Psychologie

Et si maman venait vivre avec nous?

Et si maman venait vivre avec nous?

Auteur : Coup de Pouce

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Et si maman venait vivre avec nous?

Depuis son divorce, France vit avec ses fils de 14 et 16 ans et ses parents de 71 et 75 ans. «Je n'avais pas les moyens de garder ma maison. Comme mes parents voulaient m'aider financièrement, nous avons envisagé divers scénarios, et la solution de vivre sous le même toit s'est imposée.» Les deux ménages ont donc vendu leur résidence respective pour en acheter une plus grande. «Il y a deux salons et un sous-sol fini, qui est le territoire des enfants. On vit tous ensemble, mais il y a suffisamment d'espace pour qu'on ne se marche pas sur les pieds.»

 

Le phénomène de la cohabitation intergénérationnelle est difficile à chiffrer. On sait que, en 2001, 4 % des Canadiens vivaient dans un ménage comptant au moins trois générations, mais aucune statistique plus récente n'est disponible. On peut toutefois prévoir que la situation prendra de l'ampleur, avec le vieillissement de la population. En effet, les aînés représenteront le quart de la population en 2036, comparativement à près de 13 % en 2005, selon Statistique Canada. On sera donc plus nombreuses à envisager ce mode de vie à un moment ou à un autre.

1. Peser le pour et le contre
La formule nous intéresse? Il faut d'abord s'assurer de ne pas fonder notre décision sur le sentiment d'avoir une dette envers nos parents. Évidemment, «la première condition, c'est de bien s'entendre», rappelle l'anthropologue Manon Boulianne, professeure à l'Université Laval, qui a mené en 2004 une étude sur ce sujet pour la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Les familles qu'elle a rencontrées se voyaient déjà beaucoup avant la cohabitation et partageaient des valeurs semblables. Si on traîne de vieux conflits avec notre mère, si on n'est pas très proches, si on la trouve envahissante, mieux vaut s'abstenir.

Parmi les avantages, la sécurité est invoquée autant par les aînés que par les plus jeunes. La propriété est moins souvent sans surveillance. La personne âgée est rassurée de savoir ses grands enfants à proximité. Le parent de jeunes enfants apprécie que les grands-parents jettent un oeil sur ces derniers. Quand France s'est séparée, ses enfants avaient 10 et 12 ans. «Comme je rentre tard de travailler, le fait que mes parents accueillent mes fils au retour de l'école me sécurisait.» Même à 14 ans, Dominic, le cadet, l'apprécie encore. «J'aime aussi la bonne bouffe de grand-maman et les discussions que j'ai avec elle.» Car il s'agit là d'un autre bienfait: le rapprochement entre grands-parents et petits-enfants. Sans compter que vivre avec des petits-enfants, ça garde jeune!

Les deux familles profitent aussi d'échanges de services: gardiennage, entretien du terrain, préparation des repas, etc. Cette possibilité de s'entraider a motivé Louise à accueillir son père il y a quelques années. «Nous étions veufs tous les deux. Mon père allait chercher mes enfants à l'école et les conduisait à leurs activités sportives. Il faisait aussi office d'image paternelle.»

La cohabitation est également avantageuse sur le plan financier. Si on est copropriétaires, on partage les dépenses. Si l'un des ménages est locataire de l'autre, ce dernier dispose d'un loyer pour rembourser l'hypothèque. Quant aux occupants du logement, ils bénéficient souvent d'un loyer inférieur aux prix du marché. Le parent âgé occupe une chambre? Il peut payer une pension, ce qui permet d'arrondir les fins de mois.

En contrepartie, une perte d'intimité est inévitable. Alors que ses ados ont établi leurs pénates au sous-sol, France dort au même étage que ses parents. Pas l'idéal, à 50 ans! «Je serais mal à l'aise d'emmener un homme passer la nuit à la maison», avoue-t-elle. Et si on est en couple, l'arrivée d'un parent sous le toit conjugal constitue forcément une intrusion. On doit aussi songer au fait qu'on n'a pas les mêmes rapports avec nos parents qu'avec nos beaux-parents. Pour la psychologue Hélène Boisvert, le risque de conflits augmente lorsque le parent âgé est accueilli par un couple. «Un triangle, ce n'est jamais évident.»

Chose certaine, on doit en parler longuement en famille. Analyser les conséquences sur la vie familiale. Penser à la confrontation des caractères, aux conflits de génération, aux compromis nécessaires. Par ailleurs, il va de soi que cette solution doit aussi sourire à maman, insiste Danis Prud'homme, directeur général du Réseau Fadoq, qui déplore que certains adultes imposent ce genre de décision à leurs parents.

Points de réflexion:
• Tous les membres de la famille doivent être d'accord pour vivre sous le même toit qu'un grand-parent.
• Mieux vaut discuter en l'absence du parent âgé afin que tous puissent s'exprimer librement.
• Ce mode de vie ne convient pas à tout le monde. On n'est pas une moins bonne personne si on ne se sent pas capable d'accueillir maman ou belle-maman.

