Psychologie
Êtes-vous accro à la dépense?
Psychologie
Êtes-vous accro à la dépense?
«Tout dépend du besoin qu'on cherche à combler, répond Camillo Zacchia, psychologue-chef à l'Institut Douglas. On peut magasiner parce qu'on a réellement besoin de quelque chose, parce que cela nous détend, parce que cela nous procure un high ou, par exemple, parce qu'on cherche à se valoriser en portant des vêtements neufs ou griffés...
Ça ne pose pas de problème tant que ça ne nuit pas aux priorités de notre vie. De plus, on est tellement bombardés de messages qui nous poussent à croire que le bonheur passe par la consommation que contrôler nos impulsions tient du défi. Cela dit, il est vrai que la ligne entre la passion et l'obsession est parfois mince. Si on succombe trop souvent à ces gratifications instantanées, on risque d'avoir des problèmes à long terme.» Spécialiste du traitement du jeu et de l'achat compulsif, le psychologue Claude Boutin précise: «Pour qu'on puisse parler d'un trouble de l'impulsion lié aux achats, il faut qu'il y ait des pertes de contrôle répétées. On n'est plus en contrôle quand on dépense plus, plus longtemps et plus souvent qu'on peut se le permettre et que cela nous cause de la détresse.
Autrement dit, la grande majorité des problèmes d'endettement ne sont pas d'ordre psychologique, et tout le monde peut vivre à l'occasion un épisode d'achats impulsifs comme à Noël, sans être accro. On l'est si on continue à dépenser même si on sait qu'on a fait des excès. Les gens accros ne peuvent tout simplement pas s'empêcher d'acheter.»
On est sur une pente glissante lorsqu'on dépense pour remplacer un sentiment négatif par un sentiment positif ou lorsqu'on développe une attitude rigide face au shopping (devoir faire nos courses à date et heure fixes, par exemple). Idem si on attribue une valeur symbolique aux objets, comme de croire que porter tel vêtement de telle marque fera en sorte qu'on sera mieux acceptée au sein d'un groupe. «Par nos achats, on cherche alors à compenser de l'insécurité ou une faible estime de soi. C'est du sentiment positif (fierté, plaisir, apaisement) procuré par l'achat que l'on s'entiche», affirme Claude Boutin.La pulsion d'acheter
Cette compulsion s'inscrit dans un cycle obsessif-compulsif qui s'apparente à ce que vivent les joueurs compulsifs ou les alcooliques.
«C'est la montée d'une tension (excitation ou angoisse) qu'on cherche à apaiser en achetant quelque chose. Ce geste entraîne toujours de la culpabilité et de la honte. Mais, pour la personne accro, c'est plus fort qu'elle: une autre tension et elle recommence», explique le psychologue.
Les conséquences ne tardent pas à poindre, et elles ne sont pas que financières: isolement, disputes voire éclatement familial, faible estime de soi, fraudes et perte d'emploi sont du lot. En fait, on peut dépenser dans les limites de notre budget et être quand même en perte de contrôle: si on passe une grande partie de notre temps libre à faire du shopping, on néglige forcément d'autres aspects de notre vie: notre conjoint, notre vie sociale, notre santé.
Selon les plus récentes études, près de 6 % de la population, hommes autant que femmes, vivrait un trouble de l'impulsion lié aux achats au cours de sa vie. Comme l'alcoolisme et les autres troubles de l'impulsion, ce trouble est associé à une humeur dépressive ou anxieuse et se retrouve dans toutes les classes sociales. L'accès au crédit via les cartes, à la fin de l'adolescence, est souvent un élément déclencheur. «La dépendance à la dépense peut passer inaperçue, tellement il y a de gens dépensiers. Surtout que l'argent et les problèmes d'argent sont encore tabous. De plus, plusieurs pensent que trop acheter, c'est une compulsion moins destructrice que l'alcool ou la drogue», commente Lise Morin, de l'Association coopérative d'économie familiale (ACEF) de l'Est de Montréal.
