Psychologie

Après un suicide: de l’aide pour ceux qui restent

Après un suicide: de l’aide pour ceux qui restent

Auteur : Coup de Pouce

Psychologie

Après un suicide: de l’aide pour ceux qui restent

On connaît toutes quelqu'un qui s'est enlevé la vie, même s'il s'agit du cousin d'une amie et même si le nombre de suicides a considérablement diminué au Québec au cours des neuf dernières années .En effet, après le sommet record de 1 620 décès atteint en 1999, les données provisoires de l'Institut national de santé publique du Québec - 1 091 suicides en 2007 - laissent entendre que le pire est peut-être derrière nous. C'est le plus faible bilan depuis 1976.

Qu'on ne se réjouisse cependant pas trop vite: année après année, le Québec enregistre toujours les taux de suicide les plus élevés au Canada tant chez les hommes que chez les femmes. De plus, «on continue à figurer dans le peloton de tête quand on se compare aux autres pays», précise André Landry, directeur général de Suicide Action Montréal.

 

«L'impact de chaque suicide est énorme: selon l'Organisation mondiale de la santé, lorsque quelqu'un se suicide, six personnes sont vivement touchées par ce décès. Considérant que les collègues ou les voisins peuvent l'être presque tout autant, il serait plus juste de porter ce chiffre à 10.Il faut également savoir que, pour chaque suicide, on estime qu'il y a 25 tentatives et que, pour chacune de ces tentatives, 100 individus auraient des idées suicidaires. Ainsi, pour la seule année 2005, on a évalué à 317 000 le nombre de personnes directement affectées par cette triste réalité, et ce, à Montréal uniquement.»

Les signes qui doivent nous inquiéter
On soupçonne un membre de notre entourage de songer au suicide? On appelle sans délai un centre de prévention du suicide s'il montre un ou plusieurs des sept critères suivants:

1. Lorsqu'on lui pose directement la question, il dit savoir déjà comment, où et quand il va passer à l'acte.
2. Il a déjà fait, au cours de la dernière année, une tentative de suicide.
3. Il montre des signes de grand désespoir.
4. Il consomme de façon excessive alcool et/ou drogues.
5. Il est très impulsif.
6. Il se néglige: ne dort plus, ne mange plus, ne va plus à ses rendez-vous, ne prend plus ses médicaments, etc.
7. Il s'isole de plus en plus.

 Quand l'impensable survient
Un jour, en rentrant de l'école, un petit garçon de huit ans est très surpris de voir quantité d'inconnus s'affairer autour de sa maison. Comme il n'a pas la moindre idée de ce qu'ils fabriquent, il s'approche d'un monsieur pour le lui demander, tout en précisant qu'il habite là. Croyant bien faire, ce dernier sort de sa poche un calepin et un stylo, et dessine vite fait un bonhomme pendu en traçant les lettres p-a-p-a juste en dessous.

La morale de cette terrible histoire vraie: on ne peut jamais prédire la façon dont on va être informée du suicide d'un être cher. Et on a beau essayer d'imaginer le moins pire des scénarios, il n'y en a pas. Les seules choses qu'on puisse espérer, c'est de ne pas découvrir le corps nous-même - sans conteste l'un des plus gros traumatismes qu'on puisse connaître - et d'apprendre la nouvelle de vive voix, peu importe si tout le tact et toute la délicatesse du monde ne peuvent en atténuer le choc.

 

«Dans ma malchance, j'ai eu de la chance, confie Raymonde, 54 ans. La policière chargée de me dire l'indicible à propos de mon mari s'est montrée extrêmement humaine. Elle avait déjà traversé une épreuve comparable et, sachant que notre tête et notre univers s'arrêtent de tourner en même temps, elle s'est arrangée pour que mes sœurs viennent, après m'avoir fait promettre d'entrer rapidement en contact avec le groupe de soutien qui l'avait épaulée. Surtout, il ne faut pas rester seule avec sa peine. Elle est beaucoup trop lourde pour être supportée sans aide.»

