Après un suicide: de l’aide pour ceux qui restent
Un proche s’est récemment enlevé la vie et, depuis, on a la certitude que plus jamais on ne pourra être heureuse. Et si c’était faux? Si cette tragédie donnait simplement un autre sens à notre existence?

Coup de Pouce
«L'impact de chaque suicide est énorme: selon l'Organisation mondiale de la santé, lorsque quelqu'un se suicide, six personnes sont vivement touchées par ce décès. Considérant que les collègues ou les voisins peuvent l'être presque tout autant, il serait plus juste de porter ce chiffre à 10.Il faut également savoir que, pour chaque suicide, on estime qu'il y a 25 tentatives et que, pour chacune de ces tentatives, 100 individus auraient des idées suicidaires. Ainsi, pour la seule année 2005, on a évalué à 317 000 le nombre de personnes directement affectées par cette triste réalité, et ce, à Montréal uniquement.»
Les signes qui doivent nous inquiéter
On soupçonne un membre de notre entourage de songer au suicide? On appelle sans délai un centre de prévention du suicide s'il montre un ou plusieurs des sept critères suivants:
1. Lorsqu'on lui pose directement la question, il dit savoir déjà comment, où et quand il va passer à l'acte.
2. Il a déjà fait, au cours de la dernière année, une tentative de suicide.
3. Il montre des signes de grand désespoir.
4. Il consomme de façon excessive alcool et/ou drogues.
5. Il est très impulsif.
6. Il se néglige: ne dort plus, ne mange plus, ne va plus à ses rendez-vous, ne prend plus ses médicaments, etc.
7. Il s'isole de plus en plus.
«Dans ma malchance, j'ai eu de la chance, confie Raymonde, 54 ans. La policière chargée de me dire l'indicible à propos de mon mari s'est montrée extrêmement humaine. Elle avait déjà traversé une épreuve comparable et, sachant que notre tête et notre univers s'arrêtent de tourner en même temps, elle s'est arrangée pour que mes sœurs viennent, après m'avoir fait promettre d'entrer rapidement en contact avec le groupe de soutien qui l'avait épaulée. Surtout, il ne faut pas rester seule avec sa peine. Elle est beaucoup trop lourde pour être supportée sans aide.»
Philippe Angers, coordonnateur à Suicide Action Montréal, souligne d'ailleurs que tous les centres de prévention du suicide offrent ce genre d'aide (voir À quelle porte frapper?). «On rappelle aussi aux gens de répondre correctement à leurs besoins de base: manger, boire, dormir, sortir prendre l'air, etc. Très souvent, ce sont les proches qui y veillent, ajoute-t-il. Pendant les premiers jours, on est en état de choc et, par ricochet, incapable de fonctionner normalement. D'où l'importance d'être bien entourée, d'autant plus qu'on risque davantage de se renfermer en soi-même que le reste des endeuillés. Des gens qui décèdent d'un cancer, il y en a beaucoup. Mais avoir à dire "Moi, mon fils s'est enlevé la vie", c'est beaucoup plus difficile, parce qu'on peut avoir peur que les autres ne pensent que c'est de notre faute.»
Chercher le coupable
«Ces phrases-là, elles ont tourné en boucle dans ma tête pendant trois ans, avoue Jean-Marc,49 ans. Je n'arrivais tellement pas à comprendre le geste de mon père, qui s'est tué sans motif apparent en 2004, qu'elles sont en quelque sorte devenues une obsession. Pour moi, c'était clair: étant enfant unique, je devais être l'unique responsable de sa mort. J'étais tellement dévasté que je ne voyais pas comment j'allais un jour pouvoir redevenir le Jean-Marc d'avant.»
