Travail

Quand un nouveau patron débarque

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Auteur : Coup de Pouce

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Quand un nouveau patron débarque

Changer de patron, c'est toujours insécurisant. Après tout, c'est lui qui gère notre travail, évalue notre performance et, parfois même, signe notre chèque de paye. C'est également sur lui - à titre de décideur - que repose, en partie ou totalement, la réussite (ou l'échec) de notre service, de notre succursale ou de la compagnie au grand complet. Autant de raisons de s'en faire un peu, beaucoup ou intensément à l'arrivée d'un nouveau boss, surtout si, de prime abord, on ne sent pas qu'on a des atomes crochus avec lui.


«C'est humain d'être inquiète puisqu'une donnée importante change dans notre environnement de travail», confirme Francine Roy, professeure adjointe au Département de psychologie de l'Université de Sherbrooke. On est déstabilisée, car on fait face à l'inconnu. On a peur de perdre son confort et de devoir changer de routine. La seule certitude, durant cette période de turbulence, c'est qu'on devra inévitablement composer avec plusieurs changements. Dans les circonstances, on a souvent le réflexe d'anticiper le pire. «Et si on pensait plutôt à ce qu'on pourrait y gagner?» propose Mme Roy.

Pour Isabelle, 32 ans, l'optimisme n'allait pas de soi. À peine trois mois après l'obtention d'un poste de gestionnaire de projets au service des relations publiques d'une entreprise, elle apprenait que sa patronne quittait la compagnie. «Ça a été vraiment stressant. J'étais encore en train de m'acclimater à mon environnement professionnel quand j'ai dû recommencer avec une autre patronne», raconte-t-elle. Après avoir pris du galon grâce à un nouvel emploi, Isabelle s'inquiétait. Elle avait peur de voir ses tâches changer et peut-être même ses responsabilités diminuer. Elle se demandait si elle s'entendrait bien avec sa nouvelle supérieure, si son autonomie serait respectée et même si elle risquait de perdre son emploi...

Les premières réactions
Florent Francoeur, président directeur général de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés et conseillers en relations industrielles agréés du Québec, encourage les employés à se questionner à l'arrivée d'un nouveau patron. «C'est ce que j'appelle faire l'autopsie du départ de l'ancien patron et de l'arrivée du nouveau. Pourquoi y a-t-il eu un changement? Pourquoi a-t-on choisi cette personne en particulier? L'entreprise veut-elle faire un virage important? La patronne a-t-elle été congédiée ou est-elle partie de son plein gré?» La réponse à ces questions devrait nous donner des indications pour mieux comprendre dans quel climat arrive cette personne. Sans tout expliquer, cela nous aidera sûrement à mieux comprendre la situation s'il y a des difficultés d'ajustement au début. Sans tout excuser non plus, on sera mieux outillée pour accepter une nouvelle patronne un peu stressée ou qui nous demande des comptes fréquemment. L'important est de ne pas porter de jugement hâtif basé sur une première impression. «On peut faire d'heureuses découvertes si on ne se braque pas dès le départ», explique Céline Bareil, professeure en management aux HEC Montréal.

Si la nouvelle patronne est déjà connue dans l'entreprise, il faut bien sûr faire abstraction des rumeurs qui peuvent circuler à son sujet. «Il faut se faire sa propre opinion, poursuit Mme Bareil. Et même quand une rumeur est fondée, on ne connaît jamais toute l'histoire. Un gestionnaire peut avoir acquis une mauvaise réputation tout simplement parce qu'il était coincé dans un poste qui ne lui permettait pas de mettre tout son potentiel en valeur. Il faut lui donner sa chance.»Habituellement, le nouveau patron rencontre chacun des employés. S'il ne l'a pas fait après quelques semaines, on lui propose de nous fixer un rendez-vous individuel. «On axe alors notre discours sur nos réalisations des dernières années, les résultats obtenus et nos talents, conseille Mme Bareil. On lui demande de nous préciser ce qu'il attend de nous et ses critères d'évaluation. C'est ce qu'on appelle le contrat psychologique, qui doit être négocié individuellement dans les premiers mois de son arrivée.»


