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Témoignages: quand le cancer frappe

Témoignages: quand le cancer frappe

J�R�ME GUIBORD/SHOOT STUDIO. Photographe : J�R�ME GUIBORD/SHOOT STUDIO. Auteur : Coup de Pouce

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Témoignages: quand le cancer frappe

Le cancer frappe un Canadien sur trois. À quoi ressemblerait cette statistique si on comptabilisait vraiment le nombre de gens touchés? Témoignages d’une survivante... et de son équipe!

Photo: De gauche à droite: Première rangée: son chum Frédéric, sa fille Clara, Marie-Claude et son amie Marie-Hélène. Deuxième rangée: son amie Nancy, ses enfants Antoine et Emma, son père Pierre. Troisième rangée: ses amies Ève et Laurence, sa mère Martha.

« J'ai reçu un diagnostic à 37 ans. Cancer du sein, carcinome lobulaire infiltrant de grade 3, stade 2. Bien sûr, la colère. Bien sûr, la peine, la peur, le courage, la lutte. L'espoir, aussi. Et le désespoir, parfois. J'ai trois enfants. Je leur en parle ou pas? Je mets ma famille et mes collègues dans le coup ou je les tiens loin? Ma personnalité m'a dicté la route. J'ai mis tout le monde à contribution.

«Le cancer n'est pas une expérience souhaitable, mais c'est une aventure d'où surgissent quand même de grandes beautés. Des amitiés qui naissent, fortes, solides, inattendues. Des moments de grâce ou de grande communion, parce que soudain, la vie, c'est tout ce qui importe. J'ai eu envie de partager ce que j'ai appris. Avec l'équipe de soutien Cancer j'écoute de la Société canadienne du cancer, j'ai collaboré à la rédaction d'un guide intitulé L'Enfant et l'Adolescent face au d'cancer un parent, destiné à aider la famille. Le cancer a changé beaucoup de choses en moi. J'ai mené le combat, mais je n'étais pas seule. Je vous présente quelques personnes parmi ces gens importants, qui ont accepté de raconter comment mon cancer les a touchés. Si vous connaissez quelqu'un qui combat, n'ayez pas peur de la maladie. On ne connaît pas le pouvoir du moindre café latté apporté au bon moment!»

«Frédéric, mon chum. Il a été amoureux sans arrêt, et a tout accepté: la perte du sein, la reconstruction, la ménopause prématurée, l'angoisse, les crises, les pleurs... et il est resté!» -Marie-Claude

Frédéric, conjoint de Marie-Claude

«On avait déjà détecté une bosse dans son sein gauche. Le diagnostic n'a pas été un grand choc pour moi. Quand j'y repense, je crois que je m'étais préparé au pire pour me protéger. Ni surpris ni catastrophé, je me suis mis en mode solution. Marie dirait peut-être que j'ai été à la limite d'être froid en certaines occasions. Je me voyais comme un pilier, pour elle et pour les enfants, et mon rôle était d'être un bon pourvoyeur et de rester fort pour les miens. J'ai toujours refusé d'envisager de la perdre. Si bien qu'un soir, lorsqu'elle m'a confié sa peur de mourir, j'ai répondu avec toute ma certitude qu'elle ne mourrait pas. Elle a dû voir ça comme un manque d'empathie. C'était, pour moi, une manière de survivre et de continuer à travailler, à vaquer, à l'aimer. Parler de ma peine ou de mes peurs aurait signifié leur donner de la place. Je ne voulais pas. Je ne pouvais pas. Si c'était à refaire, j'essaierais de faire preuve d'un peu plus d'équilibre entre ce que je suis et ce qu'elle avait besoin que je sois. Parfois, la personne malade a besoin d'écoute. Parfois, la solution, c'est simplement une épaule et un signe qu'on a compris ce que l'autre vit.»

