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L'amour mobile

L'amour mobile

Shutterstock (montage) Photographe : Shutterstock (montage) Auteur : Coup de Pouce

Trouver l’amour? Il y a une appli pour ça. Mais entre les textos de flirt et
«Ils vécurent heureux...», il y a un monde. Réflexions d’une fille qui s’essaie.

En 2013, une étude du Pew Research Center dévoilait qu'un Américain sur dix avait utilisé un site ou une application de rencontres. Près du quart d'entre eux ont développé une relation à long terme ou se sont mariés avec une personne rencontrée en ligne.

Pour tout célibataire en quête de l'amour, ces statistiques sont emballantes. «L'impact majeur de l'arrivée d'internet pour les gens à la recherche d'une relation amoureuse est l'augmentation considérable des candidats potentiels avec qui ils peuvent être mis en contact», estime Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l'UQAM. Alors même que les tabous entourant l'utilisation de ces sites et applications s'effritent doucement.

Hugo et Karine, un couple de jeunes professionnels à l'aube de la trentaine, font partie de ces statistiques. En couple depuis près de six mois, les jeunes tourtereaux se sont rencontrés grâce à Tinder, une application mobile de rencontres. Cette dernière permet, grâce à la géolocalisation, de repérer des célibataires à proximité de soi. «Ç'a été une question de secondes, se remémore Karine, 28 ans. Je venais d'accepter l'invitation d'Hugo pour un verre quand cet autre gars m'a proposé une sortie. Je suis finalement restée sur mon choix initial; tant mieux!»

Le paradoxe du choix
Encouragée par ces statistiques et les histoires de rencontres qui se multiplient dans mon entourage, je me suis lancée dans l'aventure. Tout d'abord avec Tinder, puis sur OkCupid et Réseau Contact. Quelques secondes après avoir activé mes profils, je recevais un premier message. Suivi d'un deuxième, puis d'un troisième... Sur OkCupid, j'en recevrai une quarantaine durant la première journée. Après un mois d'utilisation, ils seront plus d'une centaine à m'avoir contactée sur cette seule plateforme.

Cette abondance de contacts est bien plus marquée chez les utilisatrices que chez leurs homologues masculins, observe Réseau Contact, le site de rencontres québécois qui regroupe plus de 1,5 million de fiches d'intéressés vivant aux quatre coins de la province. «Les femmes reçoivent généralement beaucoup plus de messages, observe Frédéric Maheux, spécialiste en marketing et acquisition chez Mediagrif, l'entreprise qui exploite Réseau Contact. Elles sont souvent plus passives que les hommes, qui tenteront le premier contact plus fréquemment.»

Si, au départ, cet intérêt provenant d'autant d'inconnus a flatté mon ego, j'ai rapidement été découragée par cette centaine d'aspirants. Et je ne suis pas la seule. Caroline, 31 ans, a flirté au cours des deux dernières années sur Tinder ainsi que sur Rencontre Sportive, un site favorisant les rencontres entre amateurs d'activités sportives et de plein air. «J'ai eu plusieurs matchs et suis allée prendre un verre avec une vingtaine d'entre eux. Une seule de ces rencontres s'est soldée par une relation un peu plus sérieuse, mais qui, en fin du compte, n'a pas duré. À un certain moment, je me suis lassée.» Depuis, la célibataire a délaissé ces sites et décidé de miser plutôt sur le hasard des rencontres dans sa vie de tous les jours.

Trop de poissons?
Ce sentiment de lassitude est-il normal? Ne devrions-nous pas sauter de joie devant cette débordante démonstration d'intérêt? «La démarche peut être très exigeante, rappelle Julie Spira, experte des rencontres en ligne, auteure et fondatrice du site cyberdatingexpert.com. De plus en plus de gens utilisent ces outils, ce qui multiplie considérablement les possibilités de rencontres. Et avec les applications mobiles comme Tinder et autres, on peut être connecté à cet univers en tout temps. Rien de surprenant à ce qu'on se sente dépassé après un moment.»

Dépassé autant par l'instantanéité (les demandes peuvent surgir sur l'écran à toute heure du jour) que par l'omniprésence de cet outil à notre portée au travail, dans nos loisirs, la nuit... Si on n'est pas vigilant, on peut s'y consacrer 24 heures par jour... et toujours espérer mieux! «Le mécanisme est simple, rappelle Chiara Piazzesi: lorsqu'on fait face à plusieurs options, on a cette impression qu'on pourrait toujours avoir mieux. Malgré l'existence d'outils permettant un tri des profils, comme la géolocalisation ou les questionnaires détaillés, la quantité de candidats potentiels demeure très élevée.»

À l'aube de la soixantaine, Murielle utilise les sites de rencontres depuis six ans. Bien qu'elle perçoive positivement son expérience en ligne, elle admet que la démarche est exigeante. «C'est drainant émotivement, car tu es toujours en contexte de choix, sans parler des déceptions vécues en cours de route. Je me souviens de cet homme avec qui j'ai longuement discuté en ligne avant notre rencontre. Nous sommes allés prendre un café, mais finalement il ne me plaisait pas. J'étais très déçue, car j'avais fondé beaucoup d'espoir dans cette rencontre.»

