6-12 ans
Parlons-en: Les violences sexuelles à l'école
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6-12 ans
Parlons-en: Les violences sexuelles à l'école
L’école, c’est fait pour apprendre, jouer, se faire des amis. Pas pour subir des actes de violence sexuelle. Pourtant, 25 % des élèves, de la maternelle à la fin du secondaire, disent en avoir été victimes. Il est temps qu’on en parle.
Elisa, 7 ans, raconte à une surveillante avoir été touchée aux cheveux, aux fesses et aux seins par un élève de son âge, à l’heure du midi, dans le gymnase de son école située dans l’est de Montréal. La surveillante minimise l’événement, et lorsque la mère rencontre la directrice de l’école, on banalise ce qui s’est passé.
«Ma fille a été convoquée dans le bureau de la psychoéducatrice... avec son agresseur», raconte la mère avec émotion, outrée par la manière dont l’affaire a été gérée.
Une fillette de 12 ans est forcée d’envoyer des «nudes», ces photos de parties intimes échangées par texto ou par les médias sociaux. Elle est terrifiée et se sent coincée: elle cède. Ses images circulent dans l’établissement scolaire privé qu’elle fréquente et elles sont utilisées contre son gré. Honteuse, Jade devient dépressive.
«Elle m’a dit que j’étais la dernière personne à qui elle voulait en parler», se désole Hubert, le père de Jade, qui a soutenu son aînée dans le dépôt d’une plainte à la police.
Marie-Christine, 14 ans, a été agressée sexuellement dans le vestiaire sportif des garçons de son école secondaire, à Montréal. Son amie, témoin de la scène et retenue contre son gré pendant l’agression, a tout rapporté à l’école, puis à la police: les garçons impliqués ont été envoyés dans une autre école.
Il n’y a pas eu d’arrestation ni d’aide aux deux victimes. «On leur a recommandé de ne pas marcher seules dans les corridors de l’école, dit Clorianne Augustin, intervenante jeunesse qui a accompagné les victimes. Selon la police, ce n’était qu’un jeu d’enfant.»
Voilà trois cas de violences sexuelles, toutes vécues entre les murs de l’école. Elles ont laissé des enfants traumatisés et brisés – des parents aussi. Prises au dépourvu, les familles ne savent pas quoi faire ni vers qui se tourner. «Quand les victimes dénoncent, elles ne sont pas prises au sérieux, souligne Mme Augustin. Elles ne reçoivent pas d’explications, pas d’encadrement, elles n’ont pas voix au chapitre, il n’y a pas de suivi. Elles le vivent mal, surtout quand l’agresseur n’est pas puni... et qu’il répète son geste.»
Taboues... et pourtant répandues
Les violences sexuelles à l’école se définissent par tout geste ou toute attitude consistant à obliger une personne à subir, à accomplir ou à assister à des actes d’ordre sexuel sans son consentement sur le territoire de l’établissement scolaire (dans les corridors, la cour, les espaces communs, etc.). Elles peuvent être non verbales, verbales, physiques ou cyber.
Cela va donc des moqueries au viol, en passant par le chantage, le harcèlement, l’intimidation, l’exploitation, les attouchements, les abus et les agressions.
«C’est un sujet tabou, laisse tomber Béatrice Vandevelde, psychologue scolaire. C’est déjà tabou chez les adultes, alors imaginez chez les enfants! La notion de consentement est au cœur de la problématique. Quand on a vent d’une situation de ce genre, on intervient. Mais on ne le sait pas toujours...»
Autrement dit, bien des violences sexuelles passent sous le radar. Les chiffres sont effarants: 6 filles sur 10 âgées de 12 à 17 ans disent avoir été touchées ou agrippées de manière sexuelle à l’école, sans leur consentement, selon une étude récemment publiée (Prévention CDN-NDG, 2019). Et 8 filles sur 10 considèrent que le harcèlement sexuel est un problème à leur école.
Un autre sondage, pancanadien celui-là (Mission Research, 2019), a été réalisé auprès des 14 à 21 ans: 2 jeunes sur 10 disent avoir subi des contacts sexuels non désirés à l’école (26 % chez les filles et 14 % chez les garçons) et 12 % disent avoir été agressés sexuellement par un autre jeune ou un groupe de jeunes (15 % chez les filles, 9 % chez les garçons).
Et dans 62 % des cas, cela n’a pas été rapporté au personnel scolaire. «Il faut comprendre qu’en ce moment, une fois que les victimes font leur dévoilement, elles vivent l’enfer sur bien des plans», note Mélanie Lemay, art-thérapeute et cofondatrice de Québec contre les violences sexuelles.
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Des effets dévastateurs
Les conséquences des violences sexuelles à l’école sont immenses. Elles font des ravages sur l’estime de soi des victimes. «L’impact peut être très profond selon la nature du geste, l’historique de la personne et le contexte», explique Mme Vandevelde, qui travaille majoritairement dans des écoles primaires. «La victime peut développer un malaise à l’égard de la sexualité, de l’image de son corps, elle peut se sentir coupable et responsable.»
Selon Mme Augustin, qui accompagne des jeunes filles fréquentant l’école secondaire, la désillusion s’installe dans la tête des victimes; elles se sentent abandonnées. «Elles se disent: “Bon, alors c’est comme ça, la vie...” Et c’est là qu’il peut y avoir une montée d’anxiété, de l’automutilation, des tentatives de suicide. Il n’y a aucun filet de protection autour d’elles!»
