La contraception, une affaire de femmes?

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Si tout le monde sait comment on fait des bébés, pourquoi les hommes et les femmes ne se sentent-ils pas également concernés quand il s’agit de prendre les moyens de ne pas en faire?

Dans le couple de Marie-Anne, 39 ans, c'était clair: madame prendrait la pilule le temps qu'ils ne voudraient pas d'enfants et monsieur se ferait vasectomiser quand le moment viendrait de fermer boutique. «Je considère que j'ai fait plus que ma part en prenant la responsabilité de la contraception pendant des années, et que ce serait au tour de mon mari de faire la sienne au moment venu, même s'il n'était pas très chaud à l'idée de subir cette intervention pourtant très mineure!»

Dans d'autres couples, ça ne se passe pas toujours aussi rondement. En effet, pour bon nombre de couples, la contraception reste un sujet sensible. À condition même qu'ils en discutent! Selon un sondage commandité par Bayer mené en 2014 auprès de 1 500 Canadiens, 56% des répondants ont dit parler de méthodes contraceptives avec leur conjoint moins d'une fois par année, voire quasiment jamais. Et ce, même si 43% d'entre eux doutaient de l'efficacité du moyen de contraception utilisé dans leur couple. De ce pourcentage, une personne sur trois avouait même que cette crainte nuisait grandement à la qualité des rapports sexuels.

«On ne parle généralement pas assez de contraception dans le couple, comme si c'était encore un peu tabou ou parce que certains comportements sont presque considérés comme acquis, dit Laurence Charton, socio-démographe à l'INRS. Par exemple, quand un couple décide de laisser tomber le condom, la femme se tourne presque automatiquement vers la pilule. Pourtant, il faut se demander quelle contraception nous convient le mieux et bien se renseigner sur des méthodes envers lesquelles on a peut-être certains préjugés.»

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«Pendant longtemps, les hommes ont été exclusivement responsables de la contraception puisqu'il n'existait pas d'autres méthodes que le condom et le coït interrompu, explique Christabelle Sethna, experte en histoire de la contraception et professeure à l'Institut d'études féministes et de genre, à Ottawa. Mais quand la pilule est arrivée au Canada au début des années 60, la contraception est essentiellement devenue une affaire de femmes.»

Un sujet délicat

Mais le désengagement des hommes envers la contraception peut-il s'expliquer uniquement par l'avènement de la pilule? «En général, le discours social en matière de contraception focalise sur les femmes», estime Sylvie Lévesque, professeure au département de sexologie de l'UQAM. Sophie de Cordes en convient. Coordinatrice générale de la Fédération du Québec pour le planning des naissances, Mme de Cordes admet que les informations à ce sujet sont le plus souvent dirigées vers les femmes. «Mais la plupart des moyens de contraception leur sont dédiés et ce sont elles qui tombent enceintes. Si davantage de méthodes contraceptives étaient développées pour les hommes, sans doute que notre discours changerait.»

Il est vrai que, lorsque le sujet de la contraception est abordé, les hommes peuvent toujours arguer qu'ils ne disposent que de peu de moyens contraceptifs tandis que les femmes, elles, ont le choix entre une vingtaine de méthodes. Vrai, même si les deux principaux moyens contraceptifs sont le condom (54%) et les contraceptifs oraux (43%) selon un sondage national mené en 2009. Mais dans les couples de longue durée, surtout ceux qui ont définitivement clos le dossier progéniture, le condom ne ressort généralement pas grand favori. Si toutes les méthodes féminines ont été écartées, le mot vasectomie vient alors hanter les hommes, qui espèrent en silence qu'il ne franchira jamais les lèvres de leur conjointe...

Dramatique, la vasectomie?

Moins dramatique au Québec qu'ailleurs dans le monde, semble-t-il. Ici, quelque 13 500 hommes choisissent de se faire vasectomiser chaque année. «On est un des endroits sur la planète où il se fait le plus de vasectomies», soutien le Dr Michel Labrecque, qui a lui-même pratiqué cette intervention plus de 22 000 fois au cours de sa carrière. «L'âge moyen des hommes qui optent pour cette méthode est de 35 ans, dit le spécialiste. À 50 ans, un Québécois sur trois est vasectomisé.» Cela dit, le Dr Labrecque en convient: ils sont encore très nombreux à craindre une intervention qui, dans les faits, est beaucoup moins risquée que l'hystérectomie, par exemple. «Certains ont tout simplement peur de la chirurgie, dit le médecin. D'autres entretiennent des idées préconçues, par exemple qu'ils risquent de ne plus avoir d'érections. D'autres encore appréhendent l'aspect définitif de la chose.»

