Couple
Êtes-vous plus heureuse que votre mère?
Couple
Êtes-vous plus heureuse que votre mère?
Mère au foyer, fille au travail
Jocelyne Pouyez, 60 ans, maman de Nadège, 33 ans, Pascale, 29 ans, et Karine, 28 ans.
«Quand j'ai épousé Philippe, c'était clair pour moi - et pour lui aussi, puisqu'on en avait discuté - que je resterais à la maison pour m'occuper des enfants. C'était peut-être un relent de mon éducation européenne, mais je voulais que mes filles soient élevées comme je le souhaitais. «Je dois avouer que j'ai trouvé cela très difficile, surtout les deux premières années. J'ai une image très claire: je donne à manger à Pascale dans sa chaise haute, je tiens le biberon pour Karine et je coupe sa viande à Nadège. Je me disais: "Mon Dieu, il me faut trois bras!" Nul besoin de dire qu'il y a des moments où j'ai remis mon choix en question. Heureusement, lors d'une visite à l'église, j'ai rencontré une dame qui m'a initiée à un réseau d'amies que je côtoie encore aujourd'hui. À partir de là, les choses se sont améliorées. Avec le recul, je referais le même choix - à la différence que je me garderais un peu de temps pour moi -, car j'ai eu la satisfaction de procurer un sentiment de sécurité à mes enfants.
«Bien que j'envie ma fille d'exercer un métier qui la passionne, je trouve sa vie très stressante. Quand je vois toute la famille en voiture le matin à 7 h ou les parents essayer de jongler avec leur agenda professionnel lorsqu'une des petites tombe malade, je me dis que c'est un véritable parcours du combattant. Même si je sais Nadège heureuse, je crains qu'elle n'éprouve un jour le regret de ne pas avoir vu grandir ses filles.»
Nadège Pouyez, productrice déléguée, 33 ans, maman de Macha, 5 ans, et Magalie, 3 ans.
«Pour moi, quand j'ai eu Macha à 28 ans, la question ne se posait pas: je continuerais de travailler. C'est plutôt quelques mois après être revenue sur le marché du travail que j'ai été confrontée à une prise de décision. Entre la garderie, le pédiatre, le boulot, les tâches ménagères, le bain, etc., je me suis demandé: "Est-ce que j'ai vraiment envie de cette vie de fou pour les cinq prochaines années?" Comme mon travail est très important pour moi et que je me réalise énormément dans ce que je fais, j'ai quand même décidé de poursuivre. J'ai dû accepter que ma carrière progresse plus lentement que je ne l'aurais souhaité, et les week-ends d'amoureux ont été troqués contre un sprint ménage-épicerie-sorties de famille. Si ma famille m'apporte beaucoup, mon travail, c'est ma respiration. Ce n'est pas toujours facile, mais je ne peux me passer ni de l'un ni de l'autre.
«Le souvenir d'une mère qui reste à la maison et nous concocte des repas chaleureux et délicieux a certainement façonné l'image que j'ai de la maman parfaite. Cependant, elle m'a surtout influencée par le fait qu'elle ait choisi sa vie: c'est ce qui m'a poussée à assumer mes décisions. Je crois que ma mère et moi sommes heureuses chacune à notre façon, car nous avons été conséquentes dans nos choix. J'ignore si mon bonheur est plus grand que le sien, mais je sais assurément que je suis plus stressée qu'elle du fait que je doive combiner un travail extérieur à une qualité de vie familiale semblable à celle que ma mère nous a donnée.»Mère au travail, fille au foyer
Jeannine St-Laurent-Boucher, 68 ans, enseignante à la retraite.
«Quand je me suis mariée avec Laurent à 19 ans, j'ai démissionné de mon emploi et je suis devenue madame Laurent Boucher. J'ai vécu l'osmose. Nous avons eu quatre beaux enfants. Puis, le destin est venu brouiller les cartes. Alors que j'inscrivais Brigitte, 6 ans, à des cours de violon, la religieuse m'a proposé d'y prendre part également. Là, j'ai eu un véritable coup de foudre, si bien que j'ai décidé d'entreprendre des études afin de pouvoir enseigner le violon un jour. J'ai complété une maîtrise, et un poste d'enseignante m'a été offert dans une école à vocation artistique, poste que j'aurai occupé durant 20 ans.
