quotidiennes qu'on y effectue. Pour le savoir, «il faut identifier les pensées et les émotions ressenties lorsqu'on se branche, répond Marie-Anne Sergerie. Est-ce que j'y vais parce que je souffre de solitude et que je me sens moins seule lorsque je peux interagir? Est-ce que je twitte parce que ça me permet de repousser mes tâches? Ce sont les questions à se poser afin de découvrir si on y va pour combler un manque.»

Sur son site Cyberdépendance.ca, la psychologue a mis en ligne une fiche d'autoévaluation qui permet de noter nos observations: «On peut commencer par remarquer à quel moment on tend à se connecter, le temps qu'on passe en ligne ainsi que - et c'est important - les pensées et les émotions qui nous accompagnent durant ce comportement. Bref, comment je me sens avant, pendant et après. Et qu'est-ce que je me dis dans ma tête? Est-ce que je me sens plus heureuse? Est-ce que je deviens stressée parce que j'ai pris du retard dans mes tâches? Cela permet d'identifier, entre autres, si on utilise les médias sociaux comme fuite, comme moyen d'éviter de faire des choses qui ne nous plaisent pas.»

On répète ensuite l'exercice, cette fois en se débranchant de Twitter, Facebook et compagnie. «Quelles sont les pensées et les émotions qui surgissent? poursuit Marie-Anne Sergerie. Est-ce que je me sens contrariée? déprimée? impatiente? Est-ce que j'ai hâte de retourner sur Facebook? Est-ce que j'ai peur de manquer quelque chose? Se questionner en l'absence du comportement nous amène à voir autre chose. Il faut donc se mettre au défi pour voir comment on réagit. Une journée d'abstinence peut être suffisante pour cerner notre rapport aux médias sociaux.»

Une fois qu'on a identifié ce qui nous conduit systématiquement à ces sites, il nous reste à trouver un moyen plus constructif de répondre à ce besoin. «Si je m'aperçois que je fréquente les médias sociaux pour m'aider à gérer mon stress, par exemple, peut-être pourrais-je envisager de faire du sport ou du yoga à la place, illustre Mme Sergerie. Si Facebook me permet de m'évader de mes problèmes de couple, peut-être serait-il préférable de trouver une façon d'en discuter.»

C'est ce que France et son conjoint ont fait. «On a trouvé un terrain d'entente. Mon chum m'a demandé de revoir mon organisation du temps. Maintenant, je vais sur Facebook le matin ou l'après-midi. Le soir, on s'adonne ensemble à des activités qui nous plaisent. J'avoue que, lorsqu'on loue un film qui n'est pas du tout mon style, je ronge un peu mon frein en pensant que je serais bien mieux sur Facebook. Mais je me dis qu'au moins je passe du temps avec mon chum.»

Karine, elle, a choisi de donner plus fréquemment des pauses à son cerveau. «Lorsque je pars en vacances, je choisis souvent des destinations où il n'y a pas d'accès Internet. Et j'ai aussi convenu avec mon chum de ne pas laisser mon iPhone sur la table du salon, question d'éviter de m'en emparer à tout moment. Je n'ai pas encore tout à fait réussi, mais j'y travaille.»

 

Ça ne change pas le monde, sauf que...

Nos vies se déroulent de plus en plus sous le signe du virtuel. Problèmes à l'horizon? Dur à dire. Si on compte de plus en plus de recherches sur le sujet, le phénomène est trop récent pour qu'on puisse en tirer de réelles conclusions. Prudence, invoquent les experts. «Ça ne veut pas dire que les études publiées à ce jour ne sont pas fiables, nuance Paul Samuel Greenman, professeur de psychologie à l'Université du Québec en Outaouais. Certains travaux suggèrent des liens entre les médias sociaux et certains comportements, pensées ou émotions, mais on n'a pas encore de réponse définitive.»