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«Emma se réfugiait dans ses romans. Elle parlait peu de ses angoisses et de ses sentiments. Encore aujourd'hui, les témoignages, ce n'est pas sa tasse de thé! Ce qui rend le sien d'autant plus précieux

Emma, 15 ans, fille aînée de Marie-Claude

«Au début, j'ai eu peur que ça m'arrive, à moi aussi. Ma mère, et les tests génétiques qu'elle a passés, m'ont rassurée. J'ai peut-être l'air égoïste quand je dis ça, mais je n'ai jamais pensé que ma mère allait mourir. Mon petit frère a pensé ça. Mais pas moi. D'abord, mon quotidien n'est pas devenu tout noir, et c'est grâce à l'attitude de ma mère. Elle déployait vraiment beaucoup d'énergie pour que notre vie soit belle. Pour qu'on ait du fun, malgré le cancer. Je n'aime pas trop parler du sujet, mais ma mère mérite cet honneur. Elle m'a montré qu'elle savait donner, et qu'elle savait recevoir. Les deux sont importants. Pendant la maladie, la famille s'est rapprochée. Je voyais ma mère plus souvent que lorsqu'elle travaille. J'arrivais de l'école et elle était là. Même avec Fred, mon beau-père. C'était plus difficile, nous deux, avant. Le cancer, ça te fait voir ce qui est vraiment important. Ça te fait comprendre que la chicane, c'est vraiment inutile. Le temps, ça passe vite et c'est important de faire des choses constructives, des choses qu'on aime.»

«Quand Jack Layton est décédé, Antoine avait 9 ans. Il m'a demandé: "Dis, maman, il était trop jeune pour mourir de vieillesse. C'est le cancer, c'est ça?"»

Antoine, 12 ans, fils de Marie-Claude

«J'étais très anxieux, et j'avais peur que ma mère meure. Qu'est-ce que j'allais faire sans elle? Pour me rassurer, ma mère a inventé un jeu. La nuit, dans nos rêves, on se donnait rendez-vous au château de Harry Potter. Ça m'aidait à m'endormir. Et ça me permettait de penser que, dans nos rêves, rien ne pourrait jamais nous empêcher d'être ensemble. Ma mère a créé un carnet pour aider d'autres parents qui ont le cancer à guider leurs enfants. Ça, c'est généreux! Le cerveau humain devrait fonctionner comme ça de manière automatique: trouver un bon côté aux mauvaises aventures. Sinon, ça sert à rien de les vivre. Même si j'étais très jeune quand ma mère est devenue malade, je peux dire que le cancer a changé ma vie. Je ne sais pas qui je serais devenu sans lui, mais je sais qui je suis à cause de lui. J'ai appris, par exemple, que les gens, c'est plus important que le matériel et qu'être ensemble, avec ceux qu'on aime, c'est plus fort que tout. J'ai aussi appris qu'on ne s'en serait pas sortis si personne n'était venu nous aider, si maman ne s'était pas ouverte à l'aide. Dès que je l'ai su, je l'ai dit à ma prof, à mes amis, puis à toute l'école! J'ai senti l'amour de tout le monde et ça m'a donné de la force. J'ai aussi appris combien ma mère est courageuse. Je suis très fier qu'elle soit ma mère. L'an prochain, on va faire une grosse fête pour sa rémission.»

«C'est ma mère qui témoigne, mais c'est au nom de mes deux parents. Que dire? Toujours là, soucieux, aidants, aimants, présents aux rendez-vous, à la maison quand je déprime, partis quand je vais mieux, au bout du fil quotidiennement. Ma mère, mon père, un couple qui m'a apporté un indéfectible support moral, affectif, relationnel et financier.»

Martha, mère de Marie-Claude

«Pourquoi pas moi?! Ma fille n'avait que 37 ans! Elle avait trois jeunes enfants! J'ai crié. J'ai hurlé. Je me suis sentie désemparée. J'ai lu sur le sujet, pour comprendre. Finalement, je me suis laissé guider par ma fille. C'est elle qui était aux commandes. J'ai vu toute sa force se déployer, et elle m'a rendue très fière, très admirative. À l'hôpital, elle se promenait avec son porte-document sous le bras, et suivait son dossier. J'entends encore le bruit de ses pas dans les corridors: celui d'un soldat au combat. J'ai vite compris que je n'avais besoin de rien d'autre que d'être sa mère et la grand-mère de mes petitsenfants. Être aimante, douce, à l'écoute. Ouvrir les portes d'une maison chaleureuse. Garder, jouer, bercer. Je n'ai jamais été aussi «mère» et aussi «grand-mère» que pendant la maladie! Marie- Claude, dans la période après-cancer, nous a rappelé que c'est elle qui avait eu le cancer et personne d'autre! Moi, je réponds qu'on l'a peut-être pas eu, ce sapré cancer, mais on l'a eu pareil! Parfois, sa douleur me transperçait le corps. J'en ai passé, des nuits blanches, comme elle et avec elle. J'ai tenu un journal pendant la maladie. Je le relis souvent et ça me fait du bien. À travers nos peurs - celle de la récidive, notamment -, on oublie les beaux moments. Or, son père et moi témoignons: il y en a eu beaucoup. La résilience, l'humour, le courage, l'unité, la force de l'amour et la beauté de la vie, on a tous été éveillés à ça à cause de ce qu'on a traversé ensemble. Il y a eu des instants de grâce qui font du bien à l'âme, et qu'il vaut la peine de se rappeler. On s'est aimés comme jamais, et on va continuer.»