Pour moi, c'était très important de me réapproprier mon identité et de me définir en tant que Jeannine St-Laurent. Ce fut difficile de concilier la tenue de la maison - ç'aurait été mal vu qu'une femme délaisse ses responsabilités traditionnelles! - et le boulot. Les fins de session étaient parfois pénibles! La vie de ma fille est très différente de la mienne. Elle a pris le nom de famille de son mari, mais cela ne l'a pas empêchée d'avoir sa propre identité. Elle accepte que tout ne soit pas parfait dans sa maison. Je ne l'envie pas, je suis heureuse pour elle. Ce qui est important pour moi, c'est qu'elle se réalise et je sais qu'elle est heureuse, car elle vit ce qu'elle a choisi de vivre. Ça ne lui est pas imposé.»
Brigitte Boucher-Paré, 44 ans, maman à la maison.
«Je ne me suis jamais vraiment sentie comme une femme d'extérieur. Je suis plus à l'aise dans un modèle traditionnel, dans ma maison, avec mes 10 enfants (n.d.l.r.: âgés de 9 à 24 ans), comme une poule avec ses poussins! Ce n'est pas faute d'avoir tâté du travail. J'ai un bac en enseignement et j'ai enseigné durant un an à la maternelle. J'évoluais avec une clientèle défavorisée. J'avais déjà trois enfants et j'en attendais un quatrième. Je trouvais difficile de m'occuper des autres petits alors que les miens étaient confiés à une inconnue. C'est là que j'ai compris que je souhaitais être à la maison avec les enfants. «Ne pas avoir de carrière ne m'a jamais dérangée. Des bras d'enfants autour du cou, il n'y aura jamais une paye qui pourra égaler cela!
Mes enfants sont contents de rentrer à la maison et que ça sente la bonne soupe. De plus, c'est une sécurité pour eux de savoir que, s'ils sont malades à l'école, ils peuvent rentrer chez eux. Quant à mon mari, notre complémentarité - il pourvoie à nos besoins tandis que je m'occupe de la maisonnée - nous rend indispensables l'un à l'autre. Avoir été deux travailleurs autonomes financièrement avec peu d'enfants, chacun aurait pu prendre la poudre d'escampette au moindre différend. Or, notre situation nous oblige à travailler ensemble. «Le fait d'avoir vu ma mère travailler pendant qu'elle nous élevait m'a fait réaliser que, dans la vie, tout est une question de choix. C'est ironique, car, lorsqu'elle me questionnait sur mon mode de vie, j'avais l'impression de l'entendre me demander: "Mais comment se fait-il que tu restes à la maison alors que tu pourrais avoir le choix, le privilège d'exercer un emploi?" C'est ce qui me fait croire que je suis plus heureuse qu'elle ne l'était à mon âge, car elle a dû surmonter tellement d'obstacles pour pouvoir travailler. Je n'ai pas eu à me battre pour vivre la vie dont j'ai vraiment envie.»Mère sédentaire, fille nomade
Irène Boulanger-Michaud, 68 ans. Habite la même maison à Saint-Hilaire depuis 1979.