Selon certains chercheurs, les nouvelles technologies donnent lieu à des comportements qu'on ne verrait pas dans la «vraie» vie. Dans son livre iDisorder, le psychologue américain Larry Rosen évoque la perte d'inhibitions. Seuls devant leur écran, souvent réfugiés dans l'anonymat, les internautes se permettent des actes (virtuels, s'entend) ou des paroles qu'ils n'oseraient pas dans une situation réelle. De plus, la facilité d'accès et le côté rassurant de ces plateformes (on est entre amis, non?) invitent aux déclarations impulsives dont on oublie qu'elles s'effectuent au regard de tous.

«Lorsque nous nous sommes séparés, mon chum, un maniaque de Facebook, n'a pas attendu ni une ni deux pour modifier son profil et inscrire qu'il était maintenant célibataire. Je n'avais pas encore eu le temps de digérer la nouvelle et encore moins d'en informer mes amis. Résultat: j'ai reçu plus de 100 courriels et textos affolés dans la journée suivant son annonce», se rappelle amèrement Barbara. Susanne, elle, a été congédiée après que son employeur eut découvert qu'elle avait twitté sa colère à l'endroit d'une entreprise de télécommunication. Malchance: la compagnie en question était un gros client de la firme de Susanne.

Selon d'autres études, les comportements virtuels des usagers des médias sociaux ne font que refléter leur façon d'interagir dans la réalité: ainsi, les personnes qui ont le plus d'amis Facebook sont aussi celles qui entretiennent de nombreuses amitiés dans la vraie vie. Ou encore, si une personne est en constante représentation en ligne, il y a de fortes chances qu'elle le soit aussi au quotidien. «À mon sens, Facebook est l'équivalent moderne de ce que nos arrièregrands- parents faisaient le dimanche aprèsmidi, soit jaser et se raconter des histoires, croit Stéphane Dandeneau, professeur en psychologie à l'UQAM, spécialisé dans les questions de relations interpersonnelles. Notre besoin de relations interpersonnelles est resté le même, ce sont ses modalités qui ont changé.»

 

La virtualisation de nos relations nous confine-t-elle à un isolement accru? Pas nécessairement. Selon une étude menée en 2009 par des chercheurs de l'Université de Pennsylvanie en collaboration avec le centre de recherche Pew Internet, l'étendue de l'isolement social - soit la proportion d'Américains n'ayant personne à qui parler (6 %) ou à qui se confier (12 %) - n'aurait pas changé depuis 1985. Si la taille et la diversité de nos cercles d'amis ont légèrement diminué depuis 25 ans (les Américains seraient passés de 3 à 2 confidents), cela ne s'appliquerait pas aux utilisateurs des nouvelles technologies, qui, hors de la toile, cultivent 12 % plus d'amitiés que les non-utilisateurs.

 

«J'ai passé une semaine sans Facebook»

«Je suis une utilisatrice modérée de Facebook et de Twitter, raconte Julie Roy, responsable des sections Mieux-Vivre et Santé et vitalité de Coup de pouce. Je m'en sers beaucoup pour surveiller les courants, le type de discussions qui s'y passent et aussi pour voir où en sont mes amis. Je poste très peu, la plupart du temps pour remercier une copine ou pour relayer une information que je trouve pertinente.

«Et pourtant, il ne m'aura fallu que 24 heures pour flancher! Je me suis rendu compte que, dès que j'avais une minute, au travail ou à la maison, j'accourais sur le site pour voir qui faisait quoi. Facebook était devenu pour moi une sorte de fil de presse qui me tenait au fait de l'activité de mes amies, de celle de mes blogueuses et de mes sites préférés, au point où j'en avais fait la page d'accueil de mon fureteur.

«J'ai commencé par changer ma page d'accueil, puis, au fil de la semaine, j'ai réduit considérablement mes visites, précédant chacune d'elles de la fatidique question "Est-ce bien nécessaire?" Au final, merveille, j'ai gagné beaucoup de temps, que j'ai pu consacrer à lire, à me reposer et à regarder mon chum dans les yeux. Bref, je me porte mieux. A posteriori, je comprends que Facebook était devenu un automatisme, un bol de bonbons sur mon bureau vers lequel je tendais le bras par réflexe.»

 

 

À LIRE: Réseaux sociaux: comment s'en servir à bon escient

 

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