Luc Brunet, professeur en psychologie du travail et des organisations à l'Université de Montréal, encourage les employés à profiter de cette rencontre pour afficher leurs couleurs. «On a tendance à penser que la nouvelle direction connaît très bien nos tâches et notre rôle, mais ce n'est pas nécessairement le cas», souligne-t-il. Par exemple, si on aime s'occuper d'un dossier en particulier, c'est le moment d'en glisser un mot au patron. Peut-être avait-il pensé nous en soulager, ne sachant pas à quel point cette responsabilité nous plaisait. Même chose pour les tâches qu'on a plus de difficulté à accomplir.

Attention, il ne faut cependant pas se dévaloriser en se qualifiant d'incompétente. On dira plutôt qu'on se sent moins à l'aise ou qu'on aurait besoin d'aide ou de formation pour bien faire cette partie de notre travail.

On doit également écouter ce que le nouveau venu veut nous dire et éclaircir les points qu'on ne comprend pas. Faire preuve d'ouverture et de désir de collaborer permettra de développer de bonnes relations professionnelles. Si on s'attend à ce que le patron nous assiste dans ce changement, on devrait aussi offrir de l'aider dans sa nouvelle mission.

Quand le nouveau patron de Julie, 20 ans, est arrivé dans le restaurant où elle était serveuse, la jeune fille savait à quoi s'attendre. Le siège social de la chaîne avait mandaté ce cadre pour mettre le personnel au pas. Lorsqu'il a resserré les exigences et demandé aux employés de changer plusieurs de leurs méthodes de travail, Julie s'y est pliée... sans trop d'enthousiasme. «C'était agaçant. Quand tu es habituée de travailler d'une certaine façon, tu gagnes en rapidité. Je n'avais pas vraiment envie de changer ma façon de faire les choses», explique-t-elle. Mais comme Julie savait ce que la haute direction attendait du patron, elle a mieux saisi ce qu'il cherchait à accomplir en modifiant les pratiques de son équipe. Quand elle ne comprenait pas une de ses décisions, elle n'hésitait pas à lui poser des questions. Au fil des jours, ce qui avait d'abord été un changement difficile s'est transformé en une agréable collaboration. Son gérant est certes plus exigeant, mais il est aussi plus attentif aux besoins des employés. Même si elle s'est sentie bousculée au départ, elle admet aujourd'hui qu'en s'adaptant aux attentes du nouveau patron elle est devenue plus efficace.

Martine Alie, détentrice d'un MBA avec spécialisation en gestion du changement, aime bien citer Charles Darwin: «Ce n'est pas l'espèce la plus forte qui survit ni la plus intelligente, mais bien celle qui s'adapte le mieux aux changements.» Et pour ce faire, il n'y a pas de recette miracle. «La pire chose à faire, c'est de se fermer», affirme Mme Alie.


Avant qu'on soit sur la même longueur d'onde, plusieurs mois peuvent se passer, et de nombreuses rencontres peuvent être nécessaires. On se donne donc le temps de vivre cette période de transition et d'observer ce qui se passe. On laisse également à notre nouveau patron le temps d'apprivoiser ses fonctions. Les trois premiers mois sont généralement considérés comme une période d'apprentissage durant laquelle le gestionnaire se familiarise avec l'entreprise et évalue son équipe.

«En cours de route, on peut faire part de nos craintes et de nos perceptions à notre patron», dit M. Brunet. Ce n'est pas toujours facile à faire, car on est inquiète. En posant nos questions, on a peur de paraître faible, non performante ou réticente à la nouveauté. Tout est une question d'attitude. «Le ton compte énormément quand on discute, rappelle M. Brunet. Il faut être diplomate, conciliant et poli, et éviter la fanfaronnade.»

Danielle, une enseignante de 43 ans, formait une équipe du tonnerre avec la directrice de son école. Elle avoue avoir été énormément déçue d'apprendre son départ à la fin de l'année scolaire. Dès la rentrée suivante, elle a constaté que les choses allaient dorénavant être différentes. La nouvelle directrice consultait moins les professeurs et semblait, de manière générale, leur offrir moins de soutien. Le jour où Danielle a reçu une plainte - injustifiée - d'un parent, elle a constaté avec surprise que la directrice refusait de s'en mêler. Elle s'est tout d'abord sentie abandonnée, mais elle a pris son courage à deux mains, s'est assise avec sa supérieure et a posé des questions sur les changements survenus depuis la rentrée. La directrice a finalement compris que son appui était nécessaire à l'enseignante et elle a décidé de rencontrer les parents pour dénouer la situation. Danielle est heureuse d'avoir finalement pû compter sur la directrice, quoiqu'elle aurait préféré ne pas avoir à la confronter dans de telles conditions. Même si les tensions accumulées entre les deux femmes rendent la communication difficile, Danielle est demeurée en poste dans cette école, où elle est toujours heureuse d'enseigner.


