Vie de famille

Bats-toi comme une fille

Coup de Pouce
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Bats-toi comme une fille

Mon fils, tu aurais pu naître avec un vagin.

Je t’entends déjà dire ar-keuuuh mamaaann, mais si je t’écris tout ça aujourd’hui, c’est que j’ai peur que Harper ne mette quelque chose dans l’eau des villes pour nous faire boire son Kool-Aid. D’un coup que je me mette à voter conservateur avant que tu n’aies l’âge pour que je te dise des affaires de grands.  

Je veux que tu saches que tu es né sous le lys, mais que tu aurais pu naître sous les bombes. J'ai peur que de t'avoir mis au monde avec un pénis et des droits ne te rende indifférent à l'injustice. Ouvre-toi aux autres, quitte à réaliser comme Sartre qu'ils sont l'enfer.  

On t'apprendra fièrement que chez nous,  la femme est égale* à l’homme. Gare à l’astérisque, mon garçon ; c’est le même qui vient après le mot « garanti » sur un produit. Il présage plus de clauses d’exclusion qu’une police d’assurance.  

L'inégalité des sexes, c'est comme un nid de poule. S'il est là depuis assez longtemps, on l'oublie. Jusqu'au jour où on scrape notre char dedans. Et qu'à la place de patcher le trou, on se dit qu’au moins on n’est pas en Arabie Saoudite, où les femmes n'ont même pas le droit de conduire. On se dit qu’un petit écart de salaire de rien pour un travail égal, des lois qui légifèrent nos corps et autres contraintes insignifiantes, c’est peu cher payé la liberté québécoise.  

Je veux que tu saches que je suis née dans un pays musulman. Les femmes peuvent y conduire les cheveux au vent, aller à l’université, faire carrière, divorcer, voter et se pavaner sur les plages en bikini (tu remarqueras qu’on en parle moins, de ceux-là. Ils ont peut-être moins de pétrole?). Mais qu'aux yeux de leurs semblables comme de la loi, les femmes ont moins de valeur que les hommes et qu'il s'en ressent. Et surtout, que ces femmes-là aussi, elles se disent qu’au moins, elles ne sont pas ailleurs-où-c’est-pire.  

L'inégalité est d'autant plus sournoise quand elle ne lapide personne. Le Québec est tellement fier d’avoir une longueur d’avance sur le tiers monde qu’à la place de persévérer, il prend des selfies dans les toilettes depuis la fin de la Révolution tranquille. Mais tu es l’héritier de ses acquis et sache que l’inégalité n’est pas quelque chose qu’on tough parce que c’est pire ailleurs. Ne consent pas par ton silence pendant que les nids de poule deviennent des piscines olympiques.  

Lève-toi si une de tes camarades de classe se fait montrer la porte parce qu’elle a les épaules nues ou des shorts trop courtes. Ce qu’on lui dit, c’est que son corps est un obstacle à ton éducation, et que ça lui en coutera la sienne. Ce qu’on te dit à toi, c’est que c’est à elle d’apprendre à se cacher et pas à toi d’apprendre la civilité. Ce qu’on dit sans jamais le dire, c’est que c’est de sa faute.

On te dira qu’il n’est jamais, au grand jamais acceptable d’abuser d’une fille. Mais que sacrament, ça serait peut-être pas arrivé si elle avait été moins paquetée ou plus habillée.Exiger d’une femme qu’elle se couvre ou qu’elle se dévoile, ici ou ailleurs, c’est du pareil au même ; on lui arrache le choix parce qu'elle est née avec des ovaires. Souviens-toi que l'équité se construit par le tissu social, pas vestimentaire. Que l'éducation est la meilleure des armes contre l'inégalité.  

On te dira qu'un gars, c'est un gars. Qu'une fille, c'est différent. Méfie-toi des discours simplistes ; ils peuvent tout justifier : du fractionnement des jouets à l'excision, en passant par le renvoi d’une fillette d’une pataugeoire de Montréal à cause de son torse nu.  

Mon fils, tu es né du bon côté de l'égalité et tu devrais t'en insurger. Bats-toi comme une fille parce que tu aurais pu naître l'une d'elles. Et ne dis jamais « comme une fille » de façon péjorative. Je t’ai mis au monde « comme une fille » et je peux te jurer que c’est fait solide en ta', une fille.  

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