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Certains rejetteront complètement l'idée, persuadés que les femmes, avec tous les choix dont elles disposent, ont le beau jeu. Un argument qui, valable ou non, leur servira sans doute bien des années encore puisque rien ne semble indiquer que l'éventail de choix masculins s'élargira prochainement. «Ça fait des décennies qu'on parle de la pilule contraceptive pour hommes. Pourtant, elle n'est pas encore sur le marché et je doute qu'elle le soit de sitôt», affirme Laurence Charton. Pourquoi? Impossible de le savoir vraiment. Il faudrait pour cela pouvoir obtenir des réponses du milieu pharmaceutique et médical. Selon le Dr Labrecque, les compagnies pharmaceutiques n'ont plus vraiment d'intérêt à investir dans la recherche de nouvelles méthodes contraceptives, tant pour les femmes que pour les hommes. «Trop de risques y sont liés. On n'a qu'à penser aux pilules de troisième et quatrième générations, qui ont suscité toute une controverse, rappelle le spécialiste. Cela dit, c'est vrai que les femmes ont souvent l'odieux de la contraception, si je peux m'exprimer ainsi. Mais il reste que c'est moins compliqué de concevoir des méthodes contraceptives pour elles que pour les hommes. Plus facile d'empêcher une ovulation mensuelle que des milliards de spermatozoïdes toujours en action!»

Par ailleurs, une question s'impose: les femmes seraient-elles prêtes, si la pilule masculine existait, par exemple, à laisser à leurs conjoints l'entière responsabilité d'assurer la contraception? Christabelle Sethna n'en est pas convaincue. «Ça fait bien trop longtemps qu'elles sont habituées à avoir le contrôle sur ce plan. En tous cas, il faudrait sûrement plus d'une génération avant que ça s'inscrive dans les moeurs.»

Fertilité bien planifiée = liberté

Étonnamment, même s'il est relativement facile de bâillonner une ovulation, ce ne sont pas tous les couples qui y parviennent: 35% des femmes qui ont répondu au sondage national de 2009 et qui ne cherchaient pas à devenir enceintes ont avoué ne pas toujours utiliser un moyen de contraception. Et 39% des personnes interrogées lors du sondage commandité par Bayer ont vécu une grossesse non planifiée. Par ailleurs, bien que le taux d'avortement chez les jeunes soit en diminution depuis presque une dizaine d'années au Québec, celui des femmes de plus de 35 ans, lui, est resté relativement stable.

Comment expliquer qu'au sein d'un couple qui dure, qui ne veut pas ou plus d'enfants, la pensée magique puisse constituer l'unique moyen de contraception? Qu'on se rabatte sur le coït interrompu (3e moyen de contraception au Québec!), le calendrier, la température interne ou l'alignement des planètes, il est tout de même étonnant que certains couples se surprennent lorsqu'un «accident» survient. «Pourtant, toutes les informations nécessaires sur les différents moyens de contraception sont disponibles, dit Laurence Charton. Mais parce qu'on ne discute pas nécessairement de ces moyens dans le couple, parce qu'on a des préjugés face à certains d'entre eux et parce qu'on a une espèce de confiance aveugle en notre conjoint, on joue un peu avec le feu.»

«Chose certaine, les couples pour qui la contraception marche bien et n'engendre de frustration ni chez l'homme ni chez la femme, ce sont ceux qui en parlent ouvertement et qui s'informent adéquatement», insiste Christabelle Sethna. Pour Sylvie Lévesque, un travail en amont est nécessaire si on veut que ces couples soient plus nombreux encore. «Il n'y a plus de cours d'éducation sexuelle dans les écoles. La question de la contraception y est donc peu abordée et quand c'est fait, c'est souvent dans le cadre des cours de biologie, dit la spécialiste. De même, les professionnels, et même les parents, n'ont souvent pas le réflexe d'impliquer les garçons quand ils abordent le sujet, sauf bien sûr en ce qui concerne les ITSS et l'importance de se protéger. Bref, il y a beaucoup de place à l'amélioration en ce qui a trait à la façon de parler de contraception afin de sensibiliser davantage les garçons, qu'ils se sentent concernés.» Le Dr Michel Labrecque, lui, est convaincu que les couples québécois sont sur la bonne voie à cet égard. «Je vois de plus en plus d'hommes qui se sentent concernés par la question, qui veulent faire leur part et ne pas laisser cette responsabilité à leur femme uniquement. Je suis optimiste!»