L'expérience de Murielle rappelle qu'après l'expérience virtuelle il y a... la vraie vie! «En ligne, on a le temps de se préparer, de réfléchir à notre réponse, rappelle la sexologue Geneviève Labelle. Mais au moment de la rencontre en personne, on éprouve une certaine vulnérabilité. Parfois le courant passe moins bien.» Ça aussi, ça fait partie de la game, et des risques!

L'écran où tout est permis
Tous n'ont assurément pas le même plan de match quand ils essaient des sites de rencontres. À preuve, ce premier message que m'a envoyé un de mes matchs Tinder: «Sexe?» Surprise par son approche plus que directe, j'ai choisi d'ignorer le message. D'autres sont encore plus explicites. «Une fois, je discutais avec un gars, et il m'a envoyé une photo de son pénis. C'était spontané comme geste... et surprenant!» se rappelle Caroline. Si l'expérience l'a fait rire, des comportements comme celui-là ou plus ouvertement hostiles contribuent à ternir l'expérience de certaines utilisatrices.

Selon l'étude du Pew Research Center, 28 % des utilisateurs des sites de rencontres se sont sentis inconfortables lors d'échanges en ligne. Et la situation touche plus particulièrement les femmes: 42 % d'entre elles ont fait l'expérience de discussions déplacées, comparativement à 17 % des hommes.

Des comportements qui sont d'ailleurs de plus en plus dénoncés sur le web. Aux États-Unis, Alexandra Tweten, une jeune habituée des sites de rencontres, est l'instigatrice du compte Instagram Bye Felipe. On peut y lire des centaines de messages à caractère sexuel et violent que certains hommes font parvenir aux femmes qui rejettent ou ignorent leurs avances en ligne.

«L'écran crée un sentiment de détachement à l'égard de l'interlocuteur, estime Geneviève Labelle. On se sent davantage libre de faire ou d'écrire un peu n'importe quoi.» Conscients de ce phénomène, certains innovent en créant des applications mieux adaptées à la réalité des utilisatrices. C'est le cas de Bumble. Sur cette application mobile, lorsqu'un match est créé entre deux profils, c'est à la femme que revient le choix d'écrire à la personne dans les 24 heures suivant la mise en contact.

Trop superficiel?
«Lorsque j'ai commencé à utiliser des sites de rencontres dans les années 1990, on ne pouvait même pas télécharger de photos», se remémore Jean-Sébastien Marsan, coauteur du livre Les Québécois ne veulent plus draguer (2009) et coanimateur pendant trois ans du blogue de Réseau Contact, Dans le blanc des yeux.

Avec les applications qui émergent aujourd'hui, particulièrement celles qui sont basées sur la géolocalisation, ce sont les photos qui sont mises de l'avant. Même si elles sont parfois accompagnées d'une très courte biographie, on est loin des profils détaillés et des discussions en amont qui permettent de développer un certain lien avant la rencontre. «C'est une situation à double tranchant, estime Jean-Sébastien Marsan. Si la mise en contact peut ainsi être très spontanée, elle peut se révéler plutôt cruelle, car on juge un partenaire potentiel presque uniquement sur son physique.» Une réalité à laquelle on doit apprendre à faire face rapidement si on se lance dans l'aventure.

Et si nos réflexes Facebook et Google sont le moindrement développés, on peut en apprendre plus sur celui avec qui nous prendrons un verre dans quelques heures. Un réflexe qui peut être rassurant si on désire vérifier l'identité de la personne qu'on est sur le point de rencontrer. Julie Spira conseille toutefois de limiter ses recherches en amont. «Cette photo Instagram ne nous plaît pas? Il semble investir trop de temps dans le sport? Il y a tellement d'informations disponibles en ligne qu'on peut se mettre à suranalyser ce qu'on y trouve et éliminer des candidats potentiels sur de simples spéculations.»

Plan de match
Envie de rester dans le bateau? Pour éviter la déroute en mer, mieux vaut réfléchir à notre stratégie et amorcer un travail d'introspection avant de s'engager dans la recherche de l'amour (en ligne ou ailleurs!), quelle que soit l'application utilisée. On ne parle pas ici de la classique liste d'épicerie se rapportant à notre future tendre moitié: couleur de cheveux, nombre de pays visités, mois de naissance, etc. Selon la sexologue Geneviève Labelle, «il faut prendre le temps de réfléchir à ce qu'on désire dans notre vie amoureuse, au type de relation recherchée, et suivre une démarche cohérente de prises de contact et de rencontres sur ces réseaux».

«N'hésitez pas à exprimer vos intentions par écrit, souligne Julie Spira. Même avec Tinder, où votre biographie doit tenir en quelques lignes. Si vous êtes sérieux dans votre démarche, ceux qui recherchent des histoires d'un soir passeront probablement leur tour.» Voilà une façon supplémentaire de faire le tri!

Si nos ordinateurs personnels et nos téléphones intelligents ont désormais le pouvoir de nous mettre en contact avec des millions de célibataires, il ne faut pas sous-estimer les rencontres que peut nous apporter notre réseau social «réel». Comme le confirme une étude menée en 2009 par des chercheurs d'universités américaines, c'est par l'intermédiaire d'amis et de connaissances que nous faisons plus de la moitié de nos rencontres romantiques. Cette réalité ne devrait pas être sous-estimée dans notre quête de l'âme sœur!

 

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