«J'ai eu Élise à 32 ans, puis Anne deux ans plus tard. Bien que mon mari et moi ayons continué de faire quelques voyages en Floride et en Californie avec nos filles - elles ont toujours été de bonnes voyageuses! -, nous avons privilégié la vie à la maison. Avec le temps, notre maison est devenue le quartier général des enfants du quartier. Ils pouvaient se retrouver 10 ou 12 à investir la salle de jeux au-dessus du garage. On avait de grosses malles remplies de vêtements; les petits se déguisaient et faisaient des pièces de théâtre. Elles ont eu du fun et moi aussi, je me suis beaucoup amusée! «Je n'ai jamais rêvé de vivre ailleurs. Moi, je suis bien au Québec: on a un coin de pays magnifique, on est gâtés ici. J'ai fait mon nid et j'y suis bien! J'ai peut-être un peu plus besoin d'avoir mon monde près de moi que ma fille, qui est bien seule et très indépendante. Bien que je n'envie pas ma fille, j'admire ce qu'elle a fait. Partir avec une bourse trop mince pour subvenir à ses besoins, si bien qu'elle a dû travailler dans un pays qu'elle ne connaissait pas, ça prend beaucoup de courage. On n'était pas vraiment d'accord qu'elle aille vivre loin de sa famille. La deuxième fois qu'elle a quitté pour Taipeh, on a tout fait pour l'en empêcher. Mon mari lui a longuement parlé pour la convaincre de rester, mais son idée était faite! Bien que ça représente un gros sacrifice pour nous, on ne peut retenir nos enfants contre leur gré. Ma fille est-elle heureuse? Sûrement, à sa façon: elle aime tellement être ailleurs. Heureuse à 100 %? Je n'en suis pas certaine... Elle sera probablement toujours tiraillée entre deux ou trois endroits. On n'aurait jamais dû l'abonner à la revue Géo lorsqu'elle était petite!» (rire)
Élise Michaud, 32 ans, vit depuis 6 ans à Taipeh (Taiwan), où elle enseigne l'anglais dans une université. S'apprête à déménager en Corée.
«J'ai toujours été intéressée par des pays comme l'Inde, la Chine, etc. Plus c'était exotique, mieux c'était. De fil en aiguille, j'ai pu rencontrer des gens qui vivaient à l'étranger grâce à l'enseignement de l'anglais. En 1999, alors que je terminais ma maîtrise, j'ai demandé, avec succès, une bourse pour aller apprendre le mandarin à Taiwan. L'occasion était parfaite. Je me suis dit: "OK, faisons le grand saut!" Après un premier séjour d'un an à Taipeh, en 1999, j'ai essayé de revenir vivre au Québec, mais ma vision des choses avait vraiment changé. Là-bas, j'avais découvert la simplicité, la liberté, les longues vacances, le plaisir de voyager dans tous ces magnifiques pays situés tout près les uns des autres (plutôt que de claquer mes économies sur un nouveau sofa) et ça m'a donné une autre perspective. Si bien qu'à mon retour au Québec je n'ai pas su renouer avec les joies matérialistes; j'avais hâte de regagner l'Asie. Je suis repartie 2 ans après.
«Si certains m'admirent, plusieurs me perçoivent comme la fille «pas branchée». J'ai souvent entendu: «À un moment donné, tu vas t'ennuyer et tu vas revenir.» Je sais aussi que mes parents s'ennuient de moi et c'est réciproque. Cependant, on se parle énormément par téléphone: vive Skype! Suis-je plus heureuse que ma mère? Hum... Ma mère a peut-être le bonheur plus facile que moi, ce que j'attribue surtout à une question de tempérament. D'autre part, bien sûr qu'il y a des moments difficiles, et je me sens alors très loin. Et ma vie ailleurs ne progresse pas au même rythme que celle de mes amies installées ici. Quand je reviens au Québec et que je vois mes amies qui ont leur deuxième ou troisième bébé, une maison et une bonne job, je les envie un peu. Mais, somme toute, je referais la même chose. Grâce à la stabilité de mes parents, j'ai eu une très belle enfance, je n'ai jamais eu peur que mes parents déménagent. Ça a peut-être joué sur la personne que je suis aujourd'hui. Je me sens vraiment libre, tout à fait moi-même et j'ai l'impression de faire exactement ce que je veux dans ma vie, et ça, pour moi, ça n'a pas de prix.»Avoir des enfants... et ne pas en avoir
Marie-Paule Grégoire, 78 ans, mère de deux garçons de 56 et 54 ans et de Carole, 43 ans. N'a aucun petit-enfant.