Est-il normal de ressentir un frisson de plaisir en achetant ce cardigan tant désiré? Tout à fait! C'est même chimique. Lorsqu'on se gâte ou qu'on se délecte d'un gâteau triple chocolat, le cerveau libère de la dopamine, un neurotransmetteur associé au plaisir et au bien-être. On perd notre contenance devant un vêtement en solde? C'est que la situation provoque une montée de dopamine, la même sensation que ressent le joueur qui croit tenir sa chance. On valorise alors plus l'acte d'acheter que le produit comme tel. «Les soldes peuvent déclencher un épisode d'achat compulsif, tout comme un anniversaire, un mariage, une entrée d'argent imprévue», explique Claude Boutin.
«Ce n'est pas une mauvaise chose que de se faire plaisir à l'occasion, rassure Camillo Zacchia. Et trop se priver n'est pas une solution. Il faut viser l'équilibre.» Faudra-t-il consulter pour s'en sortir? Pas forcément. Le premier pas est plutôt de prendre les mesures nécessaires pour améliorer nos finances. Les livres et les sites Internet sont un bon point de départ, et des groupes de soutien comme Débiteurs anonymes, les ACEF ou un conseiller financier peuvent nous guider dans nos démarches.Suis-je accro?
On a des doutes? Voici quelques indices à considérer.
On a plusieurs cartes de crédit chargées à bloc. «J'ai vu des gens avoir jusqu'à dix cartes de crédit! Avec le tout petit paiement minimum requis chaque mois, c'est très facile de s'enfoncer», insiste Lise Morin.
On magasine souvent pour des choses dont on n'a pas besoin ou pour faire des cadeaux.
On vient d'un milieu où la consommation prend beaucoup de place ou, au contraire, on a souffert de privation dans notre enfance.
On est de tempérament obsessif ou perfectionniste. On passe souvent d'une passion intense à une autre. On a de la difficulté à établir nos priorités, à faire des choix. On achète en cachette parce que notre conjoint nous reproche nos dépenses excessives ou nous a exprimé ses inquiétudes quant au budget.
On achète en sachant qu'on peut retourner notre achat au besoin. On n'enlève pas les étiquettes tant qu'on n'utilise pas l'objet acheté. Sitôt l'achat fait, les objets convoités perdent leur caractère attractif ou réconfortant. Souvent, avec la culpabilité qui s'en mêle, ils restent cachés ou ne sont même pas sortis des sacs.
On a connu d'autres problèmes de dépendance. «Beaucoup de gens qui arrêtent de boire développent des problèmes de surconsommation. Ils transposent le mal-être qui les amenait à boire sur une autre dépendance», dit Lise Morin.
Des trucs pour s'en sortir
Se débarrasser de nos cartes de crédit. C'est le premier conseil des psychologues et des experts financiers. Pourquoi? Parce que le crédit, reportant le paiement, gomme temporairement le côté moins rose de l'achat.
Retarder nos achats. Quelques minutes, une demi-heure, c'est suffisant pour déjouer l'impulsion et se sortir du sentiment d'urgence. «On va prendre un café, le temps que l'émotion baisse et que la raison entre en jeu», suggère Camillo Zacchia. «Ça vaut mieux que de prendre des résolutions violentes ou draconiennes (et irréalistes) du genre: "Je n'achète plus rien!" L'interdit crée de l'obsession», ajoute Claude Boutin.
Se fixer des objectifs concrets. Par exemple, avec l'argent économisé, on s'offre un repas au resto avec des amis. Peu à peu, on se hausse la barre avec des objectifs à plus long terme: un vélo, un séjour dans un spa, un voyage, etc.
Remplacer le magasinage par d'autres activités. Privilégier une autre ressource précieuse: le temps. On profite des moments qu'on passerait autrement à dépenser pour visiter nos amis, jouer avec nos enfants, suivre un cours de cuisine, etc. Toutes ces expériences nourriront notre sentiment d'identité.Rachelle, 26 ans
Une façon de briser l'ennui
Les chaussures et les sacs, c'est la passion de Rachelle. Au point où l'été dernier, elle a dû se créer un catalogue pour s'y retrouver parmi la soixantaine de paires de chaussures et la cinquantaine de sacs qu'elle possède. «Je n'arrivais plus à me souvenir exactement de ce que j'avais», raconte la jeune femme. Le hic, c'est que ses dépenses ne s'arrêtent pas là. Beaux vêtements, gadgets électroniques; tout l'intéresse. «J'aime dénicher la perle rare, faire un bon achat.
