Psychologie

"Je veux mourir, docteur!"

"Je veux mourir, docteur!"

  Photographe : Getty Images

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"Je veux mourir, docteur!"

Depuis plus de deux ans, l’aide médicale à mourir fait partie des options possibles en fin de vie, au même titre que les soins palliatifs ou le refus de traitement. Malgré cette grande avancée, il reste du travail à faire pour que tous ceux qui sont atteints d’une maladie incurable puissent mourir dignement.

C'était un après-midi d’hiver dans Charlevoix. Le ciel était dégagé et prêt à accueillir Mélissa pour son ultime rendez-vous. «Je vous quitte aujourd’hui, comme bien d’autres. Quel privilège de vous avoir tous connus», a écrit cette artiste peintre de 39 ans dans son avis de décès.

La jeune femme, qui combattait un cancer colorectal incurable depuis trois ans, est partie dans sa maison remplie de fleurs et de ballons, à sa manière, entourée des siens et en pleine possession de ses moyens. «Une mention très spéciale au Dr Pierre Carrier qui a la douce tâche de l’aide médicale à mourir et qui la porte avec empathie et grande générosité», a-t-elle tenu à ajouter dans ce même avis.

Le Dr Carrier, qui est médecin de famille dans la région de Charlevoix, se souvient très bien de la vivacité d’esprit de Mélissa, de la sérénité et de la belle journée ensoleillée qui a caractérisé son départ. «Quand elle a su qu’il ne lui restait que la date à choisir, elle était vraiment prête à s’en aller», se rappelle- t-il. Même qu’elle était plus sereine que certains membres de la famille, qui avaient du mal à composer avec l’idée de son départ, selon sa sœur Josée. «L’idée de la mort, qu’elle soit commandée ou non, n’est jamais facile à accepter, souligne-t-elle, mais on était tous heureux que Mélissa ne souffre plus.»

 

Comment ça fonctionne?

Un délai de 10 jours est nécessaire entre la signature des papiers gouvernementaux et le moment où l’aide médicale à mourir est administrée. «Cela peut être long quand on est prêt à partir, comme l’était Mélissa, admet le Dr Carrier, mais c’est nécessaire pour contrer les décisions impulsives et respecter le protocole qui exige l’approbation d’un second médecin.» Ce délai peut toutefois être court-circuité, si la personne risque de mourir à tout moment dans d’atroces conditions.

Cela a été le cas de Léon, un journaliste de 59 ans qui a reçu un diagnostic de forme bulbaire de sclérose latérale amyotrophique (SLA), en 2013. «Léon était un homme actif et très communicatif. Il aimait entrer en relation avec les gens», se souvient Chantal, sa femme des 35 dernières années. Progressivement, il est devenu incapable de parler et devait  communiquer par son iPad. Ensuite, il a dû être alimenté par une sonde de gastrostomie. Vers la fin de sa vie, sa respiration devenait de plus en plus difficile, au point de devoir recourir à un masque à oxygène.

«J’ai dû suivre le protocole de détresse respiratoire, qui consiste à lui injecter un médicament pour le détendre en cas de crise, explique-t-elle. Lors de sa première grosse quinte de toux, nous lui avons fait une injection et il s’est réveillé sept heures plus tard, confus. Lorsqu’il a réalisé qu’il pouvait mourir en détresse respiratoire ou des suites d’une injection, il a dit ne pas vouloir partir ainsi, en train de s’étouffer et de paniquer. Il préférait mourir doucement, en pleine conscience. Il a donc rencontré son médecin un mardi et il a rendu l’âme trois jours plus tard, dans l’ambiance feutrée de sa maison, entouré de ceux qui l’aimaient tant.»

 

Accessible, mais pas pour tout le monde

Selon l’Institut de la statistique du Québec, de 2016 à 2017, le nombre de Québécois qui ont obtenu l’aide médicale à mourir a bondi de 65 %. Pourtant, il ne s’agit pas d’une porte de sortie facile. On doit être une personne majeure, détentrice d’une carte d’assurance-maladie, en fin de vie et atteinte d’une maladie grave ou incurable. Il faut aussi être en mesure de comprendre notre situation médicale et faire notre demande verbalement à notre médecin traitant, qui a le devoir de nous présenter toutes les autres options possibles pour soulager nos souffrances, comme les soins palliatifs ou la sédation.

