Loisirs et culture

On rencontre Marie-Thérèse Fortin

On rencontre Marie-Thérèse Fortin

Auteur : Coup de Pouce

Loisirs et culture

On rencontre Marie-Thérèse Fortin

L'interprète de Claire Hamelin, la radio-oncologue de Mémoires vives, sirote déjà un chablis lorsque j'arrive au restaurant du TNM. Il est midi, et c'est bondé. Pourtant, impossible de la manquer. Pas qu'elle soit du genre à vouloir se faire remarquer, mais sa beauté prend le plancher. Littéralement, elle irradie.

Alexia Bürger a été son adjointe au Théâtre d'Aujourd'hui, que Marie-Thérèse a dirigé pendant huit ans. «Les gens l'adorent! lance-t-elle d'emblée. C'est l'une des femmes les plus impressionnantes qu'il m'ait été donné de rencontrer. C'est une force de la nature. Elle est tranquille, pourtant elle déplace des montagnes. Elle doute tout le temps, mais il se dégage d'elle une telle confiance, en nous et en elle-même. Elle est passionnée, capable de jouer et de diriger, et vite à repérer ce qui ne va pas et rectifier le tir. En plus, c'est une fédératrice sans égale: après une première, elle invite les gens chez elle, et malgré des horaires dignes d'Obama, soyez assurés qu'elle aura cuisiné pour tous!»

Mère de théâtre, femme de famille

Marie-Thérèse Fortin avait 38 ans lorsque le Théâtre du Trident, à Québec, lui a demandé d'assurer sa direction artistique. «Ces situations, qu'on appelle des opportunités, semblent souvent se produire à des moments inopportuns», observe la comédienne, 15 ans plus tard.

Effectivement, ce n'était pas le meilleur moment. Déjà maman de Samuel, 3 ans, elle venait tout juste de mettre au monde sa fille, Emma. Elle se souvient du sentiment de peur qui lui rongeait l'estomac. «J'avais aussi peur de dire oui que de dire non! J'avais la crainte de tout rater, à la fois ma famille et mon mandat professionnel. C'est Michel, mon mari, qui a trouvé les mots pour me rassurer. Il m'a dit: Tu ne seras pas la première mère à mener de front un gros mandat. Et si ça ne marche pas, tu démissionneras!»

 

Cette liberté lui a donné des ailes. «Mais dans les faits, rectifie-t-elle, ma liberté s'appelait Marie-Paule. Elle a été une nounou sensationnelle, indispensable. Elle était là pour mes enfants, aimante, présente, chaleureuse. Elle les a aimés.» Résultat: même si la petite famille est aujourd'hui installée à Montréal et l'ancienne nounou, toujours à Québec, Emma lui envoie encore ses photos d'école. «Ce geste vient de ma fille. Leur relation ne s'éteint pas», observe la comédienne. A-t-elle l'impression d'avoir manqué quelque chose? «Au contraire. Je pense que mes enfants ont reçu le meilleur de tout. Et observer cette affection qu'ils ont pour Marie- Paule me touche et me fait plaisir. Mes enfants sont capables d'attachement, de reconnaissance et d'amour - c'est pour en arriver là qu'on les élève, non?»

Un parcours impressionnant

C'est peut-être dans sa propre enfance qu'elle puise son énergie et le coeur au ventre qui la caractérise. Bébé d'une famille de dix enfants, élevée parmi quatre grandes soeurs et cinq grands frères, elle n'hésite pas à avouer qu'elle a grandi au sein d'un milieu culturellement assez pauvre. «C'était l'époque, il y a plus d'un demi-siècle. Ça n'a pas empêché mes frères et soeurs de devenir enseignants. Quand je pense à ce qui manquait et que je compare cela à la génération de mes enfants, qui ont tant de possessions et tant de choix, je me dis que le manque, finalement, c'est sans doute un fantastique moteur pour avancer.»

