Psychologie

L’amitié au fil de notre vie

L’amitié au fil de notre vie

Auteur : Coup de Pouce

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L’amitié au fil de notre vie

Dans le roman How to Make an American Quilt, de Whitney Otto (devenu un film mettant vedette Winona Ryder et Anne Bancroft), une grand-mère invite son groupe d'amies à broder une courtepointe pour sa petite-fille, qui se marie. Pendant quelques jours, ces copines se remémorent leurs amours déçues et leurs passions, évoquent leurs maternités, racontent leurs rêves: autant d'étapes à venir pour la jeune femme, qui écoute attentivement ses aînées. Au cours de ce passage initiatique, l'amitié féminine se révèle précieuse et fertile.

Cette image de réunion autour des aiguilles meuble notre imaginaire féminin depuis des siècles. Au-delà du cliché, il demeure que les femmes nouent des liens serrés autour d'activités communes pendant lesquelles jaillissent les confidences: on parle de notre couple, de nos soucis, du boulot, de nos projets. Si les courtepointes se font rares aujourd'hui, les amies forment toujours un réseau qui, s'il évolue avec le temps, reste présent tout au long de notre vie.

L'importance des premières amitiés

Durant l'enfance, l'amitié paraît très simple. On se lie avec les fillettes de notre classe ou celles qui habitent près de chez nous. Les chicanes sont généralement brèves, et il suffit d'un intérêt commun pour s'amuser pendant des heures sans se poser de questions.

Ce qui ne signifie pas pour autant que ces amitiés sont sans conséquences, au contraire. «Nous avons besoin de liens pour survivre et nous développer, explique Valérie Demers, doctorante en psychologie à l'Université Laval. L'amitié est fondamentale, car, tout comme l'amour, elle nous aide à trouver une stabilité dans l'existence.» Selon la chercheuse, cette relation est importante dès le plus jeune âge. Pour elle, comme pour toutes les personnes qui ont répondu à nos questions, l'amitié nourrit l'identité féminine, et cette construction commence tôt.

Plus encore, les amitiés d'enfance seraient déterminantes de la femme que l'on deviendra une fois adulte. «Mon enquête révèle que les amitiés d'enfance des femmes ont influencé le reste de leur vie», écrit Élaine Audet dans Le Coeur pensant (Le Loup de Gouttière, 2000), un essai qui retrace l'histoire et le rôle de l'amitié féminine au cours des siècles. L'auteure y explique que, si les amitiés des fillettes sont faites de «tendresse, d'entraide, de solidarité», elles deviendront des femmes qui auront fait l'expérience de la confiance en soi. Une première amie fidèle, toujours présente, donnera de l'amitié une image positive. La trahison, la brusquerie et l'agressivité les rendront méfiantes, et elles se refermeront derrière une carapace.

Isabelle a eu la chance de connaître dès l'enfance une amitié sincère, qui dure toujours. «À 8 ans, je me suis liée d'amitié avec une fille à l'école de musique où mes parents m'avaient inscrite. Même si nous vivons aujourd'hui dans des milieux différents et que nous nous voyons peu, notre passion nous réunit encore, à 38 ans. Quand on parle de piano, de musique, on se retrouve comme avant.»  

L'adolescence: l'heure des choix

Durant cette période, les amies sont tout notre univers. Ce qui compte pour nous, à ce moment-là, c'est d'exprimer nos sentiments, de partager nos émotions. L'adolescence est LE moment de la vie où on se découvre, et il est alors impossible de prendre des distances: la trahison d'une amie (qu'on oublierait vite une fois adulte) est une tragédie. L'importance de l'amitié est telle qu'on peut écarter nos propres intérêts pour suivre ceux des copines. Par exemple, si elles aiment faire du shopping, mais que ça ne nous plaît pas, on peut se sentir obligée de les suivre pour les garder et pour sentir qu'on fait partie du groupe. Par loyauté, on peut aussi suivre nos amies dans une aventure qu'on désapprouve.

