Psychologie

Comprendre et surmonter le deuil

Comprendre et surmonter le deuil

Shutterstock Photographe : Shutterstock Auteur : Coup de Pouce

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Comprendre et surmonter le deuil

Perdre un être cher est sans conteste l’une des expériences les plus douloureuses qui soient. Comment vivre sa peine sans s’y laisser engloutir?

Après un mois d'absence, Isabelle, gestionnaire de 49 ans, revient au travail. Cette maman d'une fille de 8 ans vient de passer un mois au chevet de son père qu'elle et sa mère, aidées de soignants, ont accompagné à son dernier repos. Pendant quelque temps, tout s'est arrêté dans la vie d'Isabelle. Sa petite famille, sa maison, son travail ont été éjectés de sa vie. Elle s'est consacrée entièrement à son père. «Il n'arrêtait pas de me dire: «Ma fille, va travailler, fais ta vie et ne t'occupe pas de moi», raconte Isabelle, encore émue. Je lui répondais que c'était ça, ma vie à ce moment-là: être à ses côtés. Plus rien d'autre ne comptait. Et si j'avais su qu'il partirait si vite, j'aurais tout stoppé bien avant.»

Quand le temps s'arrête

Isabelle se remémore les semaines qui ont suivi la mort de son père: «J'ai vécu au ralenti. Je vivais dans une sorte de bulle "cotonneuse". Je regardais le monde autour de moi comme à travers un voile, et je ne comprenais pas à quoi s'affairaient les gens, pourquoi ils étaient si pressés, si absorbés par leurs soucis. En fait, je crois que je ne les voyais pas.» Épuisée par ce qu'elle venait de traverser, elle ne ressentait même plus la fatigue, causée par des nuits à veiller son père et à consoler sa mère, anéantie et remplie de tristesse. Dans cette famille, le temps s'était arrêté.

«Le deuil va à contre-courant de ce qu'on fait dans la vie quotidienne, explique Sophie Chartrand, travailleuse sociale et directrice de la Maison Monbourquette, un organisme qui vient en aide aux endeuillés. Alors que la vie courante nous pousse à la productivité, l'efficacité et les horaires, le deuil va tout à fait dans le sens contraire.» La mort d'un être cher cause un choc: on perd la notion du temps, toutes nos habitudes sont bousculées. Qu'on soit préparé, comme Isabelle l'était, n'y change rien. Les travaux du prêtre, psychologue et écrivain québécois Jean Monbourquette, qui a donné son nom à la maison du même nom, ont justement mis en lumière l'importance de s'arrêter pour prendre le temps de vivre son deuil.

«C'était un homme d'une grande humanité, explique Sophie Chartrand, et qui a fait le pont entre la psychologie et la spiritualité: le deuil est exactement au confluent de ces deux éléments.»

Qu'est-ce que le deuil?

Le deuil est un grand bouleversement. Après le choc, il faut absorber puis accepter la perte de quelque chose, de quelqu'un. Et ce moment peut être très long, selon la personne et selon les circonstances du décès. Le créateur Éric Godin a perdu son fils adolescent, qui s'est donné la mort, il y a quelques années. Il a vécu un véritable traumatisme, doublé d'un deuil qui est, dit-il, toujours présent. «Je me suis reconstruit, explique Éric Godin, mais je vivrai toujours avec cette perte, je n'ai fait que m'y accoutumer.»

Dans son livre Grandir. Aimer, perdre et grandir, Jean Monbourquette explique que l'être humain «vit» la perte tout au long de sa vie. Même les «petites» pertes, comme celle d'une maison, causent un traumatisme. Il en va de même de la perte d'un proche: toute sa vie, il faudra apprendre à vivre avec le manque. Exister sans cette personne ou cette chose précieuse qui faisait partie de notre quotidien, renoncer à vivre cette relation, pour toujours...