On s'en demande parfois beaucoup pour démontrer notre bonne volonté d'adaptation. Il n'est pourtant pas essentiel de devenir la meilleure copine de sa nouvelle patronne et de luncher avec elle chaque semaine. «On n'est pas obligée d'être amie avec tout le monde, précise Mme Roy. Il faut toutefois trouver une façon de travailler qui convienne à tous.» Par exemple, quand on la croise dans l'ascenseur ou à la machine à café, on n'hésite pas à engager la conversation au lieu de s'enfuir. Cet esprit d'ouverture nous permettra de mieux la connaître et de l'intégrer plus facilement à notre vie professionnelle.

Malgré tous nos efforts, ça ne clique toujours pas? «Pendant cette période difficile, je conseille aux employés de penser à eux. Si on fait plusieurs tentatives et que ça ne fonctionne pas, c'est frustrant. Il faut se libérer l'esprit, faire du sport ou une autre activité afin que le travail n'envahisse pas toute sa vie», conseille Mme Bareil.


«Normalement, un bon gestionnaire doublé d'un bon leader devrait être capable de lire la réalité et de s'adapter en conséquence», soutient M. Brunet. Cela ne nous empêche pas d'intervenir si les relations sont tendues avec notre supérieur ou si les nouvelles procédures qu'il a implantées sont inefficaces. Il faut alors lui en parler. «On ne va pas le voir dans l'optique d'une confrontation. On doit vraiment souhaiter trouver une solution. On identifie le problème et on lui propose deux ou trois solutions. Puis, on discute des avantages et des inconvénients de chacune, ainsi que de de leur efficacité. On provoque la discussion», suggère Mme Bareil.

Il peut arriver que, après plusieurs ajustements et maintes discussions, on s'aperçoive qu'entre notre nouvelle patronne et nous ce n'est plus possible. C'est à cette conclusion qu'est arrivée Isabelle après quelques mois. Sa nouvelle supérieure la submergeait de travail, exigeant qu'elle effectue des tâches qu'elle n'accomplissait plus depuis belle lurette tout en ajoutant à sa charge des responsabilités dans lesquelles elle avait peu d'expérience. Au bureau, les commérages allaient bon train, et les critiques envers la patronne pleuvaient... à couvert. Dans cette ambiance lourde, Isabelle a frôlé le burn-out. Elle pleurait tous les matins et se sentait misérable. Mais elle n'osait pas aborder le sujet avec la principale intéressée. Un an à peine après avoir déniché ce qu'elle croyait être l'emploi de ses rêves, elle a abandonné sa carrière en relations publiques.

«Évidemment, personne ne souhaite perdre son emploi. Toutefois, quand la culture d'entreprise et les orientations de notre employeur changent, il est possible qu'on n'y ait plus notre place. On ne peut pas se forcer à cadrer avec de nouveaux objectifs qui ne nous conviennent pas. On risque d'être malheureux au travail», note Mme Roy.

Si on n'a aucun contrôle sur notre patron, on en a un sur notre carrière. Quand les difficultés menacent la qualité de notre travail et notre satisfaction à l'accomplir, on peut se tourner vers le service des ressources humaines. Si la taille de l'entreprise le permet, on peut même envisager une mutation dans un autre service. Mais malgré nos efforts, il est possible que la meilleure solution soit de chercher un autre emploi - et un autre patron! - qui corresponde mieux à nos valeurs et à nos aspirations.

Pour aller plus loin
  • Gérer le volet humain du changement, par Céline Bareil, Les Éditions Transcontinental et Les Éditions de la Fondation de l'entrepreneurship, 2004, 213 p., 29,95 $.
  • Le pouvoir de la résilience, par Robert Brooks et Sam Goldstein, Les Éditions de l'Homme, 2006, 368 p., 27,95 $.
  • Magali Legault. Sous l'onglet «Revue de presse», on trouve les capsules audio de cette consultante en milieu de travail, qui traitent de plusieurs thèmes liés à la vie professionnelle et à la gestion du changement.
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