Philippe Angers, coordonnateur à Suicide Action Montréal, souligne d'ailleurs que tous les centres de prévention du suicide offrent ce genre d'aide (voir À quelle porte frapper?). «On rappelle aussi aux gens de répondre correctement à leurs besoins de base: manger, boire, dormir, sortir prendre l'air, etc. Très souvent, ce sont les proches qui y veillent, ajoute-t-il. Pendant les premiers jours, on est en état de choc et, par ricochet, incapable de fonctionner normalement. D'où l'importance d'être bien entourée, d'autant plus qu'on risque davantage de se renfermer en soi-même que le reste des endeuillés. Des gens qui décèdent d'un cancer, il y en a beaucoup. Mais avoir à dire "Moi, mon fils s'est enlevé la vie", c'est beaucoup plus difficile, parce qu'on peut avoir peur que les autres ne pensent que c'est de notre faute.»

Chercher le coupable
«Ma soeur s'est suicidée à cause d'un gars lorsque j'avais 19 ans, raconte Anne-Lise. J'en ai maintenant 38 et ça continue à me hanter, même si la souffrance s'est estompée avec le temps. Je n'apprendrai rien à personne en disant que perdre un être cher, c'est extrêmement douloureux. Sauf que je pense que ça l'est encore plus quand il s'agit d'un suicide. Ma mère est décédée d'un infarctus en 2006.J'ai trouvé ça dur à surmonter, mais jamais autant que le décès de ma soeur.»

Le psychologue Ghaïst Touma, qui intervient régulièrement en milieu de travail lorsqu'il y a suicide, le confirme: «Les réactions émotives qui découlent d'une mort par suicide sont généralement plus intenses et plus complexes que celles qui surviennent après une mort naturelle ou accidentelle, car à la douleur de cette perte soudaine s'ajoute le sentiment d'avoir peut-être joué un rôle dans le décès. On pense:"J'aurais dû me rendre compte qu'il ou elle n'allait pas... Si j'avais pris le temps de l'écouter, peut-être que...Pourquoi ne lui ai-je pas dit telle ou telle chose?"»

 

«Ces phrases-là, elles ont tourné en boucle dans ma tête pendant trois ans, avoue Jean-Marc,49 ans. Je n'arrivais tellement pas à comprendre le geste de mon père, qui s'est tué sans motif apparent en 2004, qu'elles sont en quelque sorte devenues une obsession. Pour moi, c'était clair: étant enfant unique, je devais être l'unique responsable de sa mort. J'étais tellement dévasté que je ne voyais pas comment j'allais un jour pouvoir redevenir le Jean-Marc d'avant.»

Lorsqu'un de nos proches se suicide, il n'y a tout simplement pas de mots pour décrire ce qu'on peut ressentir. Anne-Lise parle d'un gouffre de tristesse sans fond et de malaises physiques qui l'ont obligée à passer toute une batterie de tests inutiles, Jean-Marc évoque une sorte de folie qui s'installe en douce et Patricia, mère d'un fils qui aura éternellement 17 ans, décrit le pire cauchemar qu'on puisse vivre sur terre.«Je ne savais pas qu'il allait aussi mal. En se suicidant, c'est comme si P. m'avait hurlé en pleine figure que j'étais la plus mauvaise et la plus stupide des génitrices. J'ai longtemps cru qu'il avait cherché à me punir parce que je n'avais pas compris sa détresse.»

De toutes les émotions qu'on va ressentir (angoisse, colère, peur de perdre à nouveau quelqu'un qu'on aime, tristesse, sentiment d'abandon ou d'échec, etc.), la culpabilité est la plus maligne. Comme le précise M.Touma, on se sent souvent coupable de n'avoir rien vu ou de n'avoir rien fait pour aider la personne, tout en s'accusant de ne pas avoir été disponible ou de ne pas avoir été attentif aux signes qui précèdent la majorité des suicides (voir Les signes qui doivent nous inquiéter).