«J'ai connu Marie-Hélène en plein coeur du Printemps étudiant. Notre noyau allait devenir le regroupement des Mères en colère et solidaires. Avec elles, j'ai repris vie. Je sentais un souffle nouveau, je me sentais engagée et entourée. Avec elles, la maladie ne prenait pas toute la place. Marie-Hélène avait connu la maladie, je pouvais me confier à elle.»

Marie-Hélène, amie de Marie-Claude

«Dès notre première rencontre, j'ai été fascinée par son énergie et sa volonté. Elle se remettait d'une chirurgie. Elle m'a parlé du cancer avec tellement d'aplomb que ça m'a fait un bien immense! À l'époque, j'émergeais du brouillard dans lequel le cancer de mon conjoint nous avait plongés, lui, moi et nos enfants. Au contraire de Marie-Claude, il a choisi le silence et le retrait face à la maladie, et j'ai respecté ce choix. Je pense que, souvent, ces maladies font peur parce qu'elles nous renvoient à notre propre mortalité. On a tendance à ne pas s'en approcher, de peur qu'elles nous atteignent. Mais pour traverser la vie avec ce qu'elle a souvent d'absurde, il faut la prendre à bras-lecorps, c'est-à-dire l'embrasser dans son entièreté. La maladie n'est qu'une composante de nos vies. Nos amis malades sont vivants. Il ne faut surtout pas les enfermer dans la maladie.»

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«Quand j'étais trop faible, Véronique offrait des transports pour mes enfants, et elle était ouverte à parler de tout! Elle m'a fait souvent rire: c'est un excellent remède.»

Véronique, amie de Marie-Claude

«Marie est connue de tous pour sa détermination, son implication, sa prise de parole. Marie qui a un cancer, c'était irréel. Je ne savais pas quoi dire, quoi faire. Je ne savais pas si je devais la prendre dans mes bras! Je ne me souviens même pas de lui avoir demandé si elle avait besoin d'aide. Heureusement, elle a vite nommé ses besoins. Elle voulait que la vie suive son cours pour son chum, pour les enfants, pour nous... et peut-être pour elle, aussi. Parfois, je me disais qu'elle en partageait trop, comme en publiant les détails de son état de santé sur Facebook. Aujourd'hui, je sais que Marie a eu sa façon à elle de cheminer jusqu'à la guérison. Elle m'a appris qu'on est la meilleure personne pour savoir ce qui est bon pour nous. On se rencontre plus souvent depuis l'annonce de son cancer. Ce n'est pas innocent: elle vit plus intensément!»

«Un jour, avec un ami, elle est arrivée à ma porte avec plusieurs plats cuisinés. Elle a trois enfants et avait pris toute une journée pour nous faire à manger! J'étais tellement émue.»

Nancy, amie de Marie-Claude

«Ce n'était pas de la bouffe; c'était de la solidarité. Et sans doute un peu de culpabilité d'être en santé devant elle. Une réaction inutile, je l'ai vite compris. C'est le cancer qui nous a réunies. On a des profils similaires: j'ai trois enfants, elle oeuvre dans le communautaire, moi aussi, et on a le même âge. Je me suis donc identifiée à elle. Avant cette aventure, j'avais une peur indicible de la maladie et de la mort. Jamais je ne me serais crue capable d'aider Marie-Claude. Ce que j'ai appris? Appeler pour demander des nouvelles, ça peut sembler anodin, mais ça fait un bien immense! Il ne faut pas avoir peur de déranger. Avec la maladie, les rapports se simplifient, on va à l'essentiel. Avec Marie-Claude, beaucoup de pacotilles sans importance ont carrément été effacées de l'ordre du jour. Dans ma vie, j'ai fait de même! C'est contagieux, l'urgence de vivre. Mon conseil? Soyez là. Vous ne serez jamais de trop!»

