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À 20 ans, avec la vie devant soi? À 35 ans, en pleine effervescence? À 55 ans, alors qu’on ralentit la cadence? L’âge a-t-il vraiment quelque chose à y voir?
Murielle a 63 ans. Le bonheur? Elle le connaît bien. Mais ça n'a pas toujours été le cas. «Dans ma vie, j'ai vécu des moments qui m'ont apporté beaucoup de joie, raconte-t-elle. Mais le bonheur, le vrai, j'ai tenté de l'apprivoiser toute ma vie et j'y suis enfin parvenue il y a quelques années à peine.» Sa définition du bonheur: un profond sentiment de paix, l'appréciation intense de la vie et la certitude que tout ira bien, quoi qu'il arrive. Un état d'esprit qui n'empêchera certes pas les coups durs de se produire mais qui est là pour rester. «Quand j'étais plus jeune, je vivais beaucoup de hauts et de bas. Tout était plus dramatique. Avec l'expérience, on sait que tout finit par passer, que rien n'est aussi dramatique qu'on pourrait le croire et on distingue mieux ce qui est vraiment important.» Et qu'est-ce qui est vraiment important? «L'amour, tout simplement.»
L'âge est-il vraiment lié au bonheur?
Un constat auquel est aussi arrivé George Vaillant, à la tête pendant 30 ans d'une étude menée depuis la fin des années 30 jusqu'à tout récemment. Étude durant laquelle des chercheurs de Harvard, dont M. Vaillant, ont suivi près de 300 hommes afin de savoir quels étaient les principaux déterminants du bonheur. Ils ont relevé qu'un environnement chaleureux et stable durant l'enfance contribuait pour beaucoup à notre aptitude à être heureux. De façon plus générale, les relations qu'on établit et qu'on entretient durant notre vie constitueraient les principaux maillons de notre bonheur. Et souvent, ça ne serait qu'avec l'âge qu'on s'en rendrait vraiment compte.
Selon une étude britannique parue en 2013, la relation entre l'âge et le bonheur aurait grossièrement la forme d'un U: on entrerait dans l'âge adulte plutôt heureux (fin des études, premier emploi, indépendance, etc.), avant que notre niveau de bonheur ne descende (responsabilités, stress, enfants ados, parents vieillissants, etc.) pour remonter vers la fin de la cinquantaine, au moment où on ralentit un peu la cadence et où on réalise, comme Murielle, ce qui compte vraiment. «En effet, il faut souvent une certaine expérience de la vie pour reconnaître ce qui importe vraiment, particulièrement les relations qu'on entretient, soutient Tal Ben-Shahar, philosophe et auteur qui a enseigné la psychologie positive à Harvard. Mais ce U ne représente qu'une moyenne, pas chaque individu. Certaines personnes peuvent être plus heureuses dans la quarantaine qu'elles ne l'ont jamais été dans leur vingtaine, par exemple.»
Assurément, le bonheur n'est ni linéaire ni ascendant. Il ne grandit pas systématiquement à mesure qu'on vieillit. «Il y a des gens qui vieillissent très mal, qui sont amers et inquiets, note Lucie Mandeville, professeure de psychologie positive à l'Université de Sherbrooke et auteure. D'autres vieillissent bien, se remémorant leurs bons souvenirs et s'émerveillant de ce que leur procure encore le présent. Ils ne souhaitent plus devenir riches et célèbres, n'aspirent plus à réaliser un exploit quelconque. Ils ne se perdent plus dans le rêve d'une vie extraordinaire, ils la vivent au jour le jour.»
Qu'est-ce qui rend vraiment heureux?
Les relations qu'on cultive avec les gens qui nous sont chers. Avoir les deux pieds (et le coeur) bien ancrés dans le moment présent. Des éléments qui nourrissent incontestablement le bonheur. Mais doit-on attendre d'avoir soufflé 50 chandelles, voire davantage, pour s'en rendre compte? Pas du tout. «Je vois des gens âgés qui n'ont encore rien compris au bonheur! avance le psychothérapeute et auteur Thomas d'Ansembourg (Cessez d'être gentil, soyez vrai!, Les Éditions de l'Homme, 2014). Je ne dirais pas que le bonheur est nécessairement lié à l'âge, mais plutôt à une forme de maturité. Et je vois de plus en plus de jeunes qui ont compris l'importance de bien se connaître et où se trouve le bonheur.»