Les victimes peuvent en venir à banaliser ces agressions et même à agresser à leur tour. «Les séquelles psychologiques sont là pour la vie, révèle Jessica Legault, co-coordinatrice et responsable du dossier éducation à la sexualité à la Fédération du Québec pour le planning des naissances. On peut réussir à briser le cycle en faisant de la prévention.»
Des solutions
Prévention: voilà bien un mot qui revient d’une intervenante à l’autre lorsqu’il est question de solutions. Pour le moment, les écoles semblent mal équipées pour affronter la tempête.
Le cours d’éducation à la sexualité, disparu des établissements scolaires il y a 20 ans, a été réintégré en septembre 2018 dans le contenu obligatoire, au primaire et au secondaire. Le ministère de l’Éducation exige que les jeunes reçoivent de 5 à 15 heures d’enseignement.
Mais il y a un bémol: ces cours sont donnés sans cadre ni balises... ou presque. «C’est aléatoire, explique Mme Legault. La qualité et la quantité de matière changent d’une école à l’autre, d’un centre de services scolaire à l’autre, et même d’un enseignant à l’autre.»
Elle fait remarquer que certaines thématiques, plus factuelles, sont abordées plus aisément: la conception d’un bébé, la puberté, les infections transmissibles sexuellement, la contraception... D’autres, plus délicates, sont escamotées: l’identité de genre, les stéréotypes, le sexisme, les relations sexuelles, les agressions, le consentement, la pornographie. «Il y a un savoir-être lié à l’enseignement de la sexualité», souligne Mme Legault, qui est membre de la Coalition ÉduSex, un groupe à la tête d’une pétition pour financer davantage et mieux encadrer les cours sur la sexualité. «Il faut savoir comment le donner, comment l’aborder, avoir le bon vocabulaire et être dans le non-jugement.»
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Sensibilisation et éducation
L’objectif, ajoute Jessica Legault, est de développer le sens critique des jeunes et parler de respect, de consentement, d’égalité des genres, de comportements corrects et incorrects, et ce, dès le plus jeune âge. «Ce n’est pas pleinement implanté, surtout en cette année de pandémie, avoue Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES). Il y a de la résistance. Les professeurs ne sont pas tous outillés pour ça. Il existe des capsules clés en main et des formations, mais les enseignants doivent s’approprier le contenu.»
Kathleen Legault croit que la pénurie de personnel et de professionnels, partout au Québec, explique en partie ce fossé entre les demandes du ministère et ce qui se passe sur le terrain. «La tâche est trop grande», laisse-t-elle tomber. L’un des principaux problèmes est le manque de préparation et de formation. Selon un sondage réalisé en novembre 2020 par Club Sexu, un média à but non lucratif, 75 % des enseignants affirment ne pas avoir reçu de formation pour donner des cours d’éducation à la sexualité. «Le financement des écoles doit être amélioré si l’on veut qu’elles obtiennent plus d’heures de formation et plus de ressources. Les organismes communautaires doivent recevoir plus d’argent également. En 2003, ce sont eux qui ont pris le relais dans le domaine de l’éducation à la sexualité», déclare Jessica Legault.
Vers une loi?
Rares sont les écoles où il existe un processus pour porter plainte ou se confier. Peu de sexologues y exercent.
Au collège Jean-de-Brébeuf, une école secondaire et collégiale privée de Montréal, Claudine Samson a été embauchée il y a un an et demi comme sexologue et intervenante en matière de violences à caractère sexuel. Deux boîtes vocales et un courriel unique ont été mis en place pour dénoncer et faciliter les échanges de façon confidentielle et anonyme. «Cependant, c’est le fait de les voir en classe, lorsque je donne des ateliers, qui change tout, dit Mme Samson. Chaque fois que je fais ma tournée, j’ai au moins deux ou trois élèves qui viennent ensuite me voir en privé ou qui m’écrivent. Ils ont mis un visage sur la ressource, ils savent que je suis accessible, disponible. Un lien se crée.»
Au Centre de services scolaire de Montréal, un protocole d’intervention en matière de violences sexuelles a été instauré en janvier 2020, après qu’un groupe de sept jeunes filles eurent livré des témoignages troublants à une séance du conseil des commissaires, au printemps 2018. Elles sont aujourd’hui 13 jeunes filles, âgées de 15 à 20 ans, à dénoncer les violences sexuelles. Depuis quatre ans, elles réclament l’adoption d’une loi-cadre par le gouvernement du Québec pour contrer les violences sexuelles dans les écoles primaires et secondaires. Elle existe déjà pour les cégeps et les universités depuis 2017.
«Elles veulent être protégées, indique Clorianne Augustin, l’intervenante qui accompagne le groupe. Elles veulent plus de sécurité et de reconnaissance de droits en milieu scolaire, avec des protocoles clairs comprenant le suivi des victimes et des agresseurs. Elles souhaitent qu’il y ait un espace sécuritaire et personnel pour le dévoilement et le dépôt de plaintes, avec plus de ressources et un personnel mieux formé.»
Une motion a été adoptée en mars dernier à l’Assemblée nationale pour la création de cette loi. C’est un bon premier pas, croit Mélanie Lemay, membre du Mouvement pour des écoles sans violences sexuelles. «On veut qu’il y ait un processus à déclencher en cas de plainte, et que ce soit uniforme. Et l’on aimerait que le dévoilement soit plus aisé, plus facile, martèle-t-elle. Il faut que le message soit entendu: l’école doit être un milieu sain et sécuritaire. Ça prend une loi qui a du mordant et qui signe la fin de l’impunité.»