«David a été mon confident sur tous les aspects médicaux. Il venait souper à la maison et on parlait. Il ne sait probablement pas à quel point il m'a aidée.»

David, ami de Marie-Claude

«Quand je l'ai appris, ça m'a angoissé. C'est cliché, mais j'ai saisi toute l'importance qu'avait Marie-Claude dans ma vie. On s'était connus à l'université, on avait été colocs, on s'était perdus de vue, puis retrouvés. On se faisait des bouffes, on avait du fun. Puis bang! Le cancer. Je ne savais pas quoi faire. J'étais un célibatairedoctorant- pas-de-voiture, et quand j'offrais mon aide à une mère de trois enfants qui a un conjoint, une famille, plein de chums de filles, je me sentais impuissant. C'est fou de se sentir dépourvu quand tu es en santé devant quelqu'un qui est malade. J'ai vécu avec une conjointe atteinte de sclérose en plaques et j'ai eu un suivi psychologique. Je constate que les gars sont encore dans leur rôle de pourvoyeurs. Ils se sentent mauviettes s'ils laissent place à leur désarroi. J'ai milité auprès de Fred pour qu'il aille consulter. C'est dur aussi, d'être le chum d'une fille qui souffre. Bizarrement, peu de choses ont changé entre Marie-Claude et moi. Je me sentais souvent coupable, car même pendant sa maladie, j'avais du fun chez Marie-Claude! Il y avait de petites parenthèses, où tout devenait plus feutré: on parlait du cancer. Puis, on refermait la parenthèse. Mais elle n'a jamais perdu son côté "party". Cette fille est magnétique. Ce n'est pas pour rien qu'elle s'est retrouvée aussi bien entourée pendant sa maladie!»

«Il a été mon ange gardien. Je pouvais tout lui dire, il comprenait tout. Il m'aidait à voir clair, à mettre les choses en perspective, à combattre dans un système de santé où tu te sens parfois comme un numéro. Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans lui.»

Yves Quenneville, psychiatre au CHUM

«Avec notre entourage, nous formons un système qui ressemble à ces mobiles qu'on suspend au-dessus des lits des bébés. Même si chacune de ses composantes bouge, le mobile trouve un certain équilibre. Lorsque survient la maladie, un élément du mobile - ici, Marie-Claude au sein de sa famille - change de position, de rôle, de façon de bouger, et menace ainsi, par son changement, l'équilibre de la famille.

«La personne avait l'impression d'être en pleine maîtrise de sa vie, comme on est au volant d'une voiture. Or, avec la maladie, le système de santé se met soudainement au volant! Le cancer s'accompagne souvent d'un vaste sentiment de perte de contrôle. Mon rôle de psychiatre consiste à écouter la personne, à la soutenir, et à démêler ce qui est dû à la maladie ou au traitement. Je rencontre des patients qui se sentent coupables, responsables de ce qui leur arrive. D'autres qui sont tellement en colère qu'ils se font dire par leur entourage qu'ils sont peut-être en train de sombrer dans une dépression. Mais attendez! Il est compréhensible et il peut être normal d'être anxieux, d'être en colère ou de se sentir dévasté. Mon rôle est d'identifier les facteurs de stress pour aider le patient à mieux réagir. L'objectif est de retrouver le sentiment d'avoir une certaine emprise sur ce qui se passe. C'est le patient qui me dicte la direction à prendre, selon son style, sa personnalité, sa façon de voir les choses. Je sers d'intermédiaire, d'interprète, de lien entre l'appareil médical et mes patients, entre leurs objectifs et les moyens à prendre pour les atteindre. Je suis un partenaire dont le but est d'amener la personne à passer d'objet à sujet, dans sa propre histoire.»

Vivre avec un proche gravement malade, par Dr Yves Quenneville et Dre Natasha Dufour (Batard, 2008, 148 p., 18,95$).

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