Pour le spécialiste, si la promotion du bonheur a été marquée jusqu'à tout récemment par le je-me-moi (s'occuper de soi, prendre du temps pour soi, etc.), aujourd'hui, elle se fait davantage en se tournant vers les autres. «L'empathie, l'ouverture aux autres, l'implication sociale, tout cela nourrit durablement le bonheur», assure Thomas d'Ansembourg. Contrairement aux plaisirs éphémères, par exemple, bien souvent liés à la surconsommation. À cet effet, une étude menée par des chercheurs de Stanford révélait qu'un élément souvent sous-estimé dans notre volonté d'être heureux était le souci de rendre les autres heureux. Tout en ayant des attentes réalistes: on ne résoudra peut-être pas les problèmes de notre interlocuteur, mais on pourra l'écouter et le consoler.
Quant aux événements marquants de la vie, ils n'auraient eux aussi qu'un effet passager sur notre niveau de bonheur. «Se marier, gagner à la loto, traverser un deuil... Les grands événements influeraient bien sûr sur notre bonheur, mais seulement de façon temporaire. Après avoir connu un sommet ou un down important, notre niveau de bonheur revient à ce qu'il était», explique Tal Ben- Shahar. Car on aurait tous une «moyenne de bonheur» plus ou moins élevée en fonction de notre hérédité, essentiellement. Selon certaines études, en effet, le bonheur serait programmé à 50 % génétiquement. Les circonstances de la vie compteraient pour 10 %, alors que 40 % dépendrait de notre capacité à tirer le meilleur des circonstances de la vie et de notre attitude face à elles.
«Notre vie, on peut quasiment en faire ce qu'on veut, soutient Lucie Mandeville. Comprendre cela permet aussi de comprendre pourquoi certaines personnes démunies à différents niveaux peuvent tout de même être heureuses, alors que d'autres qui semblent tout avoir pour l'être ne le sont pas.» Et pour la psychologue, la clé pour bien saisir le bonheur est la reconnaissance: apprécier ce qu'on a, reconnaître qu'on est privilégié, en toute conscience.
Thomas d'Ansembourg croit également qu'on a beaucoup de pouvoir sur notre bonheur, qu'il préfère appeler «paix intérieure», à son sens plus profonde et durable. «Oui, on a tous une certaine disposition plus ou moins grande au bonheur, mais on a aussi beaucoup de pouvoir sur elle», dit-il. Ayant travaillé longtemps avec les jeunes de la rue et des parents en deuil de leur enfant, il sait pertinemment que si les événements peuvent marquer à jamais, ils n'ont pas toujours le pouvoir de détruire notre aptitude au bonheur. Parfois même, ils contribuent contre toute attente à l'accroître. «J'ai vu de ces gens qui, après quelques années, avaient développé une grande paix intérieure.» Un état souvent étroitement lié à l'idée de faire partie de quelque chose de plus grand, de plus fort. «Comme une foi en la vie», dit-il.
Cela dit, on n'a pas à se contenter de notre niveau moyen de bonheur. On peut faire en sorte de l'augmenter, en réalisant qu'on a pleine emprise sur lui. «Par exemple, en passant du temps avec les gens qu'on aime, en exprimant notre gratitude, en acceptant nos émotions, les bonnes comme les plus difficiles», affirme Tal Ben-Shahar. Car si le bonheur est beaucoup de choses à la fois, il n'est pas la quête d'une joie perpétuelle ni l'absence de difficultés. «Une vie heureuse est une vie pleine, avec de la tristesse, de la déception, de la peur, mais aussi de la joie, de l'excitation, de l'amour», conclut le philosophe et auteur.
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