La peur de la mort

Dans notre société vide de spiritualité, vivre un deuil n'est pas chose aisée. «Bien sûr, nous n'avons plus de repères religieux, explique Sophie Chartrand. Avant, les gens s'habillaient de noir, ce qui révélait, sans qu'on donne d'explications, que la personne était en deuil. La communauté respectait cela, et la religion remplissait le rôle de consolation. » Aujourd'hui, tout s'est professionnalisé. Les maisons funéraires, bien qu'elles fassent des efforts, sont promptes à passer d'une étape à l'autre, parfois de façon expéditive. Pourtant, la personne endeuillée a besoin de temps pour chaque étape, de la mort de l'être cher à la mise en terre, étapes au cours desquelles tant de décisions doivent être prises. «Les maisons funéraires ne réalisent pas combien les gens sont vulnérables, déplore Éric Godin. Devoir prendre rapidement des décisions sur la cérémonie, sur la manière de disposer du corps, cela n'a aucun sens: on est en état de choc! Il faut revoir cette façon de faire.»

«Malheureusement, on prend rarement le temps de mesurer ce qui arrive vraiment quand on perd un être cher, observe Luce Des Aulniers, anthropologue et professeure, qui a créé à l'UQAM, en 1980, le premier programme d'études interdisciplinaires sur la mort et le deuil, dans le monde. On ne voit plus le défunt, on n'ose pas en parler.» Éric Godin explique à quel point rester avec son fils décédé, le toucher, lui parler, a été important. «Je ne comprends pas pourquoi on empêche les gens de rester avec le corps, ça fait partie du deuil que de pouvoir communiquer encore avec lui.»

Toute cette frénésie autour des funérailles, parle, selon Charles-Édouard, accompagnateur en soins palliatifs de la région de Québec, de notre peur de la mort. «Et c'est très dommage, dit cet homme qui cite Félix Leclerc. Il disait: "C'est beau la mort, il y a plein de vie dedans." Et je trouve que c'est très vrai, moi qui vis cela régulièrement avec des personnes en fin de vie et avec leurs proches. On oublie combien on se découvre les uns les autres lors de ce passage.»

À lire: Les 8 étapes du deuil

Selon lui, le deuil parle de transmission, car l'endeuillé n'est plus la même personne après la mort d'un proche. «Et c'est pour cela que les rites sont si importants: ils sont le moyen par lequel on perpétue quelque chose de la personne décédée. C'est ce que j'appelle l'héritage. » En général, les cérémonies, religieuses ou personnelles, au cours desquelles les proches se remémorent leurs disparus, sont l'occasion de souligner cette transmission.

Parler de la mort

Luce Des Aulniers est critique face au système de santé, qui contribue à entretenir un tabou autour de la mort. «Nous vivons dans une culture qui préfère révéler aux malades le temps qu'il leur reste à vivre, plutôt que de savoir comment ils évolueront vers la mort. C'est pourtant fondamental. Seront-ils accompagnés? Que pourrions-nous faire pour rendre cette étape plus humaine et fertile?» Mais aborder ces sujets implique qu'on ose parler du deuil, sans gêne. «J'avais ressenti un malaise face au deuil d'un cousin qui avait perdu son père, raconte Isabelle. Je ne savais pas si je devais l'appeler, car je n'arrivais pas à affronter sa peine, je craignais de ne pas trouver les mots. Quand j'ai perdu mon propre père, trois ans plus tard, ce malaise m'est revenu en tête... Mais je comprends qu'on puisse être gêné, c'est difficile de voir la peine des gens, car on ne sait pas quoi faire ni quoi dire.» C'est que tout dépend de notre personnalité et de notre propre cheminement dans la vie. Est-on une personne habituée à exprimer ses émotions ou qui préfère garder le contrôle? «Les systèmes de défense s'écroulent quand on est face à la mort, explique Charles-Édouard. Et c'est très bien comme cela...»