«J'ai toujours eu un don avec les enfants. Quand j'ai perdu ma mère à 9 ans, puis ma grand-mère 7 ans plus tard, j'ai laissé l'école - j'avais une 7e année - pour m'occuper de mes frères et soeurs plus jeunes. J'ai aussi travaillé à garder les enfants des autres. Aussi, à 20 ans, lorsque je me suis mariée, la question ne se posait pas: j'allais avoir des enfants et m'occuper d'eux. J'ai laissé faire la nature et j'ai eu les deux garçons. Puis les deux grossesses suivantes ont été interrompues par des fausses couches. Je croyais bien que c'était terminé pour moi quand Carole nous a fait une surprise. J'ai dû passer les quatre premiers mois de cette grossesse alitée sans pouvoir entretenir la maison afin de m'assurer de mettre ce troisième enfant au monde. «Même si la vie n'était pas facile, je n'ai jamais été malheureuse. Il pouvait arriver des incidents, mais jamais au point de m'attrister ou de me faire regretter des choses. Je prenais - et c'est toujours le cas - la vie au jour le jour. Même si on n'était pas riches, on avait notre famille. On savait se contenter de peu et on était heureux. Quand Carole a choisi de ne pas avoir d'enfants, j'ai compris son choix. Elle a étudié pour être esthéticienne et avoir son commerce. Je ne l'imagine pas se lever le matin, aller reconduire le petit chez la gardienne et aller le chercher le soir. De toute façon, je trouve que la vie d'aujourd'hui se prête moins bien à la vie familiale qu'avant. Tout ce dont les gens se préoccupent, c'est d'avoir plus beau que l'autre. Je trouve qu'il y a beaucoup de jalousie. Il y a beaucoup d'enfants dont les parents se séparent et qui se retrouvent à aller de maison en maison. Je trouve donc qu'elle a fait un bon choix.»
Carole Grégoire, 43 ans, en couple, sans enfants.
«Il n'a jamais été question pour moi d'avoir des enfants. Plus jeune, j'ai entendu des commentaires de parents qui laissaient croire qu'avoir des enfants ça vous empêchait de faire ce dont vous rêviez. Je crois qu'inconsciemment ça a fait son chemin. D'autre part, les conjoints que j'ai eus en cours de route n'ont jamais éveillé ce désir chez moi. À la différence de mon chum actuel: l'avoir rencontré plus tôt, peut-être ma vie serait-elle différente aujourd'hui... Je ne le saurai jamais. En revanche, j'ai toujours été entourée d'enfants de tous les âges. Mes amis ont des enfants et mon conjoint est grand-père. Quand je prends un petit bébé dans mes bras, j'éprouve quelque chose de très fort, mais je suis tout aussi contente de le rendre à ses parents. «Bien que j'assume mon choix, je me suis souvent sentie jugée et incomprise. Il y a un énorme tabou social autour de la question. On a qualifié ma décision d'égoïste, on a remis ma féminité en question. Moi, je réponds que je ne crois pas au fait de mettre un petit être au monde pour ensuite le confier la plupart du temps à des gardiennes. Comme mon commerce exige beaucoup de temps, d'énergie et de sacrifices, je ne crois pas que j'aurais pu consacrer tout le temps qu'il faut à un enfant. Bien que ma réalité soit entièrement différente de celle de ma mère au même âge, je suis heureuse, comblée sur tous les plans. Je jouis d'une liberté totale. Je crois qu'à mon âge ma mère était heureuse de nous avoir, mais peut-être n'avait-elle pas la même liberté que j'ai aujourd'hui. Mais elle a toujours été heureuse d'avoir bâti une famille, et même s'il y avait parfois des choses qui accrochaient, ce n'était pas assez pour la rendre malheureuse.»
Quelques statistiques
Québécoises à temps plein sur le marché du travail qui sont aussi mères d'enfants de moins de 6 ans
1976: 18,5 %
1991: 41,9 %
2006: 58,1 %
Source: Gouvernement du Québec.
Indice de fécondité
1851: 6,8 enfants par femme
1891: 5,6 1921: 5,3
1946-60: 4 1970: 2,1
1990: 1,7 2006: 1,6
Source: Gouvernement du Québec.
Nombre de mariages au Québec (par 1 000 habitants)
1900: 6,5 1950: 8,6
1970: 8,2 2006: 2,9
Source: Gouvernement du Québec.
Québécoises de plus de 25 ans qui détiennent un certificat ou un diplôme universitaire
1981: 163 995
1991: 301 140
2001: 474 710
Source: Gouvernement du Québec.
Pour aller plus loin
Bouillon de poulet pour l'âme des mères et filles, par Jack Canfield et al., Béliveau éditeur, 2007, 335 p., 22,95 $.