L'histoire Maryse
Avec son mari et ses trois enfants, Maryse Chartrand a fait le tour du monde pendant un an dans l'intention d'en tirer un film. Mais, deux jours après avoir enfin reçu le financement nécessaire pour le tourner, Samuel se suicide. Au lieu de raconter son périple, Maryse réalisera Le Voyage d'une vie, un documentaire portant sur son deuil.

«Pour survivre, j'avais besoin de comprendre, et ce film a été une bouée. Il m'a permis d'aller chercher des réponses et de faire plus rapidement mon deuil. Toute ma vie, j'aurai des moments où je vais être triste, mais aujourd'hui, je sais que c'est un passage, que je vais en ressortir. Je n'ai plus peur de la tristesse parce qu'on en tire du positif. Cela dit, j'étais à mille lieues de me douter que Samuel était suicidaire, même si je le savais en dépression. La nuit qui a suivi sa disparition a été la pire de ma vie.

 

«Quand j'ai appris que mon mari venait de s'enlever la vie, ma première réaction n'a été que colère, explique Maryse Chartrand. Pour moi, quelqu'un qui se suicidait, c'était quelqu'un qui n'aimait pas la vie ou quelqu'un qui n'était pas aimé. Or, je savais que Samuel aimait la vie et qu'il était aimé, et son suicide m'a déboussolée. J'étais près de cet homme-là et oui, je me suis sentie coupable de n'avoir rien vu venir. Mais ce qui me préoccupait le plus, c'étaient mes trois enfants. J'ai donc tout de suite été consulter pour savoir comment gérer ça avec eux. Dans des situations extrêmes, les enfants vont baser leurs réactions en grande partie sur celle du parent modèle. J'ai alors compris que le meilleur moyen de surmonter la mort de Samuel et de retrouver un certain équilibre familial, c'était de chercher à cerner le pourquoi de son suicide. Avec ce genre de deuil, on est "guérie" lorsqu'on se dit: "Je n'aurai jamais toutes les réponses, mais j'accepte maintenant qu'il en soit ainsi."»

«Un deuil s'inscrit dans la durée. On pense que le moment le plus dur à traverser est au début, mais c'est plutôt une fois que le bateau est sorti de la tempête. C'est là que l'absence se fait sentir. Ça m'a pris six mois avant de me rendre compte que Samuel n'allait plus jamais être là. Il est donc important que l'entourage le sache, pour être présent quand ça arrive. Aujourd'hui, mes enfants sont en paix avec la façon dont Samuel est mort. Mais ça laisse un gros vide dans leur vie.

 

Dans l'oeil du cyclone
Comprendre ce qui a bien pu pousser un proche à se suicider est donc une étape nécessaire pour échapper au sentiment de culpabilité qui nous ronge. Mais tenter de donner un sens rationnel à un geste qui s'inscrit souvent dans l'irrationnel tient du défi. «Si l'endeuillé n'arrive pas à attribuer le suicide à des causes extérieures (comme la drogue, la maladie, un accident), rien ne garantit qu'il arrivera à trouver une explication cohérente au fil du temps, précise M.Touma. On doit cependant se rappeler deux choses:
  • «En dépit de tout, on n'est pas responsable de ce qui est arrivé. Si on avait connu les intentions suicidaires de la personne en cause, on serait intervenue, avec ou sans succès.
  • «Celui ou celle qui se suicide veut d'abord mettre un terme à sa souffrance. Le suicide n'est donc ni un acte de courage ni un acte de lâcheté. C'est un moment de détresse immense où le suicide est devenu la seule issue pour mettre fin à la douleur morale ou physique.»


Après moult recherches, Maryse Chartrand a en effet appris que, dans 90 % des cas de suicide, il y avait une maladie mentale derrière... et que, dans 100 % des cas, le cerveau des gens qui se suicident n'a plus de sérotonine, l'hormone qui régularise l'humeur et l'impulsivité.

