Vie de famille
L'importance de prendre du temps pour soi
Photographe : Stocksy
Vie de famille
L'importance de prendre du temps pour soi
Pour plusieurs, pouvoir se réserver du temps en solo, quand on est parents, est peu réaliste.
Certains y voient un geste égoïste, d’autres se sentent coupables de le faire... particulièrement les mères. Et si, malgré tout, c’était important?
Pendant la pandémie, Anaïs Perron, 40 ans, en couple depuis 15 ans et mère de deux préadolescentes, a réalisé que son rôle de mère avait pris le dessus sur toutes les autres facettes de sa vie. Isolée et confinée avec son clan, elle a décidé que les choses allaient changer.
«J’ai eu une grosse discussion avec mon conjoint, nous confie-t-elle. Je me suis rendu compte que j’avais des besoins et qu’ils n’étaient pas écoutés, pas respectés. Pourquoi, lui, partait-il sans souci en voyage de plein air avec ses amis, tandis que moi, j’avais l’impression que je ne pouvais pas quitter la maison, même pas 24 heures, sans quoi on me faisait sentir que tout s’effondrerait?»
Anaïs voulait absolument profiter de l’accalmie entre deux vagues de covid-19 pour partir en solo... sans se sentir jugée. «Au contraire, je voulais être soutenue et encouragée», lance celle qui est partie une semaine, seule, au Mexique, à l’automne. «Et il n’était pas question que je prépare quoi que ce soit avant de partir. J’ai dit à ma famille: “Oubliez-moi! Je n’existe plus. Débrouillez-vous. Je vous aime, on se reparle dans une semaine.”»
Ce besoin de se retrouver, de faire de l’introspection, d’être totalement libre et de se redécouvrir, en quelque sorte, a fait le plus grand bien à Anaïs. «Ce n’est pas facile de passer du temps en solo, mais... c’est essentiel, raconte-t-elle. J’ai pu réfléchir, en continu, sans interruption, et faire le point. Je suis revenue calme, détendue et... je m’étais ennuyée de ma gang!»
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Passer en premier
L’animatrice et conférencière Marcia Pilote est intraitable: passer du temps seule avec soi-même n’est pas seulement important, c’est un devoir. «C’est un peu mon cheval de bataille depuis 20 ans, souligne-t-elle. Je pense qu’il y a un interdit concernant les mères qui veulent prendre du temps en solo, car la société nous martèle qu’être une bonne mère, une bonne femme, c’est prendre soin et être au service des autres, et donc qu’il est normal de se faire passer en dernier. C’est la chose altruiste à faire.»
Poser un geste qui va à l’encontre de ce modèle de personne empathique, douce et gentille, c’est renverser des millénaires de conditionnement, avance-t-elle, une tâche peu aisée... même en 2022! «Oui, mon message est féministe, dit-elle, car je considère qu’on parle ici de sexisme ordinaire. Pourquoi une personne dans le couple a le droit de faire ce qu’elle veut et l’autre pas? La peur d’être jugée et de sortir du moule empêche l’épanouissement des femmes.»
Isabelle Marjorie Tremblay, chroniqueuse, animatrice et mère de deux enfants de 15 et 11 ans, est souvent partie seule en voyage. Et si elle le fait d’abord pour le boulot, elle aime prolonger ses séjours juste «pour le fun». «Je le fais sans remords et sans culpabilité, affirme-t-elle. Ça fait partie de mon équilibre. Partir seule me permet de faire le vide, de prendre du recul, de ne penser qu’à moi, qu’à mes envies et mes intérêts. Il y a un effet thérapeutique à se retrouver en tête-à-tête avec soi-même!»
Pour la psychologue Lory Zephyr, le discours voulant qu’une mère qui se retire de son rôle, même momentanément, «abandonne» sa famille est encore très nourri en société. «Par exemple, on va applaudir une mère qui prend congé et qui retire son enfant de la garderie ce jour-là pour passer du temps de qualité avec lui, glisse-t-elle, mais je crois que ça prend un équilibre entre le temps qu’on consacre aux autres et celui qu’on se réserve à soi. Si j’ai ce besoin-là et que je n’y réponds pas, je peux devenir irritable, anxieuse ou avoir des symptômes dépressifs. Il y a un coût à se déconnecter de soi-même!»