Histoire des mères et filles, par Gabrielle Houbre, De La Martinière, 2006, 223 p., 62,95 $.
Mères-filles, par Caroline Eliacheff et Nathalie Heinich, LGF, Le Livre de Poche, 2003, 412 p., 12,95 $.
Jocelyne Pouyez, 60 ans, maman de Nadège, 33 ans, Pascale, 29 ans, et Karine, 28 ans.
«Quand j'ai épousé Philippe, c'était clair pour moi - et pour lui aussi, puisqu'on en avait discuté - que je resterais à la maison pour m'occuper des enfants. C'était peut-être un relent de mon éducation européenne, mais je voulais que mes filles soient élevées comme je le souhaitais. «Je dois avouer que j'ai trouvé cela très difficile, surtout les deux premières années. J'ai une image très claire: je donne à manger à Pascale dans sa chaise haute, je tiens le biberon pour Karine et je coupe sa viande à Nadège. Je me disais: "Mon Dieu, il me faut trois bras!" Nul besoin de dire qu'il y a des moments où j'ai remis mon choix en question. Heureusement, lors d'une visite à l'église, j'ai rencontré une dame qui m'a initiée à un réseau d'amies que je côtoie encore aujourd'hui. À partir de là, les choses se sont améliorées. Avec le recul, je referais le même choix - à la différence que je me garderais un peu de temps pour moi -, car j'ai eu la satisfaction de procurer un sentiment de sécurité à mes enfants.
«Bien que j'envie ma fille d'exercer un métier qui la passionne, je trouve sa vie très stressante. Quand je vois toute la famille en voiture le matin à 7 h ou les parents essayer de jongler avec leur agenda professionnel lorsqu'une des petites tombe malade, je me dis que c'est un véritable parcours du combattant. Même si je sais Nadège heureuse, je crains qu'elle n'éprouve un jour le regret de ne pas avoir vu grandir ses filles.»
Nadège Pouyez, productrice déléguée, 33 ans, maman de Macha, 5 ans, et Magalie, 3 ans.
«Pour moi, quand j'ai eu Macha à 28 ans, la question ne se posait pas: je continuerais de travailler. C'est plutôt quelques mois après être revenue sur le marché du travail que j'ai été confrontée à une prise de décision. Entre la garderie, le pédiatre, le boulot, les tâches ménagères, le bain, etc., je me suis demandé: "Est-ce que j'ai vraiment envie de cette vie de fou pour les cinq prochaines années?" Comme mon travail est très important pour moi et que je me réalise énormément dans ce que je fais, j'ai quand même décidé de poursuivre. J'ai dû accepter que ma carrière progresse plus lentement que je ne l'aurais souhaité, et les week-ends d'amoureux ont été troqués contre un sprint ménage-épicerie-sorties de famille. Si ma famille m'apporte beaucoup, mon travail, c'est ma respiration. Ce n'est pas toujours facile, mais je ne peux me passer ni de l'un ni de l'autre.
«Le souvenir d'une mère qui reste à la maison et nous concocte des repas chaleureux et délicieux a certainement façonné l'image que j'ai de la maman parfaite. Cependant, elle m'a surtout influencée par le fait qu'elle ait choisi sa vie: c'est ce qui m'a poussée à assumer mes décisions. Je crois que ma mère et moi sommes heureuses chacune à notre façon, car nous avons été conséquentes dans nos choix. J'ignore si mon bonheur est plus grand que le sien, mais je sais assurément que je suis plus stressée qu'elle du fait que je doive combiner un travail extérieur à une qualité de vie familiale semblable à celle que ma mère nous a donnée.»Mère au travail, fille au foyer
Jeannine St-Laurent-Boucher, 68 ans, enseignante à la retraite.
«Quand je me suis mariée avec Laurent à 19 ans, j'ai démissionné de mon emploi et je suis devenue madame Laurent Boucher. J'ai vécu l'osmose. Nous avons eu quatre beaux enfants. Puis, le destin est venu brouiller les cartes. Alors que j'inscrivais Brigitte, 6 ans, à des cours de violon, la religieuse m'a proposé d'y prendre part également. Là, j'ai eu un véritable coup de foudre, si bien que j'ai décidé d'entreprendre des études afin de pouvoir enseigner le violon un jour. J'ai complété une maîtrise, et un poste d'enseignante m'a été offert dans une école à vocation artistique, poste que j'aurai occupé durant 20 ans.