«À l'adolescence, mes meilleures amies étaient le centre de mon univers, se rappelle Annie, 37 ans. On passait plusieurs heures au téléphone, à parler de Chambres en ville, et on s'écrivait des lettres interminables qui racontaient dans le fin détail les activités des gars hot de la classe. Une fois adulte, je n'ai plus jamais eu d'amitiés aussi fusionnelles. Parfois, ça me manque un peu, cette intensité dans l'affection qu'on connaît durant cette période-là.»

Cela dit, à la fin de l'adolescence, on commence à comprendre que, pour être soi-même, on devra peut-être faire le deuil de certaines amitiés. C'est le moment où on commence à saisir qu'on doit faire des choix. «Bien sûr, résister à ce que nous n'aimons pas, ça fait partie des apprentissages, poursuit Valérie Demers. Nous faire respecter implique parfois de perdre nos amies, mais ça fait partie de l'amitié aussi. Toutes ces expériences nous apprennent qui nous sommes comme humain, mais aussi comme femme. Et, à travers ces amitiés, nous découvrons nos propres goûts, nos valeurs et nos aptitudes, bref, notre façon à nous d'être femmes.»

Ma meilleure amie, ma coloc

Quand viennent les études spécialisées et les premiers emplois, les amies deviennent de précieuses complices. Selon Élaine Audet, «un travail et des intérêts communs développent des liens plus intimes, ainsi qu'une plus grande compréhension et une plus grande solidarité.» Isabelle a connu une période agitée dans la vingtaine, alors qu'elle travaillait dans l'hôtellerie et poursuivait ses études en même temps. Ses collègues de travail, étudiantes également, étaient son milieu de vie. Elles vivaient en appartement dans le même immeuble. «Nous étions dans des champs d'études différents, mais nous passions nos soirées à travailler dans les restaurants et nous nous soutenions beaucoup. On apprenait à se faire à manger. C'est l'une d'elles qui m'a montré à faire ma première sauce tomate!» Isabelle et ses amies étudiaient tard pour leurs examens... mais faisaient aussi les quatre cents coups!

De cette période olé olé, elle dit avoir gardé une amie très chère. «Cette amie a fait une dépression et je suis l'une des rares personnes qui sait par quoi elle est passée. Récemment, c'est moi qui ai eu besoin d'elle, et elle était là pour m'aider quand j'ai fait mon burn-out. Nous sommes aujourd'hui comme deux soeurs.»

Geneviève, 60 ans, observe que les filles entre elles osent davantage montrer leur vulnérabilité. Malgré leur différence d'âge, elle et Caroline, 21 ans, ont la même opinion des amitiés féminines. «Il y a des choses que je ne peux pas dire à mes parents et je suis capable de les dire à mes amies, avoue Caroline. On a une vraie intimité.»

Amitié: quand les bébés prennent toute la place

Bien que les femmes soient à la fois filles, soeurs, blondes, le rôle de mère demeure souvent le plus crucial de leur vie. «Quand elles deviennent mères, tout tourne autour de ce rôle, dit Tamarha Pierce, professeure et chercheuse au département de psychologie de l'Université Laval. Dans nos études, nous remarquons qu'en dépit des avancées professionnelles des femmes et de leurs carrières le rôle parental demeure prépondérant.» C'est donc quand elles fondent une famille que les femmes délaissent le plus leurs amitiés, poursuit la spécialiste. «Voyant la maternité sous l'angle de la performance, leur préoccupation première est d'être de bonnes mères et elles ont tendance à se mettre de côté pour s'accomplir principalement dans la maternité.»

Cependant, de nouvelles amitiés naissent durant cette période. Les femmes en congé de maternité en même temps que nous, les voisines qui ont des enfants du même âge et même les copines d'un forum Internet de nouvelles mamans deviendront des amies importantes, du moins pendant cette période.