Être autre chose qu’un parent
Nancy Doyon, éducatrice spécialisée et coach familiale, rappelle qu’être un bon parent, c’est d’abord et avant tout être un parent heureux. Et cela ne signifie pas qu’il faille répondre toujours, totalement, à la minute près, aux besoins de nos enfants. «Évidemment, ça dépend de leur âge, nuance-t-elle, on ne parle pas de la période 0 à 4 ans, où il est normal que le rôle de parent prenne beaucoup de place. Mais ensuite, je pense qu’il est important de dépoussiérer les autres chapeaux: on n’est pas que des travailleurs et des parents!»
Elle considère d’ailleurs que c’est un piège de tout faire en famille... ou en couple! La notion de modèle entre en considération, indique-t-elle. «Si je sacrifie tous mes plaisirs pour l’autre, je suis en train de dire que tout le monde devrait le faire... C’est comme montrer que si tu aimes quelqu’un, qu’il s’agisse d’amitié ou d’amour, tu dois mettre tout le reste de côté, tu dois cesser d’avoir une vie!» Une porte grande ouverte pour les relations toxiques...
La globe-trotteuse et journaliste voyage Marie-Julie Gagnon a vite compris que son besoin de solitude était fondamental. Mère d’une adolescente et en couple depuis 20 ans, elle estime que cet espace lui permet de devenir plus autonome, d’avoir davantage confiance en elle et en son instinct... Étonnamment, ça l’aide aussi à réduire son anxiété. «Quand tu es seule, tu apprends à être bien avec toi-même, note-t-elle, et tu t’aperçois que tu peux te sortir de n’importe quelle situation. Il y a une grande bouffée de liberté qui vient avec ce temps précieux passé en solo.»
Si Marcia Pilote parle de retrouver sa «vitalité» et son «essence» en passant du temps seule, Lory Zephyr invoque quant à elle une meilleure connaissance de soi et une définition plus claire de ses besoins et de ses limites. «Il y aura de nouvelles émotions et de nouvelles sensations qui vont émerger après un certain temps, explique la psychologue. C’est utile, ça permet de découvrir de nouvelles facettes de soi, de s’ouvrir et d’être curieux.»
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Le plein d’énergie
Nancy Doyon ajoute qu’il y a là un vase communicant: un parent plus fatigué sera plus stressé, plus chargé émotivement, et donc forcément moins patient avec les enfants. À l’inverse, un parent qui a fait le plein de temps pour lui-même sera plus serein et épanoui. «Notre présence sera de plus grande qualité, précise-t-elle, et ce n’est pas bon que pour les enfants, c’est aussi bon pour soi!»
Et si on ne l’a jamais fait? Et si, comme Anaïs, on n’a jamais osé, on a refoulé trop longtemps cette envie, cette soif de temps en solo? «Il faut en parler avec notre conjoint, nos enfants et nos proches, et se mettre en priorité, se mettre à l’agenda», révèle la principale intéressée, qui raconte avoir beaucoup «lu, dormi, marché et écouté des séries en rafale» pendant cette semaine passée seule dans le Sud.
Partir pour mieux revenir
Isabelle Marjorie raconte à quel point les retrouvailles sont «fabuleuses», le partage d’expériences et d’anecdotes est riche. Pour Marcia Pilote, c’est l’un des avantages non négligeables du temps passé en solo: nourrir son partenaire et ses enfants d’histoires, de nouveautés, d’aventures. «Quand tu reviens, tu t’es ennuyée, tu as plein de choses à raconter, indique-t-elle. C’est une richesse d’être stimulée à l’extérieur du nid et de stimuler à son tour ses proches!»
Marie-Julie jure qu’une fois la décision prise et communiquée à son clan, il faut bloquer ce temps dans son calendrier «comme on le ferait pour un cours de Pilates», dit-elle. De son côté, elle part en solo «au moins une semaine par année».
Marcia recommande au moins «quatre heures par semaine» de temps à soi... et pas pour faire son épicerie! «Ce n’est pas obligé d’être extravagant. On en profite pour se promener, lire, écrire, ne rien faire du tout, s’adonner à une nouvelle activité ou renouer avec une ancienne.»
La plongée en apnée a été la grande découverte d’Anaïs lors de son voyage en solo. «Je croyais avoir peur des poissons et de me baigner au large... mais pas du tout! Je me suis même payé un petit voyage en bateau, et je me suis surprise moi-même. Je suis fière de moi.»
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