Vie de famille

Une histoire d'adoption: De Taïwan à Shawinigan

Une histoire d'adoption: De Taïwan à Shawinigan

   Photographe : Lucila Perini | agoodson.com

Vie de famille

Une histoire d'adoption: De Taïwan à Shawinigan

Je m'appelle Marie, j'ai 28 ans et j’ai été adoptée à Taïwan. Je suis arrivée à Shawinigan à l’âge de six mois et, pourtant, aux yeux de certains, je ne serai jamais assez québécoise.

C'est délicat de parler d’adoption. Ma réalité n’est pas toujours rose; elle est faite de combats quotidiens.

Or on dirait que je n’ai pas le droit d’exprimer de la colère. Comme j’ai été sauvée d’une existence qui aurait pu être dramatique et qu’on m’a offert une meilleure vie, on s’attend à ce que j’exprime uniquement de la reconnaissance. Tout autre sentiment s’en éloignant fait de moi une ingrate qui n’apprécie pas la chance qu’elle a.

«À l’époque, l’adoption était vue comme un geste charitable, alors qu’on sait maintenant que bien des parents adoptent par désir d’avoir un enfant. Un enfant séparé de ses parents biologiques a vécu une grande souffrance, il peut être à la fois très content de ce qu’il a et très triste d’avoir perdu ce qu’il avait. L’adoption ne répare et n’efface rien, ça limite les dégâts», explique Johanne Lemieux, travailleuse sociale, psychothérapeute, auteure et spécialiste du suivi postadoption attachement.

«Est-ce que tu as coûté cher à tes parents?» «Pourquoi ta mère biologique ne voulait plus de toi?» C’est le genre de questions blessantes auxquelles j’ai déjà eu droit. Souvent, on m’interroge sur mon ethnie ou on me pose des questions très personnelles sur mon lieu de naissance, mes habitudes alimentaires et mes parents biologiques. On me demande s’ils savent ce que je suis devenue ou s’ils conservent un souvenir de moi. Parfois, ces intrusions proviennent de purs inconnus dans les magasins! Et ça ne date pas d’hier, puisque mes parents me disent qu’ils se faisaient déjà poser ce genre de questions alors que je n’étais qu’un vulnérable poupon dans sa poussette.

«Les gens se montrent parfois très impudiques, maladroits. Ces comportements manquent d’empathie et sous-tendent une curiosité malsaine. Pourquoi serait-on obligé, au nom de l’adoption, de raconter sa vie à n’importe qui? C’est traumatisant d’avoir été abandonné, et ces intrusions réactivent cet état-là», souligne Johanne Lemieux.

L’attitude de mon interlocuteur fait toute la différence. J’ai tendance à m’ouvrir davantage quand la personne est consciente de mon malaise et qu’elle accepte que je ne veuille pas répondre à certaines questions. J’ai mes limites et j’aime bien que la personne devant moi les respecte.

Je comprends que l’exotisme soit objet de curiosité. Mais moi, j’ai vécu 6 mois à Taïwan et 27 ans et demi à Shawinigan. Je trippe sur le fromage, le spaghetti et la poutine. Ai-je droit au statut de Québécoise? «Les adoptés ont besoin de construire leur identité, leur appartenance et leur propre histoire. Ils ont un grand besoin d’être acceptés et aimés. Comment voulez-vous qu’ils évoluent si on les ramène constamment à la case départ?» demande Johanne Lemieux.

Avec les notions d’identité viennent bien souvent celles de racisme. Je trouve difficile d’entendre que le racisme n’existe pas au Québec, alors que je me fais rappeler quotidiennement que je n’ai pas les mêmes traits que les autres et que mon visage ne concorde pas avec mon accent québécois. Je ne compte d’ailleurs plus le nombre de fois où je me suis fait traiter de «chintok», de «karate kid», de «chinese»... Super, pour une fille qui n’est même pas chinoise! Pendant que j’y suis, arrêtez de me demander si je vois encore quelque chose quand je ris. C’est lassant à la fin...

Je pense qu’il y a une méconnaissance du sujet et même une banalisation du racisme envers les Asiatiques. Parce qu’il existe des préjugés favorables à notre endroit (on dit que nous sommes bons à l’école, en musique et en informatique), j’ai moi-même eu tendance à minimiser ce que je vis. Au moins, je ne suis pas victime de profilage de la part de la police, que je me disais.

En discutant avec d’autres Asiatiques québécois, j’ai compris que je n’étais pas la seule à avoir été ébranlée par le mouvement #StopAsianHate, qui a pris naissance aux États-Unis en réponse à l’augmentation des crimes haineux envers les Asiatiques. Beaucoup de choses sont remontées à la surface et m’ont fait réaliser que l’accumulation de petits actes de racisme ordinaires avait laissé des traces.

Je crois qu’il faut en parler. Il faut nommer notre inconfort et dire qu’il faut que ça cesse. De mon côté, les cafés-rencontres de l’organisme L’Hybridé auxquels j’ai participé avec d’autres adoptés m’ont fait le plus grand bien. Faire partie d’un réseau nous permet de découvrir de nouvelles ressources et de prendre conscience que nous ne sommes pas seuls. Sur une note plus positive, je tiens à remercier toutes les personnes qui s’informent, qui acceptent et qui aiment sans jugement. Nous avons besoin de plus d’alliés comme vous.

 

 

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