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La contraception et vous

«Quand j'ai rencontré mon chum, il y a un peu plus d'un an, je m'étais déjà fait installer un stérilet. Les premiers mois, on a quand même utilisé un condom puis, quand on a cessé de le faire, il m'a demandé si j'étais certaine de ne pas tomber enceinte. J'ai répondu oui à 99,7%. Voilà, c'est arrivé. Évidemment, on a été surpris mais aussi très contents, car on sentait qu'on était avec la bonne personne. Jamais mon chum ne m'a fait me sentir mal ou coupable parce que la méthode de contraception que j'avais choisie avait failli. Après tout, s'il n'avait pas voulu assumer le 0,3% de risque, c'était à lui de le dire et de garder son condom!» - Marie-Josée, 35 ans

«Je suis souvent distraite. Mon chum s'informe régulièrement si j'ai pris ma pilule ou me rappelle de le faire. De plus, c'est souvent lui qui va faire un crochet à la pharmacie et payer pour me procurer ma contraception. Même si c'est moi qui avale la pilule, je sens mon chum aussi impliqué que moi et ça me rassure.» - Karine, 31 ans

«Dans notre couple, la question de la contraception a été discutée dès le début. Ma femme allait prendre la pilule jusqu'à ce qu'on ait nos enfants, ensuite j'allais me faire vasectomiser. Et c'est ce qu'on a fait. J'avoue que, quand est venu le temps de le faire, j'ai eu des craintes, par rapport à la douleur, aux risques, etc. Mais j'ai discuté avec des amis qui l'avaient fait et avec le médecin. Honnêtement? Ça a été moins pire qu'un rendezvous chez le dentiste!» - Vincent, 44 ans

«J'ai essayé la pilule, le stérilet, le timbre... Je me sens comme la statistique d'exception à qui aucune méthode ne convient! Jusqu'à présent, toutes ont entraîné des effets que j'étais incapable de tolérer. Pourtant, il va me falloir tester d'autres méthodes encore, car j'haïs le condom et la vasectomie est hors de question puisque mon conjoint et moi voulons des enfants. Vivement la pilule pour hommes!» - Valérie, 33 ans

«Je suis en couple depuis 11 ans et je n'ai jamais été enceinte, même si on n'a jamais utilisé de moyen de contraception. Au tout début, on ne cherchait pas nécessairement à avoir d'enfants, mais on se disait que si ça arrivait, ça serait OK. Sauf qu'avec le temps, j'ai commencé à penser qu'un de nous deux était infertile. Cela ne nous a pas dérangés plus que ça puisque avoir des enfants n'était pas une condition absolue à notre bonheur. Aujourd'hui, l'idée d'avoir un enfant est inconcevable; on aime notre vie telle qu'elle est. On ne se sert toujours pas de contraception, et même si on n'a pas fait de test de fertilité, ça serait plus qu'étonnant que ça nous arrive après toutes ces années...» - Cynthia, 38 ans

«Nos deux premiers enfants ont été planifiés. Après eux, ni mon conjoint ni moi n'étions convaincus qu'on en voulait un troisième... ni qu'on n'en voulait pas. On a donc laissé au hasard le soin de prendre cette décision! Finalement, aujourd'hui, on a quatre enfants et nous en sommes très heureux. Ça m'étonnerait qu'à mon âge on en ait un cinquième, mais si ça arrivait, on serait contents. On a toujours cru que la vie faisait bien les choses et qu'il y avait quelque chose de prédestiné dans le fait d'avoir des enfants ou pas. Je sais bien qu'il y a beaucoup de gens qui sont en désaccord avec cette idée, mais je m'en fiche. On n'a pas beaucoup d'argent, mais on y est toujours arrivés, et chaque nouvel enfant a été accueilli avec beaucoup de bonheur.» - Caroline, 45 ans 

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