Loisirs et culture
Olivia de Lamberterie en 5 mots
Photographe : Jean-Luc Bertini
Loisirs et culture
Olivia de Lamberterie en 5 mots
La critique littéraire et journaliste au magazine Elle France, Olivia de Lamberterie, lance son premier livre, Avec toutes mes sympathies, inspiré de la mort de son frère Alex. L’auteure était de passage à Montréal, au début de l’été, pour présenter cet ouvrage à la fois personnel et universel. Le voici en cinq mots.
MONTRÉAL: «Quand il a eu 30 ans, mon frère a fait une première tentative de suicide. Il a été soigné pendant plusieurs mois et, après, il a voulu donner sa démission à son patron, mais celui-ci l’a refusée. Il a plutôt proposé à Alex d’aller à Montréal. À l’intuition, il a accepté. Montréal m’a ravi mon frère et, en même temps, très vite, j’ai compris pourquoi, lui, a été ravi par Montréal. Une des dernières fois que je suis venue, mon frère et ma belle-sœur m’ont fait visiter le Mile-End. J’ai vu l’édifice Ubisoft où mon frère travaillait, la brasserie où il allait déjeuner, les boutiques qu’il aimait. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est cet après-midi-là que j’ai compris pourquoi mon frère aimait Montréal et pourquoi il ne reviendrait jamais à Paris… C’était donc très important pour moi de venir à Montréal pour lancer ce livre. Ici, il a une autre dimension. Les Québécois le liront probablement différemment aussi.»
MÉLANCOLIE: «Les choses ont vraiment basculé à l’été 2015. J’étais en vacances en Espagne lorsque Florence, sa femme, m’a appelée. Elle m’a dit: «Alex a disparu.» Elle avait lu des lettres d’adieu dans l’ordinateur laissé ouvert. La police a heureusement trouvé mon frère avant qu’il ne passe à l’acte. J’ai eu l’impression que ce n’était pas comme la première fois. La mélancolie était en train de gagner. Je sentais quelque chose de l’ordre de Nelly Arcand, d’inexorable. On allait tout faire pour le retenir, mais il y avait quelque chose qui nous dépassait. Quelques jours avant sa mort, le 15 octobre, je lui ai parlé par FaceTime et j’ai senti qu’il n’était pas bien. Après notre conversation, je lui ai envoyé une petite phrase que j’avais lue dans un poème de Leonard Cohen: «Si je te tends la main, malgré l’océan, je peux te toucher.» Je me demandais ce qu’il allait répondre et il m’a envoyé la photo de nous deux, enfants, qui se trouve sur la couverture du livre. Il est mort juste après, et j’ai compris que c’était sa façon de me dire au revoir.»
ÉCRITURE: «Après la mort d’Alex, je n’avais plus le cœur à lire, mais je pouvais écrire. J’ai eu envie de raconter mon frère, qui était mon héros, un personnage de roman. Écrire, ça vous sort de votre condition de malheur, ça permet de mettre des mots sur un truc – ici, le suicide – que j’avais du mal à nommer. Moi qui me moquais des écrivains qui disaient qu’écrire était vital, je me suis aperçu que ça l’était. Un truc presque miraculeux, qui m’a portée, c’est le fait d’écrire quelque chose que je n’avais pas prévu, que je ne savais pas que j’avais dans la tête. Ça valait tous les moments de doute et de souffrance.»
DEUIL: «Ce livre est très personnel, mais je voulais aussi qu’il soit universel, parce qu’on doit tous traverser un deuil à un moment ou à un autre. J’ai eu envie de raconter ce qu’est le deuil et comment on fait pour vivre avec. J’ai trois enfants; je n’avais pas envie de devenir sinistre. J’ai eu un petit électrochoc – que je raconte dans le livre – quand mon plus jeune fils, qui à l’époque avait sept ans, m’a demandé: «Est-ce qu’on va faire quand même Noël?» Ça m’a transpercée. Je me suis dit qu’Alex adorait faire des fêtes, se déguiser, danser sur les tables et que même si la mélancolie avait gagné, on allait faire une fête à sa démesure ou à sa mesure. À partir de ce moment-là, j’ai voulu écrire sur comment on pouvait inventer une manière joyeuse d’être triste. Souvent, les gens me disaient que le deuil les avait rendus meilleurs, plus bienveillants. Moi, j’étais plutôt très en colère. Avec du recul, j’ai maintenant l’impression qu’il m’a rendue meilleure. Je suis plus droite, plus forte et je vois la vie avec ses yeux.»
OISEAU: «Quand on est rentrés de l’incinération avec tous les amis montréalais, on était en mille morceaux. Il commençait à faire froid, alors Florence est allée chercher du bois pour allumer le poêle. Elle a ouvert la trappe et un oiseau est sorti. Sans qu’on ne se dise rien, tout le monde a pensé que c’était Alex. L’oiseau ne voulait pas quitter la maison. Après, on s’est mis à voir des oiseaux partout. Les signes, peut-être qu’on les surinterprète, mais ce symbole est resté très fort pour nous.»
En librairie au Québec dès le 31 août. Avec toutes mes sympathies, Stock, Paris, 2018, 256 pages.