Par exemple, si je vais dans un magasin et que trois morceaux m'intéressent, je repars souvent avec les trois, même s'il s'agit du même morceau dans des couleurs différentes. On dirait que j'ai peur de manquer de quelque chose. Pourtant, mes placards sont pleins!» Elle magasine aussi pour tromper l'ennui. «Si je m'ennuie, je vais au centre d'achats ou même juste à la pharmacie. Les heures passent sans que je m'en rende compte. Je peux entrer pour une brosse à dents et ressortir avec 75 $ d'achats.» Et ses finances dans tout cela? «Je viens de finir de payer mon écran au plasma et mon ordinateur, mais je dois encore 6 000 $. J'ai décidé de prendre les choses en mains. Maintenant, j'apprends à limiter mes dépenses. Je n'achète que ce que je peux me permettre. Heureusement, je vis toujours chez mes parents et je n'ai pas d'autres obligations. C'est évident que je ne pourrais pas garder ce rythme en vivant seule.»
Sylvia, 54 ans
Dépenser sans compter
Sylvia a toujours eu un faible pour les magazines. «Surtout les éditions spéciales qui vaudront cher un jour!» Elle ne sait pas non plus résister aux livres, aux DVD, aux CD, aux beaux carnets, aux parfums et aux articles de cuisine. Il y a deux ans, on lui a trouvé une tumeur au poumon. Sa vie a alors basculé. «Acheter est devenu une façon d'oublier, de me maintenir en vie. J'achetais sur impulsion et sans compter. L'argent me glissait entre les doigts, mes cartes de crédit étaient chargées. Je croulais à tout point de vue.» Endettée, elle tarde à faire ses paiements et doit quitter son grand huit et demi pour un logis plus modeste. Son amoureux, ne pouvant suivre ses désirs insatiables, la laisse. «En voyant la montagne de boîtes de magazines qui occupaient à elles seules un camion de déménagement, j'ai compris. Voilà tant d'argent dont j'aurais besoin aujourd'hui.» La santé de Sylvia a pris du mieux, mais ses finances étaient dans un état critique. «Je me suis jointe aux Débiteurs anonymes. Ça a changé ma vie. J'ai appris à ne pas succomber à tous mes désirs et à payer mes factures à temps. Ça fait du bien de parler d'endettement avec des gens qui vivent la même chose que moi. L'argent est tellement tabou. Personne de mon entourage ne sait ce que je vis. Après une période d'enfer, je commence à voir la lumière au bout du tunnel!»Joanie et Patrice, 38 ans et 40 ans
Une façon d'être à deux
Lorsqu'ils se sont rencontrés, ils sortaient à peine de l'université. Les premières années, le seul plaisir d'être ensemble leur suffisait. Ils se trouvaient bien dans leur petit appart, meublé, par la force des choses, de façon minimale. Puis tous deux ont accédé à de meilleurs postes et de meilleurs salaires. Ils ont découvert le plaisir des mets raffinés et des objets de luxe.
Parmi ceux-ci, leur passion commune: le vin. «On collectionne les bonnes bouteilles», explique Patrice. Parler de vin est devenu un lien privilégié du couple. «C'est une façon d'être à deux, confie Joanie, de travailler à notre bonheur commun. On se relance: lorsque je trouve quelque chose de nouveau, j'ai hâte de lui en parler, mais cela crée une tension pernicieuse qui nous pousse à dépenser, tout comme le fait d'être entouré de gens qui ont un train de vie élevé.» Dernièrement le couple a vécu une crise qui l'a amené à réfléchir sur sa dynamique. «Notre lien affectif s'effritait. On roulait à une telle vitesse. La consommation et le besoin de tenir le même rythme que nos amis, de s'offrir de belles choses et de bonnes bouteilles avaient remplacé notre bonheur d'être ensemble. Pourtant, au début, on avait du plaisir sans dépenser une fortune. Alors, présentement, on départage ce qui compte vraiment pour nous comme couple et on investit dans des projets de couple plutôt que dans du matériel», conclut Patrice.