Pour moi, c'était très important de me réapproprier mon identité et de me définir en tant que Jeannine St-Laurent. Ce fut difficile de concilier la tenue de la maison - ç'aurait été mal vu qu'une femme délaisse ses responsabilités traditionnelles! - et le boulot. Les fins de session étaient parfois pénibles! La vie de ma fille est très différente de la mienne. Elle a pris le nom de famille de son mari, mais cela ne l'a pas empêchée d'avoir sa propre identité. Elle accepte que tout ne soit pas parfait dans sa maison. Je ne l'envie pas, je suis heureuse pour elle. Ce qui est important pour moi, c'est qu'elle se réalise et je sais qu'elle est heureuse, car elle vit ce qu'elle a choisi de vivre. Ça ne lui est pas imposé.»
Brigitte Boucher-Paré, 44 ans, maman à la maison.
«Je ne me suis jamais vraiment sentie comme une femme d'extérieur. Je suis plus à l'aise dans un modèle traditionnel, dans ma maison, avec mes 10 enfants (n.d.l.r.: âgés de 9 à 24 ans), comme une poule avec ses poussins! Ce n'est pas faute d'avoir tâté du travail. J'ai un bac en enseignement et j'ai enseigné durant un an à la maternelle. J'évoluais avec une clientèle défavorisée. J'avais déjà trois enfants et j'en attendais un quatrième. Je trouvais difficile de m'occuper des autres petits alors que les miens étaient confiés à une inconnue. C'est là que j'ai compris que je souhaitais être à la maison avec les enfants. «Ne pas avoir de carrière ne m'a jamais dérangée. Des bras d'enfants autour du cou, il n'y aura jamais une paye qui pourra égaler cela!
Mes enfants sont contents de rentrer à la maison et que ça sente la bonne soupe. De plus, c'est une sécurité pour eux de savoir que, s'ils sont malades à l'école, ils peuvent rentrer chez eux. Quant à mon mari, notre complémentarité - il pourvoie à nos besoins tandis que je m'occupe de la maisonnée - nous rend indispensables l'un à l'autre. Avoir été deux travailleurs autonomes financièrement avec peu d'enfants, chacun aurait pu prendre la poudre d'escampette au moindre différend. Or, notre situation nous oblige à travailler ensemble. «Le fait d'avoir vu ma mère travailler pendant qu'elle nous élevait m'a fait réaliser que, dans la vie, tout est une question de choix. C'est ironique, car, lorsqu'elle me questionnait sur mon mode de vie, j'avais l'impression de l'entendre me demander: "Mais comment se fait-il que tu restes à la maison alors que tu pourrais avoir le choix, le privilège d'exercer un emploi?" C'est ce qui me fait croire que je suis plus heureuse qu'elle ne l'était à mon âge, car elle a dû surmonter tellement d'obstacles pour pouvoir travailler. Je n'ai pas eu à me battre pour vivre la vie dont j'ai vraiment envie.»Mère sédentaire, fille nomade
Irène Boulanger-Michaud, 68 ans. Habite la même maison à Saint-Hilaire depuis 1979.