 

Au fil des semaines et des mois, à force d'en parler et de s'informer, on trouvera donc peut-être des explications. «Je ne peux pas savoir avec certitude si les miennes sont justes, mais au moins, elles m'ont permis de retrouver une certaine sérénité après trois ans de questionnement et de mal-être, affirme Patricia. Perdre un enfant parce qu'il s'est suicidé, c'est le deuil le plus ingrat à traverser. Il nous confronte à notre propre incompétence en tant que parent et, avec notre enfant, meurent aussi tous les espoirs et les rêves qu'on avait fondés pour lui. En clair, jamais on ne saura ce qu'il aurait pu devenir et ça, c'est un crève-coeur indicible. Je veux cependant dire aux pères et aux mères qui traversent présentement cette tragédie de s'accrocher: premièrement parce qu'on y survit, deuxièmement parce qu'on en tire souvent du positif.»

Benjamine Gill, directrice générale de l'Association québécoise des parents et amis de la personne atteinte de maladie mentale, en est d'ailleurs la preuve vivante: «J'ai perdu un neveu en 1994, mon fils en 1998 et un autre neveu il y a deux ans. Les trois avaient des problèmes de santé mentale et j'ai choisi de donner un sens à ma vie en dirigeant cette association. Autrement, tout ça serait arrivé inutilement. À chacune de développer ses outils, et les miens se sont affûtés en apprenant que la fille d'une de mes employées était morte de leucémie à 17 ans. Par rapport à elle, j'ai eu la chance de profiter de mon fils 10 ans de plus.»

La lumière au bout du tunnel existe donc bel et bien, même si elle n'apparaît pas de la même façon pour tout le monde. Jean-Marc a mis deux ans avant de l'apercevoir grâce à un groupe de soutien, Jérôme Blais, un étudiant dont le père s'est aussi suicidé, l'a trouvée l'été dernier sous les roues de son vélo en parcourant 6 500 km afin d'amasser à sa mémoire des fonds pour la Fondation Suicide Action Montréal, et Anne-Lise est devenue assistante sociale au lieu de notaire, ce dont elle se félicite encore. «Il y a en effet plusieurs manières de faire avancer son deuil, conclut Philippe Angers. Mais, comme le cheminement peut être long, il faut rester vigilante, car on peut devenir vulnérable et avoir à notre tour des idées suicidaires... Même s'il ne s'agit que d'un flash, il ne faut pas garder ça pour nous.»

À quelle porte frapper?
  • Centres de prévention du suicide. Partout au Québec, on compose le 1-866-APPELLE (277-3553). Notre appel sera automatiquement acheminé à la ressource la plus proche, et on sera écoutée, réconfortée ou dirigée vers un groupe de soutien. 
  • Suicide Action Montréal. Affilié aux Centres de prévention du suicide. Infos: 514-723-4000.
  • Maison Monbourquette. Ce service d'écoute donne les outils nécessaires pour franchir toutes les étapes d'un deuil. Infos: 1-888-533-3845 ou 514-523-3596 (Montréal).
  • Deuil-Jeunesse. Cette entreprise encadre les jeunes qui vivent la mort d'un proche. Infos: 418-670-9772.
  • Parent Étoile. Cet organisme sans but lucratif offre un lieu de rencontre aux enfants qui ont perdu un de leurs parents. Infos: 514-947-0606.


  • Pour en savoir plus
  • Après le suicide d'un proche, par Christophe Fauré, Albin Michel, 2007, 208 p., 26,95 $.
  • Le Choix de vivre - Comment les épreuves d'une vie nous guident vers l'essentiel, par Marie Lise Labonté, Les Éditions de l'Homme, 2009, 208 p., 24,95 $.
  • Le Deuil après suicide, par Michel Hanus, Maloine, 2004, 411 p., 61,95 $.
  • Sortir du deuil, surmonter son chagrin et réapprendre à vivre, par Anne Ancelin Schützenberger et Évelyne Bissone Jeufroy, Payot, 2008, 140 p., 11,95 $.
  • Surmonter l'épreuve du deuil, 5e édition, par Line Saint-Pierre et Roger Régnier, Quebecor, 2009, 244 p., 24,95 $.
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