Laurent, 50 ans
Comme une voix intérieure
Entrer chez Laurent, c'est comme entrer dans un magasin, tant il y a de choses cordées, certaines encore dans leur emballage d'origine. «C'est comme si une voix à l'intérieur de moi me disait: "Encore, j'en veux encore." J'achetais pour acheter. J'ai une centaine de guitares, mais je n'en joue presque pas! C'est comme si j'avais peur de manquer de quelque chose.»
Avec les années, les dettes de Laurent ont pris des proportions gigantesques. Son obsession l'a même conduit à emprunter de l'argent aux gens de son entourage. «Un 20 $ par-ci, un 100 $ par là, j'ai emprunté à tout le monde. Je travaillais fort pour faire mes paiements minimum et éviter de me faire couper le téléphone...» Plus que les achats, c'est le désespoir qui a finalement pris toute la place. «J'ai touché le fond avant d'aller chercher de l'aide. C'est le CLSC qui m'a dirigé vers les bonnes ressources, notamment l'ACEF. Aujourd'hui, je suis mon plan de dépense à la lettre. Mais ce qui me fait le plus mal, c'est de réaliser tout le tort que j'ai causé à mon entourage. Il y a des choses que ne reviendront jamais comme avant, même lorsque j'aurai remboursé toutes mes dettes.»
Josée, 56 ans
La spirale de l'endettement
«Quand je me suis mariée, j'ai découvert que je pouvais acheter mes meubles à crédit et payer plus tard. À partir de là, je suis devenue accro au crédit, se rappelle Josée. Ce qui comptait, c'était de pouvoir profiter tout de suite de ce qui me faisait envie.» Les premières années, Josée et son mari ne s'en sortent pas trop mal. «Chaque fois qu'on réglait nos dettes, on se disait qu'on ne s'embarquerait plus, mais ça ne tenait pas longtemps! Mon estime de moi était tellement faible que tout ce qui touchait à l'apparence prenait une importance démesurée: vêtements, coiffure, voiture, etc. Pourtant, en même temps, j'avais honte de moi.» Un divorce la laisse seule avec ses dettes et en charge de ses enfants. Elle adopte alors un mode de vie strict et remonte ses finances de peine et de misère. Elle rencontre un nouvel amoureux et se remarie quelques années plus tard. La folie des grandeurs revient au galop, mais le destin frappe: un de ses enfants meurt et tout s'écroule. «Je crois qu'il fallait que je touche le fond pour m'en sortir. Je suis allée à une rencontre de Débiteurs anonymes. Ça a changé ma vie. Aujourd'hui, je travaille tous les jours pour rembourser mes dettes. J'ai un conseiller financier qui m'aide à planifier mon budget. Et ça marche. À mon âge, plusieurs pensent déjà à la retraite. Ce n'est pas mon cas, Mais je sais qu'en maintenant mon budget, je vais y arriver.»
Pour aller plus loin
J'achète (trop) et j'aime ça!, par Claude Boutin, Les Éditions de l'Homme, 2005, 146 p., 17,95 $.
Réseau de protection du consommateur Pour apprendre à mieux gérer notre budget personnel ou familial à travers des consultations personnalisées, des cours offerts et des ateliers d'information.
Débiteurs anonymes. L'approche utilisée est celle des 12 étapes des Alcooliques anonymes. Infos: 514-933-3446.
