Génération sandwich: entre coeur et raison

istockphoto.com Photographe : istockphoto.com Auteur : Coup de Pouce

La génération sandwich en 5 points

1. Le terme, apparu au Japon dans les années 60, désigne les personnes qui se retrouvent dans le rôle de proches aidantes alors qu'elles ont encore des enfants à la maison.

2. «Au Canada, c'est 30% des 45-64 ans qui font partie de cette génération qu'on appelle sandwich!» rapporte Serge Cabana, ancien professeur de service social et auteur de Baby-boomerang, un essai sur les baby-boomers face à la retraite.

3. Selon Marc Stolow, coordonnateur du Réseau entre-aidants, 80% des soins aux aînés sont prodigués par la famille.

4. Même si les femmes travaillent autant que les hommes, elles passent deux fois plus de temps qu'eux à s'occuper d'une personne âgée malade (29 heures par semaine contre 13 pour les hommes, d'après Statistique Canada). De plus, avec les ans, les femmes de la génération sandwich semblent de plus en plus jeunes, avec des enfants en bas âge.

5. Selon Statistique Canada, 20% des membres de la génération sandwich ont dû modifier leur horaire de travail et 10% ont noté une baisse de leurs revenus. Certains ont vu un poste important leur filer entre les doigts, d'autres ont dû retarder leur retraite, faute de moyens. De plus, selon un sondage mené par Crédit Canada et Capital One Canada en 2011, quatre Canadiens de la génération sandwich sur dix ne sont pas certains de pouvoir payer les études de leurs enfants.
 

8 bonnes idées pour y arriver

«Je crois que les gens y arrivent un peu mieux qu'avant, constate Josée Jacques, psychologue. Chloé Sainte-Marie, qui a largement contribué à sensibiliser la population, y est pour quelque chose. La réalité des proches aidants est désormais mieux reconnue et cela les aide justement à demander un peu d'aide. On comprend plus que jamais que, pour être en mesure d'aider nos enfants comme nos parents, il faut recharger nos batteries!» En vrac, quelques idées à essayer.

1. Ventiler. «Écrire ou s'exprimer verbalement si on le peut, mais de grâce, ne pas tout garder en dedans. Et, si possible, trouver quelqu'un qui vis des choses similaires pour jaser, s'exprimer et respirer», suggère Julie.

2. Tenir un agenda. Cela permet de structurer notre quotidien et, souvent, de l'alléger en planifiant mieux. D'un coup d'oeil, on a le plan de match de chaque journée. Si possible, on opte pour un agenda familial afin que chacun se sente impliqué. On y note aussi les noms, les numéros de téléphone, les infos, les lieux, les spécialistes, les noms des médicaments, la marche à suivre dans tel ou tel cas, etc.

3. Prévoir du temps pour le chum, les enfants et juste pour soi! Ce n'est pas facile, mais c'est nécessaire. Et on n'est pas égoïste de le faire. Ces moments nous permettent de nous recentrer et de mieux rééquilibrer notre vie. On en a réellement besoin pour attaquer demain avec énergie.

4. Tenir un conseil de famille. On est la seule qui habite près de chez nos parents? On risque d'en avoir un peu plus lourd sur les épaules. Pour bien impliquer toute la famille, on essaie de se voir périodiquement pour faire le point. «Je fais des conseils de famille afin de savoir si tout va bien pour tout le monde. Ces rencontres nous rassurent et permettent de s'assurer qu'aucune catastrophe imprévue ne va nous éclater au visage!» suggère Claire.

5. Demander de l'aide... et l'accepter! On marche peut-être sur notre orgueil, mais on le fait! «Il faut que les aidants se donnent la permission de chercher de l'aide et assumer qu'ils ne pourront pas tout faire tout seuls», recommande Marc Stolow.

6. Accepter de ne pas tout savoir. On ne connaît pas tout. On peut se tromper, douter ou même gaffer. Tout le monde a droit à l'erreur, même nous! On est indulgente envers nous-même.

7. Ne pas refouler nos émotions, même les plus difficiles. On a le droit d'être en colère, d'avoir de la peine, d'être découragée. «Ne vous sentez pas coupable des sentiments négatifs qui surviennent et dont vous êtes peu fière. Moi, je les voyais comme un signe que j'étais mûre pour une pause», raconte Claire.

8. Faire un plan de soin. «Notre rôle d'aidant se modifie avec le temps. En essayant de prévoir ce qui va se passer, comment on pourra réagir, ce qu'il faudra considérer, les réaménagements souhaitables, les aspects légaux à régler et tout, on évite de se retrouver en mode réaction quand ça arrivera pour vrai. Savoir qui pourra nous aider ou quels services on pourra obtenir facilite le processus», explique Marc Stolow.
 