«J'ai eu Élise à 32 ans, puis Anne deux ans plus tard. Bien que mon mari et moi ayons continué de faire quelques voyages en Floride et en Californie avec nos filles - elles ont toujours été de bonnes voyageuses! -, nous avons privilégié la vie à la maison. Avec le temps, notre maison est devenue le quartier général des enfants du quartier. Ils pouvaient se retrouver 10 ou 12 à investir la salle de jeux au-dessus du garage. On avait de grosses malles remplies de vêtements; les petits se déguisaient et faisaient des pièces de théâtre. Elles ont eu du fun et moi aussi, je me suis beaucoup amusée! «Je n'ai jamais rêvé de vivre ailleurs. Moi, je suis bien au Québec: on a un coin de pays magnifique, on est gâtés ici. J'ai fait mon nid et j'y suis bien! J'ai peut-être un peu plus besoin d'avoir mon monde près de moi que ma fille, qui est bien seule et très indépendante. Bien que je n'envie pas ma fille, j'admire ce qu'elle a fait. Partir avec une bourse trop mince pour subvenir à ses besoins, si bien qu'elle a dû travailler dans un pays qu'elle ne connaissait pas, ça prend beaucoup de courage. On n'était pas vraiment d'accord qu'elle aille vivre loin de sa famille. La deuxième fois qu'elle a quitté pour Taipeh, on a tout fait pour l'en empêcher. Mon mari lui a longuement parlé pour la convaincre de rester, mais son idée était faite! Bien que ça représente un gros sacrifice pour nous, on ne peut retenir nos enfants contre leur gré. Ma fille est-elle heureuse? Sûrement, à sa façon: elle aime tellement être ailleurs. Heureuse à 100 %? Je n'en suis pas certaine... Elle sera probablement toujours tiraillée entre deux ou trois endroits. On n'aurait jamais dû l'abonner à la revue Géo lorsqu'elle était petite!» (rire)
Élise Michaud, 32 ans, vit depuis 6 ans à Taipeh (Taiwan), où elle enseigne l'anglais dans une université. S'apprête à déménager en Corée.
«J'ai toujours été intéressée par des pays comme l'Inde, la Chine, etc. Plus c'était exotique, mieux c'était. De fil en aiguille, j'ai pu rencontrer des gens qui vivaient à l'étranger grâce à l'enseignement de l'anglais. En 1999, alors que je terminais ma maîtrise, j'ai demandé, avec succès, une bourse pour aller apprendre le mandarin à Taiwan. L'occasion était parfaite. Je me suis dit: "OK, faisons le grand saut!" Après un premier séjour d'un an à Taipeh, en 1999, j'ai essayé de revenir vivre au Québec, mais ma vision des choses avait vraiment changé. Là-bas, j'avais découvert la simplicité, la liberté, les longues vacances, le plaisir de voyager dans tous ces magnifiques pays situés tout près les uns des autres (plutôt que de claquer mes économies sur un nouveau sofa) et ça m'a donné une autre perspective. Si bien qu'à mon retour au Québec je n'ai pas su renouer avec les joies matérialistes; j'avais hâte de regagner l'Asie. Je suis repartie 2 ans après.
«Si certains m'admirent, plusieurs me perçoivent comme la fille «pas branchée». J'ai souvent entendu: «À un moment donné, tu vas t'ennuyer et tu vas revenir.» Je sais aussi que mes parents s'ennuient de moi et c'est réciproque. Cependant, on se parle énormément par téléphone: vive Skype! Suis-je plus heureuse que ma mère? Hum... Ma mère a peut-être le bonheur plus facile que moi, ce que j'attribue surtout à une question de tempérament. D'autre part, bien sûr qu'il y a des moments difficiles, et je me sens alors très loin. Et ma vie ailleurs ne progresse pas au même rythme que celle de mes amies installées ici. Quand je reviens au Québec et que je vois mes amies qui ont leur deuxième ou troisième bébé, une maison et une bonne job, je les envie un peu. Mais, somme toute, je referais la même chose. Grâce à la stabilité de mes parents, j'ai eu une très belle enfance, je n'ai jamais eu peur que mes parents déménagent. Ça a peut-être joué sur la personne que je suis aujourd'hui. Je me sens vraiment libre, tout à fait moi-même et j'ai l'impression de faire exactement ce que je veux dans ma vie, et ça, pour moi, ça n'a pas de prix.»Avoir des enfants... et ne pas en avoir
Marie-Paule Grégoire, 78 ans, mère de deux garçons de 56 et 54 ans et de Carole, 43 ans. N'a aucun petit-enfant.