Ça ne pose pas de problème tant que ça ne nuit pas aux priorités de notre vie. De plus, on est tellement bombardés de messages qui nous poussent à croire que le bonheur passe par la consommation que contrôler nos impulsions tient du défi. Cela dit, il est vrai que la ligne entre la passion et l'obsession est parfois mince. Si on succombe trop souvent à ces gratifications instantanées, on risque d'avoir des problèmes à long terme.» Spécialiste du traitement du jeu et de l'achat compulsif, le psychologue Claude Boutin précise: «Pour qu'on puisse parler d'un trouble de l'impulsion lié aux achats, il faut qu'il y ait des pertes de contrôle répétées. On n'est plus en contrôle quand on dépense plus, plus longtemps et plus souvent qu'on peut se le permettre et que cela nous cause de la détresse.
Autrement dit, la grande majorité des problèmes d'endettement ne sont pas d'ordre psychologique, et tout le monde peut vivre à l'occasion un épisode d'achats impulsifs comme à Noël, sans être accro. On l'est si on continue à dépenser même si on sait qu'on a fait des excès. Les gens accros ne peuvent tout simplement pas s'empêcher d'acheter.»
On est sur une pente glissante lorsqu'on dépense pour remplacer un sentiment négatif par un sentiment positif ou lorsqu'on développe une attitude rigide face au shopping (devoir faire nos courses à date et heure fixes, par exemple). Idem si on attribue une valeur symbolique aux objets, comme de croire que porter tel vêtement de telle marque fera en sorte qu'on sera mieux acceptée au sein d'un groupe. «Par nos achats, on cherche alors à compenser de l'insécurité ou une faible estime de soi. C'est du sentiment positif (fierté, plaisir, apaisement) procuré par l'achat que l'on s'entiche», affirme Claude Boutin.La pulsion d'acheter
Cette compulsion s'inscrit dans un cycle obsessif-compulsif qui s'apparente à ce que vivent les joueurs compulsifs ou les alcooliques.
«C'est la montée d'une tension (excitation ou angoisse) qu'on cherche à apaiser en achetant quelque chose. Ce geste entraîne toujours de la culpabilité et de la honte. Mais, pour la personne accro, c'est plus fort qu'elle: une autre tension et elle recommence», explique le psychologue.
Les conséquences ne tardent pas à poindre, et elles ne sont pas que financières: isolement, disputes voire éclatement familial, faible estime de soi, fraudes et perte d'emploi sont du lot. En fait, on peut dépenser dans les limites de notre budget et être quand même en perte de contrôle: si on passe une grande partie de notre temps libre à faire du shopping, on néglige forcément d'autres aspects de notre vie: notre conjoint, notre vie sociale, notre santé.
Selon les plus récentes études, près de 6 % de la population, hommes autant que femmes, vivrait un trouble de l'impulsion lié aux achats au cours de sa vie. Comme l'alcoolisme et les autres troubles de l'impulsion, ce trouble est associé à une humeur dépressive ou anxieuse et se retrouve dans toutes les classes sociales. L'accès au crédit via les cartes, à la fin de l'adolescence, est souvent un élément déclencheur. «La dépendance à la dépense peut passer inaperçue, tellement il y a de gens dépensiers. Surtout que l'argent et les problèmes d'argent sont encore tabous. De plus, plusieurs pensent que trop acheter, c'est une compulsion moins destructrice que l'alcool ou la drogue», commente Lise Morin, de l'Association coopérative d'économie familiale (ACEF) de l'Est de Montréal.
Est-il normal de ressentir un frisson de plaisir en achetant ce cardigan tant désiré? Tout à fait! C'est même chimique. Lorsqu'on se gâte ou qu'on se délecte d'un gâteau triple chocolat, le cerveau libère de la dopamine, un neurotransmetteur associé au plaisir et au bien-être. On perd notre contenance devant un vêtement en solde? C'est que la situation provoque une montée de dopamine, la même sensation que ressent le joueur qui croit tenir sa chance. On valorise alors plus l'acte d'acheter que le produit comme tel. «Les soldes peuvent déclencher un épisode d'achat compulsif, tout comme un anniversaire, un mariage, une entrée d'argent imprévue», explique Claude Boutin.