«Notre rôle n’est pas de faire changer d’avis au patient, précise le Dr François Marquis, intensiviste interniste à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, mais de s’assurer que ses motivations correspondent à celles exigées par la loi.» Parce que même si l’on a de bonnes raisons de vouloir mourir, celles-ci seront jugées insuffisantes si l’on ne peut répondre par l’affirmative à la question fondamentale: ai-je des souffrances physiques ou psychologiques intolérables? «Ne pas vouloir être un poids pour nos proches, pour la société ou devoir “casser maison” ne sont pas des raisons acceptables, précise-t-il. Quelles sont nos véritables motivations? La décision sera irréversible. On doit être un peu plus égoïste et penser à soi. Pourquoi, en ce moment, notre vie n’a plus de sens à nos yeux?»

 

Contestation devant les tribunaux

Le critère qui exige que la mort naturelle du patient soit raisonnablement prévisible pour recevoir l’aide médicale à mourir est contesté devant les tribunaux. D’ailleurs, le pronostic de fin de vie doit-il être de 1, 2 ou 10 ans pour que le patient soit admissible? «La fin de vie n’a jamais été quantifiée dans aucune loi, indique Me Jean-François Leroux, qui milite pour que ce critère tombe. Au moment de l’adoption de la loi provinciale, il y avait un consensus au sein du Collège des médecins, qui disait que quand c’est dans l’année à venir, c’est correct. Mais présentement, certains vont refuser d’aider un patient à mourir si le décès n’est pas envisageable dans les six prochains mois, tandis que d’autres vont accepter quand le pronostic est de 18 mois. C’est subjectif et discrétionnaire.» 

En attendant, les personnes souffrant de maladies dégénératives incurables, mais qui ne sont pas en fin de vie doivent prendre leur mal en patience. «Il y a des gens qui, pour se rendre admissibles à l’aide médicale à mourir, cessent de s’alimenter et de s’hydrater. Leur mort devient alors prévisible. Ça devient profondément absurde et choquant, s’insurge Me Leroux. On force les citoyens à prendre cette décision, alors que le protocole est extrêmement variable d’un milieu de soins à l’autre. Combien de temps laissera-t-on une personne jeûner avant de dire qu’elle répond aux critères de l’aide médicale à mourir? On ne le sait pas. C’est épouvantable!»

 

Protéger les personnes vulnérables

Dans le recours judiciaire que Me Leroux pilote, les experts des deux parties devront entre autres évaluer l’importance du critère de fin de vie dans la protection des personnes vulnérables. «Il y aura tout un débat pour déterminer si le suicide est un acte similaire à l’aide médicale à mourir, explique l’avocat. Est-ce que les gens sont dans le même état d’esprit ou non? Récemment, on a établi que ce n’est pas la même chose dans un document publié par l’Association de la prévention du suicide, aux États-Unis. Cette question sera débattue ici aussi.»

Les détracteurs craignent que le fait d’enlever la notion de fin de vie ouvre la porte aux dérapages. Pour Me Leroux, il est primordial que les patients présentent des souffrances graves, irrémédiables et qu’ils soient aptes à donner un consentement libre et éclairé. «Souvent, ce qu’on entend, c’est: “Vous commencez par le critère de fin de vie, puis après ce sera les souffrances et l’aptitude. On va finir par euthanasier les gens atteints d’alzheimer contre leur volonté!” Ce n’est pas ce qu’on veut.»

Grosso modo, l’arrêt Carter rendu par la Cour suprême du Canada, en 2015, affirmait que bien que le caractère du droit à la vie soit fondamental, le caractère sacré de la vie n’exige pas que toute vie humaine soit préservée à tout prix. «Ce que nos experts nous disent, c’est qu’à partir du moment où le médecin détermine que la personne est apte à consentir et qu’elle a des souffrances graves et irrémédiables, le droit à l’autodétermination doit primer sur celui du droit à la vie», conclut le juriste.

 

Un accompagnement pas toujours facile

Si le fait de pouvoir demander l’aide médicale à mourir est apprécié par le patient en fin de vie, sa famille et ses proches, cela semble plus difficile à vivre du côté des médecins. En effet, une étude réalisée par le CISSS de Laval, en 2017, révèle que 77 % des médecins ayant reçu une telle demande l’ont refusée. «Je peux les comprendre, de répondre le Dr Marquis, ce n’est pas dans l’ordre des choses pour un médecin de mettre fin à la vie d’une personne. J’ai personnellement décidé d’accompagner mes patients dans leur route, peu importe laquelle. Mais je dois avouer qu’après avoir mis fin à une vie, je suis envahi par des sentiments confus, allant de la sérénité à la tristesse profonde. L’aide médicale à mourir a changé ma pratique à jamais. Seul l’avenir me dira si c’est pour le mieux.»

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