 

2. Veiller à ce que chacun ait son espace
Élizabeth a aménagé une chambre et un boudoir pour sa mère de 95 ans, qui vit avec elle et son mari depuis six ans. «Comme nos enfants ont quitté la maison depuis belle lurette, nous avions suffisamment d'espace.» Quant à Louise, son père a occupé un logement au sous-sol pendant cinq ans avant de déménager avec sa nouvelle conjointe. Et nous, de combien d'espace dispose-t-on? Selon Christiane Boivin, la personne âgée doit au moins avoir sa propre chambre, où elle pourra se retirer quand elle a besoin de tranquillité. Et si elle a une salle de bains privée, c'est encore mieux. Plus on offre d'intimité, mieux se passera la cohabitation.

Si on est déjà à l'étroit, il faudra peut-être déménager, agrandir ou envisager l'achat d'un duplex ou d'une maison intergénérationnelle. Celle-ci est composée de deux logements de taille différente. Vue de l'extérieur, elle conserve l'allure d'une maison unifamiliale traditionnelle. Le grand avantage? Chacun a plus d'intimité, tout en demeurant à proximité.

Points de réflexion:
• Vérifier si notre municipalité permet la construction d'une maison intergénérationnelle ou l'ajout d'un logement à une maison existante. Plusieurs municipalités exigent une seule adresse et une seule porte principale, ce qui peut compliquer la revente éventuelle de la maison.
• Éviter de sacrifier un espace familial important ou d'évincer un enfant de sa chambre contre sa volonté. Ce serait un bien mauvais départ.
• Convenir avec la personne âgée des meubles et des objets qu'elle pourra apporter. Se défaire de ses souvenirs peut lui être difficile.

3. Déterminer les règles de vie
La corde sensible dans cette aventure, c'est l'intimité. Si nos logements sont connexes, entre-t-on sans frapper? Est-ce qu'on annonce notre visite en se téléphonant? Se voit-on tous les jours? Si on habite ensemble, passe-t-on toutes nos soirées ensemble? Que fera notre mère quand on invitera des amis?

Il importe également de clarifier nos attentes à propos des sorties. Ainsi, ce n'est pas parce que notre mère vit avec nous qu'elle doit nous accompagner partout. On peut lui dire: «Les week-ends, nous allons souvent en camping. Te sens-tu capable de rester seule?» Si ce souci d'intimité pose problème, des tensions sont à prévoir. Pendant la jeunesse de Nadine, ses grands-parents paternels habitaient le haut du duplex familial. «Chaque fois que nous recevions, mon grand-père arrivait sans prévenir. D'ailleurs, il venait tous les jours, entrait sans frapper et s'incrustait pendant une heure, empêchant ma mère de vaquer à ses activités. Nous nous sentions tous envahis.»

Avant de faire le saut, il faut discuter des espaces privés et partagés, du partage des tâches, des repas (séparés ou en commun?), etc. «Les sous-entendus deviennent vite des malentendus, avertit Danis Prud'homme. On peut supposer que notre mère préparera les repas, mais de son côté elle se dit peut-être: "J'ai cuisiné toute ma vie, ça ne m'intéresse plus." Voilà pourquoi il est nécessaire de définir le plus d'aspects possible de la vie en commun.»

Un autre point délicat: l'éducation des enfants et la discipline. «Les grands-mamans, en particulier, sont les gardiennes des valeurs familiales, constate Hélène Boisvert. Il peut leur être difficile de ne pas intervenir dans la façon dont on élève nos enfants.» Quand ses enfants étaient petits, Louise avait avisé son père de ne pas outrepasser ses règles. «Il leur aurait donné la lune! Je lui ai demandé de s'assurer de mon accord et, surtout, de ne pas me contredire. J'ai dû aussi lui répéter de ne pas les gaver de sucreries.»

Points de réflexion:
• Pour ne rien oublier, mettre sur papier tous les points à aborder avec notre futur colocataire.
• Convenir d'une période d'essai de six mois ou d'un an.

4. Parler d'une éventuelle perte d'autonomie
Louise a repris son père chez elle alors qu'il avait 77 ans et que sa nouvelle conjointe était décédée. Il avait commencé à perdre un peu d'autonomie, mais son état s'est dégradé rapidement. «Ce que j'ai trouvé le plus dur, c'est de faire le deuil de la relation père-fille, confie Louise. C'est moi qui étais devenue le parent.» Élizabeth, pour sa part, déplore le manque de liberté. «Je ne peux plus sortir avec mon mari, car il est impossible de laisser ma mère seule.»

Est-on prête à faire face à cette éventualité? On doit y réfléchir et en discuter avec notre parent, même si c'est difficile. «Il n'est pas nécessaire de décider de la voie à suivre, mais il faut exprimer ce qu'on ressent, dit Christiane Boivin. Cela permet de doser les attentes de notre parent.»