«J'ai toujours eu un don avec les enfants. Quand j'ai perdu ma mère à 9 ans, puis ma grand-mère 7 ans plus tard, j'ai laissé l'école - j'avais une 7e année - pour m'occuper de mes frères et soeurs plus jeunes. J'ai aussi travaillé à garder les enfants des autres. Aussi, à 20 ans, lorsque je me suis mariée, la question ne se posait pas: j'allais avoir des enfants et m'occuper d'eux. J'ai laissé faire la nature et j'ai eu les deux garçons. Puis les deux grossesses suivantes ont été interrompues par des fausses couches. Je croyais bien que c'était terminé pour moi quand Carole nous a fait une surprise. J'ai dû passer les quatre premiers mois de cette grossesse alitée sans pouvoir entretenir la maison afin de m'assurer de mettre ce troisième enfant au monde. «Même si la vie n'était pas facile, je n'ai jamais été malheureuse. Il pouvait arriver des incidents, mais jamais au point de m'attrister ou de me faire regretter des choses. Je prenais - et c'est toujours le cas - la vie au jour le jour. Même si on n'était pas riches, on avait notre famille. On savait se contenter de peu et on était heureux. Quand Carole a choisi de ne pas avoir d'enfants, j'ai compris son choix. Elle a étudié pour être esthéticienne et avoir son commerce. Je ne l'imagine pas se lever le matin, aller reconduire le petit chez la gardienne et aller le chercher le soir. De toute façon, je trouve que la vie d'aujourd'hui se prête moins bien à la vie familiale qu'avant. Tout ce dont les gens se préoccupent, c'est d'avoir plus beau que l'autre. Je trouve qu'il y a beaucoup de jalousie. Il y a beaucoup d'enfants dont les parents se séparent et qui se retrouvent à aller de maison en maison. Je trouve donc qu'elle a fait un bon choix.»
Carole Grégoire, 43 ans, en couple, sans enfants.
«Il n'a jamais été question pour moi d'avoir des enfants. Plus jeune, j'ai entendu des commentaires de parents qui laissaient croire qu'avoir des enfants ça vous empêchait de faire ce dont vous rêviez. Je crois qu'inconsciemment ça a fait son chemin. D'autre part, les conjoints que j'ai eus en cours de route n'ont jamais éveillé ce désir chez moi. À la différence de mon chum actuel: l'avoir rencontré plus tôt, peut-être ma vie serait-elle différente aujourd'hui... Je ne le saurai jamais. En revanche, j'ai toujours été entourée d'enfants de tous les âges. Mes amis ont des enfants et mon conjoint est grand-père. Quand je prends un petit bébé dans mes bras, j'éprouve quelque chose de très fort, mais je suis tout aussi contente de le rendre à ses parents. «Bien que j'assume mon choix, je me suis souvent sentie jugée et incomprise. Il y a un énorme tabou social autour de la question. On a qualifié ma décision d'égoïste, on a remis ma féminité en question. Moi, je réponds que je ne crois pas au fait de mettre un petit être au monde pour ensuite le confier la plupart du temps à des gardiennes. Comme mon commerce exige beaucoup de temps, d'énergie et de sacrifices, je ne crois pas que j'aurais pu consacrer tout le temps qu'il faut à un enfant. Bien que ma réalité soit entièrement différente de celle de ma mère au même âge, je suis heureuse, comblée sur tous les plans. Je jouis d'une liberté totale. Je crois qu'à mon âge ma mère était heureuse de nous avoir, mais peut-être n'avait-elle pas la même liberté que j'ai aujourd'hui. Mais elle a toujours été heureuse d'avoir bâti une famille, et même s'il y avait parfois des choses qui accrochaient, ce n'était pas assez pour la rendre malheureuse.»
Quelques statistiques
Québécoises à temps plein sur le marché du travail qui sont aussi mères d'enfants de moins de 6 ans
1976: 18,5 %
1991: 41,9 %
2006: 58,1 %
Source: Gouvernement du Québec.
Indice de fécondité
1851: 6,8 enfants par femme
1891: 5,6 1921: 5,3
1946-60: 4 1970: 2,1
1990: 1,7 2006: 1,6
Source: Gouvernement du Québec.
Nombre de mariages au Québec (par 1 000 habitants)
1900: 6,5 1950: 8,6
1970: 8,2 2006: 2,9
Source: Gouvernement du Québec.
Québécoises de plus de 25 ans qui détiennent un certificat ou un diplôme universitaire
1981: 163 995
1991: 301 140
2001: 474 710
Source: Gouvernement du Québec.
Pour aller plus loin