Le tabou de la fausse-couche, ou comment la société hiérarchise la douleur

Zoé Parrot-Leca
J’ai appris que j’étais enceinte pour la première fois le dimanche 20 août 2023, à 7h du matin. Toute seule, dans ma salle de bains, j’ai vu apparaître les deux lignes roses que j’espérais. J’ai crié, j’ai pleuré, ri en même temps. En un instant, je l’ai imaginé, ce petit être, ce qu’il allait devenir, ce qu’il allait faire de moi.
Le jour même, nous sommes allés acheter une petite boîte pour y ranger les tests de grossesse (j’en avais fait 4!) ainsi qu’une carte pour en faire l’annonce à nos familles.
Quelques jours plus tard, nous l’avons partagé à nos amis proches. J’ai encore la vidéo : des rires, des cris de joie, des bras levés dans les airs. Nos bébés auraient presque le même âge. L’avenir semblait déjà tracé.
Puis, est venu le moment de la prise de sang. Les hormones étaient trop basses. Je me suis fait annoncer que j’allais perdre mon bébé.
Quelques heures plus tard, les crampes sont arrivées. Le sang. Et puis, le silence. Ma première grossesse, celle que j’avais tant attendue et espérée, s’est terminée. Je faisais partie de cette statistique qu’une grossesse sur six qui se termine en fausse couche.
Une des difficultés, après une perte précoce, ce sont souvent les commentaires des gens autour de nous. Même s’ils ne sont pas mal intentionnés, ils sont presque toujours maladroits et finissent par blesser d’avantage que de rassurer. Parmi les plus blessants qu’on a pu me dire:
«Au moins, c’était tôt», « Tu es encore jeune, tu n’as qu’à réessayer», «C’est la nature qui répare son erreur», ou encore «Maintenant, tu sais que tu es fertile!»
Ces phrases n'ont en rien réparé ma douleur. Elles n’ont fait qu’invalider mon sentiment de deuil, comme si, puisque c’était une perte précoce, on pouvait se permettre de faire des commentaires légers.
Et pourtant, le fardeau psychologique qui survient après la perte d’un enfant pendant la grossesse est tout sauf léger, peu importe le stade : on se demande si on a fait quelque chose qui ne fallait pas, si notre corps est en santé, si on s’est porté malheur pour avoir exprimé des doutes et plus encore.
Redonner une voix aux pertes
Longtemps, les fausses couches ont été tues, par faute de savoir comment réagir. Comme si la peine devait se taire pour ne pas déranger. Mais aujourd’hui, de plus en plus de femmes osent parler. Sur les réseaux, dans les médias, au sein des groupes de soutien, elles partagent leur histoire pour briser le silence.
Parmi celles qui ont choisi de briser le silence, l’animatrice Marie-Josée Gauvin a récemment partagé, dans l’émission Ouvre ton jeu, le parcours bouleversant qui a marqué sa maternité. Elle a parlé de cette première grossesse difficile, de la maladie de sa petite fille, de sa perte, puis des fausses couches qui ont suivi.
Elle évoquait avec une sincérité désarmante ce sentiment persistant qu’il manquerait toujours quelqu’un sur la photo de famille. Cette impression qu’un vide s’invite à table, même quand la vie reprend son cours.
Une collègue, qui a souhaité témoigner anonymement, a elle aussi vécu deux pertes rapprochées. La première fois, elle a senti très tôt que la grossesse n’évoluait pas comme prévu, mais on lui a demandé d’attendre, de garder espoir. Quand la fausse couche s’est confirmée, elle s’est sentie à la fois soulagée de savoir, et dévastée. Quelques mois plus tard, elle a vécu une deuxième perte, qui s’est terminée en curetage. Elle raconte la froideur du processus, l’impression d’être un simple dossier parmi d’autres, sans réelle écoute ni suivi psychologique.
Ce qu’elle dit avoir perdu, au-delà du bébé, c’est une part de son insouciance. Cette naïveté de croire que concevoir un enfant est un processus simple et linéaire. Elle a compris que la grossesse n’est pas toujours un “coup du destin”, mais un équilibre fragile qui peut basculer à tout moment. « Ce qui m’a fait le plus de bien, confie-t-elle, c’est d’en parler. De ne pas me taire, même si c’est inconfortable. »
Le rapport au corps et la culpabilité
C’est presque instinctif : lorsqu’une fausse couche survient, beaucoup de femmes se tournent d’abord contre elles-mêmes. Le corps, censé donner la vie, devient source de doute et de reproche. Ai-je trop bougé ? Pas assez dormi ? L’ai-je voulu trop fort ? Pas assez ? Les injonctions autour de la grossesse créent un terrain fertile à la culpabilité. Dans cette pression constante de “bien faire”, la fausse couche apparaît comme un échec personnel plutôt qu’un événement biologique, pourtant si fréquent.
Et pourtant, dans la grande majorité des cas, rien n’aurait pu être fait autrement. Ce n’est ni une faute, ni une faiblesse. C’est un rappel brutal que la vie ne tient parfois qu’à un fil, et que le corps, même quand il échoue, mérite douceur et reconnaissance.
Il est important de parler. De normaliser les fausses couches. De ne pas rester seule ou seul avec ses questionnements, ses doutes, sa peine. Nommer la perte, c’est la faire exister. Parce que chaque petit être, qu’il ait vécu quelques heures ou seulement dans un test de grossesse, mérite une trace, un mot, un souvenir.
En parler, c’est aussi se réapproprier son expérience, se libérer de la honte, du doute, du sentiment de culpabilité qui accompagne souvent ces pertes invisibles.
La maternité n’est jamais un parcours linéaire. Elle peut surprendre, décevoir, briser nos illusions... mais elle rappelle aussi la force de celles et ceux qui continuent d’espérer, de se reconstruire et de rêver à nouveau.
De la part d’une maman d’un bébé arc-en-ciel.
Ressources
Au Québec, plusieurs organismes offrent du soutien, de l’écoute et des espaces sécuritaires pour mettre des mots sur la perte :
Le Phare – Enfants et familles, qui accompagne les parents vivant un deuil ou une fin de vie périnatale, avec une approche humaine et empreinte de douceur.
Les Centres de ressources périnatales du Québec, présents dans plusieurs régions, offrent du soutien psychologique et des groupes de parole pour les parents touchés par une perte.
Deuil-Jeunesse, qui propose des services d’accompagnement pour les familles vivant tout type de deuil, incluant le deuil périnatal.
Côté livres :