Et c'est pour faire son métier autrement qu'elle a accepté les commandes artistiques du Trident. Elle s'est lancée avec l'idée de faire de ce théâtre et, par ricochet, de Québec un lieu de rayonnement. En invitant Robert Lepage à y présenter ses premières, elle a largement contribué à faire de «son» théâtre un pôle de production de marque. Et dans l'industrie, on s'entend pour dire qu'elle a livré la marchandise bien au-delà des attentes.

Sept ans plus tard, en 2004, elle a pris la direction artistique et la codirection générale du Théâtre d'Aujourd'hui. En plus de jouer - on l'a vue triompher au TNM dans Elizabeth, roi d'Angleterre, un rôle-titre qui lui a valu le prix Gaston-Roux de l'interprétation féminine -, elle a aussi fait plusieurs mises en scène, dont certaines ont connu un rayonnement hors Québec. Marie-Thérèse est aussi très présente à la télévision. Après 4 et demi, où elle a fait ses débuts, elle a été la Françoise du Monde de Charlotte et d'Un monde à part, une performance qui lui a valu trois Gémeaux. Elle a été des séries Jack Carter, Temps dur, Casino et Les Hauts et les Bas de Sophie Paquin. Au grand écran, on l'a vue dans Sans elle et dans Les Grandes Chaleurs de Sophie Lorain.

Et comme si jouer, diriger et administrer n'était pas assez, Marie-Thérèse chante. Au printemps, à l'Alliance française de Toronto, elle présentera à nouveau son spectacle inspiré du répertoire de Barbara. Elle est de la distribution de Belles-Soeurs, une adaptation musicale de la pièce de Michel Tremblay née sous sa propre direction artistique, au Théâtre d'Aujourd'hui. Le spectacle, monté par René-Richard Cyr et Daniel Bélanger, est actuellement en tournée au Québec et a cassé la baraque jusqu'à Paris.

Ça fait pas mal de talent en une seule personne... Humble, elle a tendance à mettre les freins lorsqu'on s'étonne devant ses réalisations. «Je travaille en partenariat. D'abord avec Michel. Pour lui, ça n'a pas toujours été facile, mais je pense qu'avec le temps, ma passion s'est canalisée et je me suis déposée. Les artistes doivent apprendre à creuser leur sillon seuls. On se sent longtemps tributaire du regard des autres, et il faut apprendre à s'en détacher. Si l'on est fidèle à soi-même, le regard des autres va suivre.» Elle n'hésite pas à dire que son chum l'a beaucoup inspirée à voir les choses de cette façon. «Michel est un homme ordinaire.» Ça ne va pas le blesser de lire ça dans un magazine? «Dans l'ordinaire, il y a de l'or», répond-elle du tac au tac. Dans l'extraordinaire, aussi.

Les plaisirs de Marie-Thérèse

1. Lire plusieurs livres à la fois

Au moment où nous réalisons cet entretien, je lis en parallèle la biographie de Françoise Giroux, de Laure Adler, et L'Art de ne rien faire, de Dany Laferrière. Je relis aussi, 30 ans après l'avoir étudié, La Détresse et l'Enchantement, de Gabrielle Roy. Son parcours est une véritable leçon. Rien ne la prédisposait à être l'écrivain qu'elle est devenue, sinon sa détermination. Sa vie, vécue dans l'adversité, me touche immensément. Et pour me détendre, je suis les péripéties de Harry Hole, un inspecteur de police d'Oslo créé par l'auteur norvégien Jo Nesbø. Son style est assez proche de Michael Connelly, mais en politiquement moins correct! Ses polars me font complètement décrocher.

2. Faire battre mon coeur

Je ne suis pas une super-sportive, mais mon chum l'est. Alors, sans me lancer, bouger fait partie des valeurs ambiantes chez nous. La marche nordique, avec les bâtons et tout, me convient tout à fait. Le ski de fond dans le Parc d'Oka... Mon chum va faire son entraînement en pas de patin et ensuite, il fait sa promenade de détente avec moi, en mode classique, vous voyez le genre? En saison, en bonne urbaine que je suis, je marche, et je m'inscris régulièrement à des cours en piscine. C'est de la gym liquide, ni plus ni moins que de l'exercice aérobie dans l'eau. Et je fais aussi du vélo. Finalement, ça commence à faire pas mal de sport!