«Ce n'est pas une mauvaise chose que de se faire plaisir à l'occasion, rassure Camillo Zacchia. Et trop se priver n'est pas une solution. Il faut viser l'équilibre.» Faudra-t-il consulter pour s'en sortir? Pas forcément. Le premier pas est plutôt de prendre les mesures nécessaires pour améliorer nos finances. Les livres et les sites Internet sont un bon point de départ, et des groupes de soutien comme Débiteurs anonymes, les ACEF ou un conseiller financier peuvent nous guider dans nos démarches.Suis-je accro?
On a des doutes? Voici quelques indices à considérer.
Des trucs pour s'en sortir
Une façon de briser l'ennui
Les chaussures et les sacs, c'est la passion de Rachelle. Au point où l'été dernier, elle a dû se créer un catalogue pour s'y retrouver parmi la soixantaine de paires de chaussures et la cinquantaine de sacs qu'elle possède. «Je n'arrivais plus à me souvenir exactement de ce que j'avais», raconte la jeune femme. Le hic, c'est que ses dépenses ne s'arrêtent pas là. Beaux vêtements, gadgets électroniques; tout l'intéresse. «J'aime dénicher la perle rare, faire un bon achat.
Par exemple, si je vais dans un magasin et que trois morceaux m'intéressent, je repars souvent avec les trois, même s'il s'agit du même morceau dans des couleurs différentes. On dirait que j'ai peur de manquer de quelque chose. Pourtant, mes placards sont pleins!» Elle magasine aussi pour tromper l'ennui. «Si je m'ennuie, je vais au centre d'achats ou même juste à la pharmacie. Les heures passent sans que je m'en rende compte. Je peux entrer pour une brosse à dents et ressortir avec 75 $ d'achats.» Et ses finances dans tout cela? «Je viens de finir de payer mon écran au plasma et mon ordinateur, mais je dois encore 6 000 $. J'ai décidé de prendre les choses en mains. Maintenant, j'apprends à limiter mes dépenses. Je n'achète que ce que je peux me permettre. Heureusement, je vis toujours chez mes parents et je n'ai pas d'autres obligations. C'est évident que je ne pourrais pas garder ce rythme en vivant seule.»
Sylvia, 54 ans
Dépenser sans compter
Sylvia a toujours eu un faible pour les magazines. «Surtout les éditions spéciales qui vaudront cher un jour!» Elle ne sait pas non plus résister aux livres, aux DVD, aux CD, aux beaux carnets, aux parfums et aux articles de cuisine. Il y a deux ans, on lui a trouvé une tumeur au poumon. Sa vie a alors basculé. «Acheter est devenu une façon d'oublier, de me maintenir en vie. J'achetais sur impulsion et sans compter. L'argent me glissait entre les doigts, mes cartes de crédit étaient chargées. Je croulais à tout point de vue.» Endettée, elle tarde à faire ses paiements et doit quitter son grand huit et demi pour un logis plus modeste. Son amoureux, ne pouvant suivre ses désirs insatiables, la laisse. «En voyant la montagne de boîtes de magazines qui occupaient à elles seules un camion de déménagement, j'ai compris. Voilà tant d'argent dont j'aurais besoin aujourd'hui.» La santé de Sylvia a pris du mieux, mais ses finances étaient dans un état critique. «Je me suis jointe aux Débiteurs anonymes. Ça a changé ma vie. J'ai appris à ne pas succomber à tous mes désirs et à payer mes factures à temps. Ça fait du bien de parler d'endettement avec des gens qui vivent la même chose que moi. L'argent est tellement tabou. Personne de mon entourage ne sait ce que je vis. Après une période d'enfer, je commence à voir la lumière au bout du tunnel!»Joanie et Patrice, 38 ans et 40 ans
Une façon d'être à deux
Lorsqu'ils se sont rencontrés, ils sortaient à peine de l'université. Les premières années, le seul plaisir d'être ensemble leur suffisait. Ils se trouvaient bien dans leur petit appart, meublé, par la force des choses, de façon minimale. Puis tous deux ont accédé à de meilleurs postes et de meilleurs salaires. Ils ont découvert le plaisir des mets raffinés et des objets de luxe.