Apprendre (aussi) à vivre pour soi

«Quand mon père a fait un ACV avec triple arrêt cardiaque au printemps 2007, je venais de lui annoncer que j'allais me marier. Les préparatifs ont donc été assombris par son long séjour à l'hôpital et par sa réadaptation. Le matin des noces, il venait à peine de réapprendre à marcher solidement. Il parlait peu, était souvent confus et avait besoin d'aide pour tous les soins quotidiens, des repas jusqu'à la douche. La conjointe avec qui il habitait jusque-là en a rapidement eu assez de voir que l'homme qu'elle avait aimé n'était plus autonome. Quelques jours après notre mariage, elle nous a annoncé qu'elle le quittait. Nous le savions seul, au Lac-Saint-Jean, alors que nous vivons au Centre-du-Québec. L'option centre d'hébergement a rapidement été exclue, pour une foule de raisons. Papa avait 57 ans.

Rapidement, nous nous sommes rendu compte que la maison était trop petite pour accueillir notre couple, deux ados nés d'unions précédentes et mon père. Nous avons donc regardé du côté des maisons cogénérationnelles. Nous avons trouvé la bonne, vaincu une horde de problèmes et y sommes finalement emménagés. En juillet 2009, papa habitait officiellement avec nous.

«Notre expérience a été aussi enrichissante que difficile. Il nous a fallu plusieurs mois avant de rassembler les éléments qui nous permettraient d'être de bons aidants naturels: les soins à domicile, le répit, la bonne médication pour papa, l'équilibre entre nos vies personnelles et la vie familiale élargie. Mon époux et mes fils ont été d'une aide extraordinaire. Sans eux, je n'y serais jamais arrivée. Ma soeur et son conjoint ont aussi contribué à notre stabilité psychologique en invitant papa chez eux chaque samedi. Au travail, les collègues n'avaient que de bons mots pour nous, et cela nous encourageait. Cela dit, il nous est souvent arrivé de nous décourager, de nous remettre en question, de vouloir démissionner. Entre les activités des garçons et les rendez-vous de papa, nous nous sommes souvent demandé si nous prenions le temps de vivre notre vie à nous.

«Et puis, juste avant le jour de l'An 2011, papa a fait une pancréatite fulgurante. Il est décédé en soins palliatifs le 2 janvier. Après une période dépressive, des moments de culpabilité - avons-nous pris suffisamment soin de lui? - et malgré le vide à combler, voilà que nous revivons. Notre quotidien a repris ses droits, notre couple a acquis une nouvelle tranquillité et les enfants ont eu accès à des parents plus disponibles et moins préoccupés. Mais l'expérience, elle, demeure. Difficile et grandiose à la fois, pour toute notre famille. Mais ça ne durera pas éternellement. Au moment où vous lirez ces lignes, je serai grand-maman pour la première fois... de jumeaux. Et c'est reparti!»

Martyne, 37 ans

Quand papa ne nous reconnaît plus

«Mon père n'a que 60 ans mais il souffre de démence et d'Alzheimer depuis déjà près de 9 ans. Il va sans dire qu'à son âge il représente un cas particulier et qu'il ne correspond pas aux critères exigés par le système de santé. J'ai donc dû me battre pendant des années pour qu'on lui trouve une place, car je ne pouvais plus m'occuper de lui. J'ai dû déléguer une partie de la charge à la curatelle publique, mais je suis celle qui s'occupe de sa personne. Quant à ma mère, elle est dans un CHSLD depuis quelques années déjà.

«C'est très difficile émotionnellement et drainant physiquement. Voir son père ne plus être son père est bouleversant. Chaque visite me brise le coeur, chaque appel me chamboule. Heureusement, il y a encore des moments où il est conscient. Ces instants où une petite lueur brille dans ses yeux me confirment que mon choix de l'aider est le bon.

«Avec mes deux enfants et les deux de mon conjoint, mon travail et le temps consacré à mon père, ma vie tient du casse-tête. Malgré tout, je trouve que je n'en fais pas assez et je me sens constamment coupable. J'aimerais pouvoir le sortir, faire des choses avec lui, mais sa maladie le rend tellement imprévisible que, désormais, même les choses simples ne sont plus possibles. Le détachement est le seul moyen de ne pas se perdre, mais encore là, c'est pénible. Après chacune de mes visites, je dois me reprendre, me reconstruire une coquille pour ne pas être envahie par un profond sentiment d'impuissance. J'ai déjà fait deux dépressions majeures et parfois, je me dis que je devrai éventuellement choisir entre mon père et ma vie, car ce n'est pas humain de devoir jouer à la mère avec ses propres enfants et son père en même temps!»

Ariane, 34 ans

Ce qu'on lègue à nos enfants

«Quand mes beaux-parents sont déménagés chez nous en 1998, je n'aurais jamais cru que, 13 ans plus tard, nous aurions eu le temps de devenir grands-parents et que trois générations - nos petites-filles, nos filles et le père de mon mari - évolueraient autour de nous. Comme Richard, mon conjoint, est enfant unique et qu'il travaille encore, c'est sur mes épaules que repose la majeure partie des soins à son père: c'est moi qui l'accompagne à ses rendez-vous chez le médecin, l'optométriste, le dentiste, etc. Je le fais volontiers, même si c'est parfois difficile, en partie parce que je me sens responsable du message que je transmets à mes enfants: je tiens à faire ce qu'il faut afin que mes trois filles apprennent la compassion et l'empathie.