3. Cuisiner

C'est une soupape. Comme tous les cuistots qui se respectent, j'aime bien le faire avec du temps devant moi, des ingrédients de choix et du monde que j'aime qui se réunira quelques heures plus tard autour de ma table. Mais j'aime aussi le défi de le faire en 30 minutes, l'air de rien, avec pas grand-chose dans le frigidaire. Ce genre de petit combat me fait plaisir. Ça me vient de ma mère...

Échange de coups

1. Coup de pédale Mon chum, Michel, s'entraîne sur une distance d'environ 5 000 km par saison. Il me prend en passant après ses entraînements et on fait ensemble ses balades de récupération. On appelle ça de l'équilibre!

2 Coup d'audace Avoir mis en scène des pièces comme La Liste, de Jennifer Tremblay, ou programmé Bob, de René-Daniel Dubois. La première était d'une auteure inconnue du public, et la seconde dormait au fond d'un tiroir. Et elles ont connu le succès que l'on sait. (NDLR: La Liste a été présentée à travers le Canada et a tenu l'affiche pendant une centaine de représentations.)

3. Bon coup Avoir invité Robert Lepage à casser ses pièces à Québec même, et non à l'étranger. Résultat: La Face cachée de la lune a d'abord été présentée à Québec.

4. Coup dur Prendre la décision de quitter la direction théâtrale. C'est sûr que je m'ennuie de mon équipe et de cette ébullition de talents.

5. Coup de coeur Sophie Lorain, la réalisatrice du long métrage Les Grandes Chaleurs. C'est une travailleuse incroyable, une femme très droite, une artiste talentueuse et réfléchie, une leader tranquille, à la fois douce et très forte. Je l'admire beaucoup.

6. Coup de gueule Devant une injustice, il m'arrive de péter une coche. Un exemple? Le crime d'honneur. Qu'on en vienne à disposer de la vie des femmes m'apparaît simplement inadmissible et grotesque.

7. Coup de génie Avoir su m'entourer au cours des 15 dernières années et avoir eu bien en tête mes limites.

8. Coup de tendresse Quand je regarde mes deux «flos» manger leurs toasts au petit-déjeuner. Ils discutent de leurs affaires. Michel est là. Je sais que j'ai tout au monde et que je ne pourrais rêver de mieux.

9. Coup de chance Avoir connu le réalisateur Christian Martineau. Il est décédé en 2005, à 52 ans - c'est presque mon âge. C'est lui qui a permis mes débuts dans 4 et demi.

10. Coup de départ L'Islande, l'Écosse, l'Angleterre, la Croatie, le Chili, l'Australie... La liste de mes destinations désir est longue, mais peu importe, je veux voyager là où les gens vivent.

11. Coup de dés C'est toujours ma façon de voir les choses lorsque je vais en audition. Je ne me stresse pas avec ça. J'y vais, j'apporte une proposition et je rentre chez moi avec la conviction profonde que ce qui doit arriver arrivera. Je ne me mords jamais les doigts pour avoir manqué un rôle.

12. Coup de grâce Je ne rêve jamais d'un rôle. Je préfère faire rêver!

13. Coup de bistouri En fin de quarantaine, je me suis posé la question concernant la chirurgie esthétique. J'y vais ou non? J'ai dit non, d'instinct. Aujourd'hui, il y a tout un mouvement d'actrices qui s'imposent aux États-Unis - les Susan Sarandon, Kate Blanchett, Meryl Streep. J'adhère. J'ai besoin que mon visage puisse transmettre une gamme d'émotions, et pour cela, je ne peux le figer dans le temps. J'ai 53 ans et pour le moment, c'est toujours non.

14. Prochain coup (Elle plisse le nez, espiègle.) J'aurais envie de diriger des acteurs, à la télé ou au cinéma!

Découvrez la vidéo de la séance photos de Marie-Thérèse Fortin.

 

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