Parmi ceux-ci, leur passion commune: le vin. «On collectionne les bonnes bouteilles», explique Patrice. Parler de vin est devenu un lien privilégié du couple. «C'est une façon d'être à deux, confie Joanie, de travailler à notre bonheur commun. On se relance: lorsque je trouve quelque chose de nouveau, j'ai hâte de lui en parler, mais cela crée une tension pernicieuse qui nous pousse à dépenser, tout comme le fait d'être entouré de gens qui ont un train de vie élevé.» Dernièrement le couple a vécu une crise qui l'a amené à réfléchir sur sa dynamique. «Notre lien affectif s'effritait. On roulait à une telle vitesse. La consommation et le besoin de tenir le même rythme que nos amis, de s'offrir de belles choses et de bonnes bouteilles avaient remplacé notre bonheur d'être ensemble. Pourtant, au début, on avait du plaisir sans dépenser une fortune. Alors, présentement, on départage ce qui compte vraiment pour nous comme couple et on investit dans des projets de couple plutôt que dans du matériel», conclut Patrice.
Laurent, 50 ans
Comme une voix intérieure
Entrer chez Laurent, c'est comme entrer dans un magasin, tant il y a de choses cordées, certaines encore dans leur emballage d'origine. «C'est comme si une voix à l'intérieur de moi me disait: "Encore, j'en veux encore." J'achetais pour acheter. J'ai une centaine de guitares, mais je n'en joue presque pas! C'est comme si j'avais peur de manquer de quelque chose.»
Avec les années, les dettes de Laurent ont pris des proportions gigantesques. Son obsession l'a même conduit à emprunter de l'argent aux gens de son entourage. «Un 20 $ par-ci, un 100 $ par là, j'ai emprunté à tout le monde. Je travaillais fort pour faire mes paiements minimum et éviter de me faire couper le téléphone...» Plus que les achats, c'est le désespoir qui a finalement pris toute la place. «J'ai touché le fond avant d'aller chercher de l'aide. C'est le CLSC qui m'a dirigé vers les bonnes ressources, notamment l'ACEF. Aujourd'hui, je suis mon plan de dépense à la lettre. Mais ce qui me fait le plus mal, c'est de réaliser tout le tort que j'ai causé à mon entourage. Il y a des choses que ne reviendront jamais comme avant, même lorsque j'aurai remboursé toutes mes dettes.»
Josée, 56 ans
La spirale de l'endettement
«Quand je me suis mariée, j'ai découvert que je pouvais acheter mes meubles à crédit et payer plus tard. À partir de là, je suis devenue accro au crédit, se rappelle Josée. Ce qui comptait, c'était de pouvoir profiter tout de suite de ce qui me faisait envie.» Les premières années, Josée et son mari ne s'en sortent pas trop mal. «Chaque fois qu'on réglait nos dettes, on se disait qu'on ne s'embarquerait plus, mais ça ne tenait pas longtemps! Mon estime de moi était tellement faible que tout ce qui touchait à l'apparence prenait une importance démesurée: vêtements, coiffure, voiture, etc. Pourtant, en même temps, j'avais honte de moi.» Un divorce la laisse seule avec ses dettes et en charge de ses enfants. Elle adopte alors un mode de vie strict et remonte ses finances de peine et de misère. Elle rencontre un nouvel amoureux et se remarie quelques années plus tard. La folie des grandeurs revient au galop, mais le destin frappe: un de ses enfants meurt et tout s'écroule. «Je crois qu'il fallait que je touche le fond pour m'en sortir. Je suis allée à une rencontre de Débiteurs anonymes. Ça a changé ma vie. Aujourd'hui, je travaille tous les jours pour rembourser mes dettes. J'ai un conseiller financier qui m'aide à planifier mon budget. Et ça marche. À mon âge, plusieurs pensent déjà à la retraite. Ce n'est pas mon cas, Mais je sais qu'en maintenant mon budget, je vais y arriver.»
Pour aller plus loin
J'achète (trop) et j'aime ça!, par Claude Boutin, Les Éditions de l'Homme, 2005, 146 p., 17,95 $.