Point de réflexion:
• Envisager la cohabitation comme une solution temporaire, de sorte que personne ne se sente coincé dans un mode de vie qui ne lui convient plus.

5. Régler les questions d'argent
Quand Sylvie s'est séparée, sa mère est venue vivre avec elle. «Elle m'a donné un montant pour payer les rénovations de la cuisine. Puis, après, plus rien. Je m'attendais à ce qu'elle paie sa part. Au bout de deux ans, je lui ai demandé une pension. Ça l'a insultée, et elle a préféré déménager.» Sylvie garde un goût amer de cette expérience, qui a jeté un froid entre sa mère et elle. Elle reconnaît qu'elle aurait dû régler les détails financiers avant la cohabitation. «On aurait peut-être constaté qu'on n'était pas sur la même longueur d'onde...»

S'entendre sur le partage des coûts est crucial. France et ses parents, par exemple, divisent les dépenses à parts égales (hypothèque, électricité, entretien, nourriture). La facture d'épicerie leur a cependant posé un dilemme. Fallait-il que France paie davantage, étant donné qu'elle a deux ados? «Comme ils vivent le tiers du temps chez leur père, on a convenu que ça compensait. Et puis, il serait compliqué de tout calculer au cent près!»

Point de réflexion:
• Conserver les reçus et convenir d'un intervalle pour faire les comptes.

6. Vivre le plus possible comme avant
C'est indispensable pour préserver notre équilibre mental! Au contraire, abandonner nos soupers de filles ou nos cours du soir pour ne pas laisser notre mère seule générera du ressentiment et des frustrations. «Il faut se garder du temps pour soi», soutient Élizabeth, qui sort une fois par semaine avec une amie.

 

De la même façon, on évite de transformer les habitudes de la maisonnée sous prétexte de ne pas déranger grand-papa. Il est important de se sentir à l'aise avec notre parent âgé; après tout, c'est lui qui a emménagé chez nous. Bien sûr, quelques compromis sont inévitables. «Mais c'est surtout à la personne âgée de s'intégrer à la famille, estime Hélène Boisvert.

Points de réflexion:
• Il faut tenir compte du tempérament et de la capacité d'adaptation de la personne qu'on accueille.
• Si on s'installe ensemble dans une nouvelle maison, on doit trouver un rythme de vie convenant à toutes les générations.

7. Traiter les problèmes au fur et à mesure
Belle-maman s'ingère dans l'éducation des enfants? Papa n'entretient pas la pelouse comme il s'y était engagé? Il suffit parfois de peu pour créer des tensions, rappelle Hélène Boisvert. «Je connais un couple qui a accueilli la mère de l'homme. Dès le repas terminé, celle-ci s'empresse de débarrasser la table. Or, cela ennuie sa belle-fille, qui aime siroter son café tranquillement. L'accumulation de petites choses finit souvent par faire sauter la marmite.»

Point de réflexion:
• Pour éviter que la situation ne s'envenime, on discute des problèmes dès qu'ils surviennent.

8. Ne pas surprotéger la personne âgée

Un piège fréquent consiste à traiter notre parent comme notre enfant. On fait tout à sa place, on décide pour lui, on s'enquiert constamment de son confort. Or, «la personne âgée a peut-être besoin de sécurité, mais elle veut rester maître de sa destinée», affirme Danis Prud'homme. Elle doit aussi se sentir valorisée et utile. Il importe donc qu'elle donne un coup de main dans la maison, sans toutefois se transformer en domestique ou en gardienne à temps plein.

On l'encourage aussi à garder ses propres activités. «On ne doit pas devenir le centre de son univers, de sorte qu'elle compte uniquement sur nous pour la divertir et la désennuyer», souligne Christiane Boivin. Si la cohabitation de France et de ses parents dure depuis quatre ans, c'est que ces derniers ont une vie sociale très active. Ils jouent au bridge, font du bénévolat, reçoivent des amis, partent en escapade les week-ends, etc. «Ils mènent une vie indépendante, apprécie France. Le contraire aurait été très lourd.»

Point de réflexion:
• Si notre parent quitte son quartier, on l'aide à se refaire une vie sociale. On l'amène visiter la bibliothèque, le centre communautaire; on l'informe sur les loisirs, les possibilités de bénévolat, etc.

Pour poursuivre notre réflexion
Mes parents vieillissent: mode d'emploi, par Martine Trudel, Les Éditeurs réunis, 2008, 242 p., 21,95 $.
Comment vivre avec un parent âgé, par François Baumann, Éditions Josette Lyon, 2005, 200 p., 17,95 $.
• On trouvera sur le site de Revenu Québec des informations sur les crédits d'impôt pour le maintien à domicile d'une personne âgée et pour les aidants naturels.
 

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