Le créateur Éric Godin lui, a beaucoup parlé de ce qui lui était arrivé. «J'ai réalisé que je pouvais aider d'autres personnes à comprendre ce qu'ils traversaient, et après une période où j'avais tout arrêté, j'ai recommencé à sentir le besoin et l'élan de créer quelque chose.» Il a écrit un livre, Lettre à Vincent, et conçu un site interactif pour l'ONF, avec l'artiste Zilon. Puis est venue une période de création foisonnante qui a fait parler une autre voix en lui, quelque chose de plus obscur, qu'il s'est permis d'exprimer. «D'une certaine façon, ditil, je continue à créer avec mon fils, pour qui penser aux autres était important. Je prolonge quelque chose de lui, et cela est très libérateur. » Éric Godin a réussi à redonner un sens à l'inimaginable. «J'ai vécu une expérience brutale et dévastatrice, mais je pense que chacun vit son propre deuil à lui. Il n'y a pas de grand ou de petit deuil, on ne peut pas comparer les expériences des uns et des autres.»

Étapes ou chaos?

Comme Éric Godin, CharlesÉdouard est aussi contre ce concept d'étapes, selon lequel des états psychiques et physiques se succèdent tout au long du deuil. Selon plusieurs, cette idée d'avoir à franchir des étapes représente une pression supplémentaire sur l'endeuillé. «Je trouve cela normatif. On se dit qu'on devrait suivre ces étapes l'une après l'autre et on s'en veut si ça ne se déroule pas comme sur papier. Mais il n'y a pas de marche à suivre pour faire son deuil, ça nous appartient, et on le fait selon qui on est, selon notre histoire.»

Luce Des Aulniers, elle, parle plutôt de traversée du deuil. «Cette traversée est faite de notre interrogation sur la manière dont on va vivre avec le manque. Elle est nourrie par nos questions sur nos propres réactions, sur le chaos que devient notre vie.» Il est donc naturel de ne plus se reconnaître après la perte d'un être cher. Certaines personnes éprouveront pendant quelques mois des symptômes physiques, comme des palpitations, des tremblements, de l'insomnie, une fatigue extrême. «Le travail du deuil est exténuant, explique Sophie Chartrand. En plus, des symptômes psychologiques se manifestent, comme l'anxiété, un repli sur soi, de la confusion, le doute, bref, toutes sortes de signes qui traduisent le fait qu'on est dans une sorte de chaos...» Les spécialistes conseillent d'ailleurs aux endeuillés de prendre soin d'eux, de dormir et bien manger, de remettre à plus tard toute décision professionnelle ou autre. Le temps est à la méditation, et au silence. «J'entends souvent cette phrase: "Je ne me sens pas normal", dit Luce Des Aulniers. Mais c'est certain, et on ne sera plus jamais comme avant. La mort, c'est brutal, c'est long à accepter, mais on change pour toujours. Ce n'est pas nous qui devons faire notre deuil, c'est le deuil qui nous fait.»

Ressources

  • Association canadienne pour la santé mentale, cmha.ca.
  • Maison Monbourquette, maisonmonbourquette.com, et ligne d'écoute: 1-888-533-3845 (1-888-le deuil); région de Montréal: 514-523-3596.
  • Deuil-Secours, 514-389-1784.
  • Les maisons funéraires offrent aussi des services de consultation psychologique individuelle ou en groupe (comme lagentiane.org).

Lectures utiles

1. Excusez-moi, je suis en deuil, par Jean Monbourquette et Isabelle d'Aspremont, Novalis, 2011, 168 p., 21,95$.

2. Grandir. Aimer, perdre et grandir, par Jean Monbourquette, Novalis, 2007, 192 p., 24,95$.

3. Vivre le deuil au jour le jour, par Christophe Faure, Albin Michel, 2012, 336 p., 29,95$.

4. Lettre à Vincent, essai interactif réalisé par Éric Godin et Zïlon (ONF): sur interatif.onf.cal lettreaVincent. Lettre à Vincent paraîtra aux éditions Hurtubise en mars 2015

 

 

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