Tamarha Pierce souligne que, même si on se fait de nouvelles amies avec qui on échangera conseils et confidences de mamans, il demeure que c'est encore la fonction parentale qui domine. C'est pour cela que ces amies «de maternité» disparaissent souvent, une fois les enfants plus grands.

«Les amies que je me suis faites pendant la maternité ne sont pas restées, raconte Geneviève. Nous étions liées pour des raisons bien précises. Avoir un enfant était notre seul centre d'intérêt commun. Mais c'est correct aussi! On a le droit, après tout, de ne pas se rejoindre sur toute la ligne.»

Pour la même raison, il arrive fréquemment que des amitiés s'étiolent ou s'éteignent carrément quand on devient mère avant nos amies ou que nos copines deviennent mamans alors que la maternité ne nous intéresse pas encore. Martine, 37 ans, a connu les deux situations. «J'étais toujours célibataire quand mes amies ont commencé à avoir des enfants. J'étais bien contente pour elles, mais j'ai passé des années à endurer des discussions interminables sur les couches, la garderie, les bobos d'enfants... Des sujets qui ne m'intéressaient pas et qui m'excluaient d'office de la conversation. Ironiquement, maintenant que c'est mon tour d'être mère, mes copines sont passées à autre chose et n'ont plus envie de parler de petite enfance! Comme c'est ce qui est au coeur de ma vie présentement, j'ai trouvé d'autres amies avec qui jaser bébés. Je me rattraperai plus tard avec celles qui ne sont pas dans le même état d'esprit que moi en ce moment.»

Amitié, vérité, liberté

Quand on atteint la quarantaine et que les enfants grandissent, les priorités changent. «On cherche à construire nos amitiés sur des valeurs qu'on veut défendre, explique Josiane, 52 ans. Beaucoup de choses nous paraissent plus anodines, et quand on prend le temps de se voir et de se parler, c'est pour se dire les vraies affaires. On est prêtes aussi à abandonner les amitiés qui ne nous nourrissent plus. Bref, on commence enfin à penser à nous!»

Malheureusement, les amies qu'on a laissé tomber en cours de route ne réapparaissent pas par magie. On peut alors se sentir démunie par leur absence. «J'ai observé que, quand les femmes n'entretiennent plus leurs amitiés, elles souffrent beaucoup de leur absence», constate la chercheuse et psychologue Ruthellen Josselson, coauteure de Best Friends: The Pleasures and Perils of Girls' and Women's Friendships (Three Rivers Press, 1998). C'est d'ailleurs ce qui convainc certaines de reprendre contact avec d'anciennes amies. «Plus je vieillis, plus la place qu'elles prennent s'agrandit, confie Josiane. Peut-être parce que j'ai plus de temps pour moi - les enfants sont grands! J'ai envie, j'ai besoin de voir mes amies, d'échanger, de partager. C'est comme si je voulais reprendre le temps perdu.» Pour elle, comme pour beaucoup d'entre nous, il y a des choses qu'on ne peut partager qu'entre filles. «Nos problèmes avec nos chums, nos innombrables et éternelles questions sur l'éducation des enfants, notre relation avec notre mère, nos recettes préférées, le fun qu'on a juste à parler, c'est cliché, mais c'est vrai, c'est typiquement féminin!»

Selon Ruthellen Josselson, si nous avons tant besoin de d'elles, c'est que nos véritables amies nous acceptent telles que nous sommes et qu'on peut leur montrer notre vérité. «Elles sont l'ancre qui nous permet de résister aux épreuves de la vie tout en restant nous-mêmes», dit-elle.

Pour poursuivre la réflexion

  • Nos chères amies..., par Denise Bombardier, Albin Michel, 2008, 176 p., 21,95$.
  • Le Goût de l'amitié, par Sandrine Treiner, Mercure de France, 2010, 114 p., 12,25$.
  • Les 100 lois de l'amour et de l'amitié, par Richard Templar, Leduc.s, 2010, 240 p., 23,95$.

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