«Comme mon beau-père ne peut rester seul, je vois rarement mon conjoint en tête-à-tête. J'ai déjà célébré mon anniversaire de mariage à trois... Pas très romantique! En général, je suis compréhensive, mais il m'arrive de hurler et de pleurer parce que j'ai l'impression de n'avoir jamais mon mari à moi toute seule. J'ai le même sentiment avec mes filles. Je les néglige parce que je dois cuisiner, aller à l'hôpital, à la clinique ou chez le neurologue, ou encore prendre soin de mon beau-père parce qu'il tombe malade exactement le jour où nous avons une occasion spéciale: le jour de mon cours à l'université, le jour du bal de finissants d'une des filles, etc.

«Je me sens tout le temps déchirée. En fait, mon sentiment le plus fort, c'est celui d'avoir passé ma vie à m'occuper des autres. Quand j'étais jeune, on était une grosse famille et j'ai souvent pris soin de mes jeunes frères et soeurs. Ensuite, ç'a été le tour de mes enfants et puis, juste au moment où ils devenaient un peu autonomes, celui de mes beaux-parents! Je ne me sens jamais libre dans ma tête. Je dors mal parce que je me trouve sans coeur d'avoir envie de tout laisser tomber! J'en ai plein le dos de ne jamais avoir de temps de qualité avec mon mari et de n'être jamais pleinement disponible pour mes enfants.

«Heureusement, j'ai des amies, des passions et une magnifique relation avec mes filles. En plus, mon conjoint me gâte beaucoup et nous partageons des intérêts communs. Quand c'est lui qui déprime, je lui remonte le moral et quand c'est mon tour, il trouve quelque chose pour me remettre en piste. Nous savions que ce ne serait pas facile, mais pour nous, il ne pouvait pas en être autrement.»

Claire, 59 ans

Écrire pour se libérer

«Depuis quelques années, le comportement de mon père changeait. Il avait de plus en plus de difficulté à trouver ses mots. Mon frère et moi avons insisté pour qu'il consulte. Diagnostic: il fait de l'aphasie primaire progressive, une maladie dégénérative. Depuis, les nouvelles ne sont jamais bonnes et son état empire sans cesse. Il n'existe pas de traitement.

Mon père vivant seul, mon unique frère habitant à 12 heures de route, je me suis retrouvée sa seule et unique proche aidante. Au début, je ressentais beaucoup de colère. Je suis maman de deux enfants qui ont des troubles neurologiques. Chaque semaine, ils fréquentent deux centres de réadaptation pour des thérapies en orthophonie et en ergothérapie. Je ne voyais pas comment je trouverais du temps pour accompagner mon père alors que j'en avais déjà plein les bras.

«Finalement, j'y arrive. Un jour à la fois. J'enseigne trois jours par semaine et mes autres journées sont consacrées aux rendez-vous des enfants et de mon père, aux suivis d'appels pour demander de l'aide au CLSC, aux formulaires à remplir et à poster, et aux tâches ménagères indispensables. Il ne me reste pas vraiment de temps pour les extras! Je ne parviens pas à m'entraîner même si ça me ferait tellement de bien. Il y a toujours des urgences qui font que j'annule mes propres activités. Je me mets sur un mode fonctionnel en me débranchant de mon corps pour ne rien ressentir, mais après quelques semaines, je craque. «Depuis la naissance de mon fils, je suis médicamentée. Quelques semaines avant son arrivée, ma fille a failli mourir et je n'ai pas été capable d'affronter tout ça seule. Je consulte aussi un psy. Je pleure souvent.

«Dans tout cela, il y a une seule chose qui m'apporte énormément de réconfort: l'écriture. Je me suis créé un espace personnel où je peux m'exprimer, analyser, décompresser, prendre du recul et même essayer de voir ma vie avec du positif et un brin d'humour. Je blogue. C'est ce qui me fait le plus de bien après les câlins de mon chum et mes enfants. Quand j'ai de la grosse colère, j'écris avec mon coeur! Souvent vite et d'un premier et unique jet. J'ai aussi découvert un nouveau réseau d'amies avec qui je partage certaines réalités. Depuis quelques semaines, alors que jusque-là, j'écrivais sur ma vie de maman (mamanbooh.blogspot.com) ou sur la dyspraxie (dyspraxieetcie.com), j'ai commencé à écrire sur mon père, sur mes démarches, sur ce que je vis avec lui et sur les ressources que je trouve (unjourtuserasmuet.blogspot.com). Cela me permet aussi d'informer mon frère sur le quotidien de son père et sur sa maladie. Si, encore une fois, j'ai choisi la formule du blogue, c'est que peut-être qu'un jour cela aidera et réconfortera une autre personne. Juste de penser cela, ça me fait du bien aussi!»

Julie, 38 ans

 

À DÉCOUVRIR: 50 ressources pour les aidants naturels

Partage X
Psychologie

Génération sandwich: entre coeur et raison

Se connecter

S'inscrire