Lorsqu'un de nos proches se suicide, il n'y a tout simplement pas de mots pour décrire ce qu'on peut ressentir. Anne-Lise parle d'un gouffre de tristesse sans fond et de malaises physiques qui l'ont obligée à passer toute une batterie de tests inutiles, Jean-Marc évoque une sorte de folie qui s'installe en douce et Patricia, mère d'un fils qui aura éternellement 17 ans, décrit le pire cauchemar qu'on puisse vivre sur terre.«Je ne savais pas qu'il allait aussi mal. En se suicidant, c'est comme si P. m'avait hurlé en pleine figure que j'étais la plus mauvaise et la plus stupide des génitrices. J'ai longtemps cru qu'il avait cherché à me punir parce que je n'avais pas compris sa détresse.»
De toutes les émotions qu'on va ressentir (angoisse, colère, peur de perdre à nouveau quelqu'un qu'on aime, tristesse, sentiment d'abandon ou d'échec, etc.), la culpabilité est la plus maligne. Comme le précise M.Touma, on se sent souvent coupable de n'avoir rien vu ou de n'avoir rien fait pour aider la personne, tout en s'accusant de ne pas avoir été disponible ou de ne pas avoir été attentif aux signes qui précèdent la majorité des suicides (voir Les signes qui doivent nous inquiéter).
L'histoire MaryseLe Voyage d'une vie
«Quand j'ai appris que mon mari venait de s'enlever la vie, ma première réaction n'a été que colère, explique Maryse Chartrand. Pour moi, quelqu'un qui se suicidait, c'était quelqu'un qui n'aimait pas la vie ou quelqu'un qui n'était pas aimé. Or, je savais que Samuel aimait la vie et qu'il était aimé, et son suicide m'a déboussolée. J'étais près de cet homme-là et oui, je me suis sentie coupable de n'avoir rien vu venir. Mais ce qui me préoccupait le plus, c'étaient mes trois enfants. J'ai donc tout de suite été consulter pour savoir comment gérer ça avec eux. Dans des situations extrêmes, les enfants vont baser leurs réactions en grande partie sur celle du parent modèle. J'ai alors compris que le meilleur moyen de surmonter la mort de Samuel et de retrouver un certain équilibre familial, c'était de chercher à cerner le pourquoi de son suicide. Avec ce genre de deuil, on est "guérie" lorsqu'on se dit: "Je n'aurai jamais toutes les réponses, mais j'accepte maintenant qu'il en soit ainsi."»
«Un deuil s'inscrit dans la durée. On pense que le moment le plus dur à traverser est au début, mais c'est plutôt une fois que le bateau est sorti de la tempête. C'est là que l'absence se fait sentir. Ça m'a pris six mois avant de me rendre compte que Samuel n'allait plus jamais être là. Il est donc important que l'entourage le sache, pour être présent quand ça arrive. Aujourd'hui, mes enfants sont en paix avec la façon dont Samuel est mort. Mais ça laisse un gros vide dans leur vie.
Dans l'oeil du cyclone
- «En dépit de tout, on n'est pas responsable de ce qui est arrivé. Si on avait connu les intentions suicidaires de la personne en cause, on serait intervenue, avec ou sans succès.
- «Celui ou celle qui se suicide veut d'abord mettre un terme à sa souffrance. Le suicide n'est donc ni un acte de courage ni un acte de lâcheté. C'est un moment de détresse immense où le suicide est devenu la seule issue pour mettre fin à la douleur morale ou physique.»
Au fil des semaines et des mois, à force d'en parler et de s'informer, on trouvera donc peut-être des explications. «Je ne peux pas savoir avec certitude si les miennes sont justes, mais au moins, elles m'ont permis de retrouver une certaine sérénité après trois ans de questionnement et de mal-être, affirme Patricia. Perdre un enfant parce qu'il s'est suicidé, c'est le deuil le plus ingrat à traverser. Il nous confronte à notre propre incompétence en tant que parent et, avec notre enfant, meurent aussi tous les espoirs et les rêves qu'on avait fondés pour lui. En clair, jamais on ne saura ce qu'il aurait pu devenir et ça, c'est un crève-coeur indicible. Je veux cependant dire aux pères et aux mères qui traversent présentement cette tragédie de s'accrocher: premièrement parce qu'on y survit, deuxièmement parce qu'on en tire souvent du positif.»
À quelle porte frapper?
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